Les métadonnées, un enjeu déontologique pour les bibliothécaires

Entretien avec Vincent Boulet

Vincent Boulet

Faire œuvre de transparence, ce n’est pas seulement donner à voir ou rendre des comptes, c’est aussi interroger ses propres pratiques professionnelles. Ainsi, la question des biais implicites de la classification se pose avec de plus en plus de force dans les pays anglo-saxons. Le Comité sur les normes relatives au catalogage et aux métadonnées de la FCAB-CFLA 1

a par exemple contribué à la rédaction d’un code de déontologie du catalogage. Si la question soulevée est technique, elle s’avère aussi culturelle. En quels termes appréhender ces enjeux dans le contexte français ? Vincent Boulet fournit des pistes d’analyse au BBF.

***

En France, quel est l’état de la réflexion sur les aspects déontologiques du signalement ? Existe-t-il des documents de référence ?

La question de la déontologie dans le travail de description des ressources et d’élaboration des référentiels associés se pose avec une acuité d’autant plus grande que les données circulent désormais massivement. Elles sont visibles, récupérées, réutilisées parfois dans des contextes très éloignés de celui de leur création et des règles professionnelles qui édictent cette dernière. Le second élément qui concourt à souligner l’importance de la déontologie dans le traitement des métadonnées est l’évolution des débats de la société. Les métadonnées ne vivent pas en vase clos. Elles sont produites, elles sont utilisées et elles évoluent dans un contexte social donné.

La communauté française peut s’appuyer sur des documents importants, parmi lesquels figure le code de déontologie des bibliothécaires de l’ABF, mis à jour en novembre 2020 2

. Elle peut aussi, et surtout, compter sur les pratiques professionnelles qui agissent comme autant de garde-fous contre l’arbitraire ou contre le non-respect de la vie privée.

Par exemple, le fichier d’autorité des noms de personne de la BnF est déposé depuis sa création à la CNIL et entre dans le périmètre d’application de la loi Informatique et libertés de 1979 et, désormais, du règlement européen RGPD. Les informations personnelles, telles que les orientations ou les opinions personnelles, les peines judiciaires, etc., y sont absolument proscrites. Les pseudonymes confidentiels ne sont pas dévoilés. Les auteurs et autrices concernés par les notices ont un droit de regard sur leur contenu et s’adressent très régulièrement à la BnF pour demander des modifications. Ce respect des différentes identités publiques, comme les pseudonymes, que peut porter une même personne est d’ailleurs renforcé par l’identifiant international sur les noms de personnes et les collectivités ISNI 3

(International Standard Name Identifier), qui renvoie à une norme internationale ISO. En ce qui concerne le vocabulaire des concepts Rameau, les règles de création répondent aux principes de garantie documentaire, c’est-à-dire qu’aucun concept ne saurait être créé s’il ne correspond pas à un besoin d’indexation de ressources documentaires dûment constaté. Ce principe de garantie documentaire est aussi une assurance de neutralité : créer un concept Rameau, c’est aider à décrire une des réalités de l’espace bibliographique et à les rendre ainsi accessibles à la recherche, et non prendre position en faveur de cette réalité ou contre elle.

Dire cela n’exclut pas des sorties de route sur telle ou telle notice, ou des incohérences dues à l’histoire des données et à leur stratification. Le contrôle qualité sur les référentiels prend ici toute son importance.

Selon vous, quels seraient les fondements d’un référentiel éthique ? Comment intégrer une réflexion déontologique au travail sur les référentiels ?

Il y a trois éléments fondamentaux, qui se tiennent à la rencontre des principes avec la réalité des pratiques professionnelles.

Le premier est que le bibliothécaire, comme agent public, est tenu à un devoir de neutralité. Cela concerne également les métadonnées. Autrement dit, il est tenu d’appliquer au traitement documentaire les principes de Tacite, qui sont de travailler « sine ira et studio » 4

X

[NDLR] « sans haine ni passion ».

. Cela se décline, pour reprendre les termes du code de déontologie de l’ABF de 2020 par le fait de ne « pratiquer aucune censure [et de] garantir le pluralisme, l’esprit encyclopédique et l’actualité des ressources, collections et services ».

Le second est la garantie d’universalisme, qui permet à l’ensemble des approches de coexister dans un même ensemble qui soit le plus cohérent possible, pour l’ensemble des utilisateurs, dans une seule communauté. Pour cela, il faut que les pratiques et les normes professionnelles puissent gagner en souplesse, en permettant, par exemple, que plusieurs points d’accès soient possibles pour une même entité afin que des termes multiples puissent rendre compte d’une approche plurielle d’un même concept. Pour citer un seul exemple, la question du genre dans Rameau doit être travaillée sérieusement.

Le troisième correspond à la manière dont il est possible d’objectiver, voire de dépasser une apparente contradiction, à savoir l’équilibre entre les principes professionnels de garantie documentaire et de hiérarchie des sources d’une part, et les attentes des utilisateurs et les évolutions de la recherche d’autre part. Pour revenir sur l’exemple de Rameau, le vocabulaire doit concilier le fait qu’un concept doit correspondre à un état stabilisé de la recherche et espérer ainsi avoir une certaine durée de vie, et la nécessité d’intégrer les évolutions importantes des domaines du savoir et de les refléter au mieux. Cela revient à souligner l’importance des interactions entre les bibliothécaires chargés de l’administration des référentiels et les utilisateurs et chercheurs.

Présentation de l’auteur

Vincent Boulet est conservateur des bibliothèques. Au sein du département des Métadonnées, il est chef du service des Référentiels à la Bibliothèque nationale de France. Il préside actuellement la section de Catalogage de l’IFLA. Consulter ses publications : https://www.idref.fr/114274045