Professionnels de l’information, des ambassadeurs de la culture scientifique et technique

Martine Courbin-Coulaud

Valérie François

Dans nos sociétés, l’informatique a envahi quasiment tous les aspects de la vie. Les impacts sont nombreux sur les évolutions des compétences et des missions des professionnels de l’information. Mais comment appréhender les enjeux de pensée et de culture informatiques, autrement que sous un angle purement documentaire ? Quelles compétences les professionnels de l’information peuvent-ils mobiliser pour partager avec le plus grand nombre la culture scientifique ? Martine Courbin-Coulaud et Valérie François sont documentalistes au service « Information et édition scientifique » de l’Inria. Leurs missions principales s’articulent autour de trois axes :

  • faire de la veille, sélectionner des ressources et animer des plateformes de ressources ;
  • animer un bureau d’accueil mutualisé au contact du large public et communiquer sur les réseaux sociaux 1 ;
  • accompagner et proposer des méthodes de création et de mise en valeur de productions de médiation scientifique.

Pensée informatique et culture informatique

La pensée informatique a une définition, due à Jeannette Wing. Et nous vous invitons vraiment à lire l’article paru dans Interstices 2

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Jeannette WING. « La pensée informatique », Interstices. 29 mai 2009. En ligne : https://interstices.info/la-pensee-informatique/ [consulté le 18 mai 2021].

 : « C’est un ensemble de compétences et de connaissances, utilisées en science et technologie informatique, mais applicables à d’autres domaines. Cette panoplie d’outils intellectuels inclut, par exemple, la capacité à nommer de manière pertinente les objets et en expliciter leur type ou catégorie pour les manipuler correctement, à maîtriser la complexité d’un grand problème ou d’un système en le hiérarchisant, à pouvoir spécifier dans ses moindres détails un procédé pour qu’il puisse s’exécuter sans ambiguïté de manière mécanique, etc. En résumé, l’informatique ne sert pas qu’en informatique. La pensée informatique est présentée ici comme un ensemble d’attitudes et de connaissances universellement applicables, que nous gagnerions tous à apprendre et à maîtriser. »

C’est utile tous les jours et ancré dans le quotidien.

Illustration

Illustration de François Cointe

On parle de pensée informatique pour montrer que l’on ne souhaite pas uniquement initier à la programmation, mais permettre de prendre du recul par rapport au numérique, positionner l’apprentissage de l’informatique comme une compétence pluridisciplinaire, pour aider à former des citoyens éclairés et aussi partager une culture scientifique et technique.

La pensée informatique et la culture informatique ne se situent pas dans le même registre. La pensée informatique, c’est de l’ordre méthodologique ; on adopte un mode de pensée pour résoudre des problèmes, concevoir des systèmes. La culture informatique ne se situe pas seulement sur le plan des objets ou de la méthodologie ; elle induit des changements significatifs tant sociaux (habitudes, comportements…), juridiques (identité, travail…), qu’éthiques ou imaginaires.

Les professionnels de l’information, des médiateurs scientifiques en puissance ?

La médiation scientifique, une synergie entre différents acteurs

La médiation scientifique, c’est l’affaire des scientifiques, des chargés de médiation, des communicants : ceux qui font la science et ceux qui ont appris à aider à la présenter vers les différents publics. Et les médiateurs de l’information ? Nous, documentalistes, connaissons bien ce rôle de médiation. Cette position entre l’information et les usagers est dans notre ADN : trouver la bonne information au bon moment, mettre en place des outils pour faciliter l’accès à l’information, organiser cette information pour mieux la partager, la rendre accessible et faire savoir. Documentation primaire, documentation secondaire pour participer à la création et à la diffusion de biens communs en gardant comme objectif et valeur la science ouverte. Les documentalistes sont entré.es dans le cercle de la médiation scientifique à l’Inria depuis un certain temps déjà ; la médiation scientifique, c’est pour nous une vraie action collaborative avec les scientifiques et tous les collègues support, qu’ils ou elles soient chargé.es de médiation scientifique, informaticien.nes, ingénieur.es pédagogiques, etc.

Notre métier de professionnels de l’information est un atout

Quelle valeur ajoutée pouvons-nous apporter ? Nous avons rejoint le réseau de médiation scientifique Inria à la demande des collègues de ce réseau, essentiellement pour notre apport en ingénierie documentaire. Nous n’étions pas les premières ; d’autres avant nous avaient tracé le chemin. Notre fiche de poste de 2014 indiquait notamment : « [...] apporte ses compétences d’ingénierie documentaire aux actions de médiation scientifique, à la construction et au fonctionnement des contenus à destination des publics cibles. » Ces missions sont au cœur de notre métier.

Par ailleurs, nous nous sommes rendu compte que les scientifiques que nous côtoyons via les actions de médiation scientifique sont les collègues que nous connaissons bien et qui nous connaissent également par nos actions documentaires. Ce sont des collègues avec qui nous avons déjà discuté de leur thématique de recherche. La « doc » fait partie de leur paysage, un lien s’est tissé ou se tisse naturellement entre eux et nous les documentalistes ; il y a un accord tacite de confiance. Cela nous permet de les contacter très simplement pour qu’ils puissent apporter leur expertise sur une question, pour demander de l’aide pour décrypter un sujet, pour participer à un projet de médiation…

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Source : site Pixees.fr

Ci-dessous quelques exemples concrets d’actions d’ingénierie documentaire pour la médiation scientifique :

  • Animer une plateforme de ressources pour les sciences du numérique avec Pixees 3. C’est avant tout un espace collaboratif auquel contribuent (cocréation de contenus, réalisation d’interventions, réflexion commune…) de nombreux acteurs qui forment une communauté active sur ces sujets. La gazette mensuelle 4 permet de suivre l’actualité des ressources partagées et un bureau d’accueil en ligne est disponible pour répondre aux questions, ou mettre en relation avec des experts d’une question thématique.
  • Accompagner les étudiants pour leur travail d’initiative personnelle encadré (TIPE), qui est une épreuve commune à la plupart des concours d’entrée aux grandes écoles scientifiques. Depuis plusieurs années maintenant, la revue de culture scientifique Interstices 5 et l’espace de partage de ressources Pixees rassemblent des ressources autour des sciences du numérique pour aider les étudiants sur la thématique de l’année. Au-delà des ressources, des collègues scientifiques produisent des textes éclairant certains axes du thème. Ces dispositifs ont un impact réel puisque le dossier de l’an dernier sur les enjeux sociétaux du numérique comptabilise par exemple 40 000 vues. Il s’agit de parler de sujets informatiques mais aussi plus largement, du monde de l’informatique 6. Les statistiques de consultation témoignent de l’utilité d’un tel accompagnement pluri-compétences.
  • Sélectionner des ressources documentaires pour enrichir différents moocs réalisés par Class’Code 7
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    « Class’Code : se former pour initier les jeunes à la pensée informatique. » Depuis 2015, Class’Code forme toute l’année des milliers d’enseignants, d’animateurs, de parents et d’éducateurs aux sciences informatiques, au code et à l’intelligence artificielle. https://pixees.fr/classcode-v2/

    et le Inria Learning Lab 8 (mooc « S’initier à l’enseignement en sciences numériques et technologie » 9, mooc « Intelligence artificielle avec intelligence » 10, un prochain mooc à venir sur les impacts environnementaux du numérique).

En guise de conclusion : aller au-delà des connaissances techniques et savoir s’orienter

La liste des compétences nécessaires à la médiation scientifique pourrait passer pour une liste à la Prévert. Elle souligne surtout l’importance de compétences comportementales, en renfort des connaissances techniques. Ainsi, il s’agit d’être curieux, d’avoir envie de comprendre, d’être à l’écoute, d’être constamment en veille, d’avoir envie de creuser une thématique pour mieux comprendre. Être ouvert. Avoir une bonne connaissance de l’environnement institutionnel et scientifique pour, par exemple, trouver les experts de sujets spécifiques. Lire, beaucoup lire, comme les articles qui paraissent dans la revue de culture scientifique Interstices 11

et le blog Binaire 12, qui permettent d’appréhender des sujets autour des sciences du numérique. Regarder faire, s’imprégner… Être dans l’échange pour monter des projets. On apprend essentiellement sur le terrain au contact des collègues scientifiques et médiateurs. Il n’y a pas de formation clé en main, on est en formation permanente tous les jours et c’est la richesse de notre apport pour ce réseau de médiation scientifique.

Existe-t-il des forteresses imprenables en médiation ?

• Association « Les Petits Débrouillards » : « Non… il est malgré tout indispensable d’adapter l’activité et le vocabulaire au public et partir de ses connaissances. »

• Franck Marie (réseau des médiathèques de Massy) : « Les actions sur des thèmes d’actualité où la contradiction peut être forte de la part de certains publics peuvent être délicates à mener. Je pense par exemple à la lutte contre les fake news, dans laquelle pourtant le rôle des médiathèques est central. De même, les sujets très techniques peuvent être dissuasifs, faute de pouvoir communiquer efficacement mais peuvent être compensés par la présence d’un partenaire ou intervenant compétent et reconnu pour ses qualités de vulgarisateur. »

• Mélanie Le Torrec, Jeanne Millet et Flora Donnezan (Bibliothèque municipale de Lyon) : « On peut dire qu’il n’y a pas de bastions imprenables à proprement parler mais deux thématiques interrogent aujourd’hui beaucoup les animateurs numériques : l’accompagnement des usagers dans l’accès aux droits du fait de la dématérialisation des services publics et l’accompagnement des personnes en situation de handicap.

Concernant la e-administration, nous avons énormément de demandes. Il devient absolument indispensable de construire un partenariat avec les opérateurs sociaux (CAF, Ameli, Pôle emploi…) pour combiner nos compétences. Nous pouvons accompagner sur la connexion aux interfaces, mais pas remplir les fiches d’impôts.

Pour l’accompagnement des personnes en situation de handicap, nous passons beaucoup de temps à nous former aux logiciels d’accessibilité, à adapter le matériel, à repenser les services et les espaces, mais il nous est difficile d’atteindre ce public cible. Là encore, la démarche partenariale est indispensable pour faire connaître des services souvent méconnus du grand public. »

• Martine Courbin-Coulaud et Valérie François (Inria) : « Il faudrait plutôt donner la parole aux chercheurs qui sont plus à même de dire s’ils trouvent qu’un domaine est trop difficile à partager. En fait, il y a deux choses : le domaine de recherche et la faculté de chacun et chacune à le rendre compréhensible au plus grand nombre. Là encore, c’est le dialogue avec le scientifique qui va aider à débroussailler et à trouver des solutions. »


La pensée informatique : la sélection bibliographique des auteures

Présentation des auteures

Martine Courbin-Coulaud est ingénieure documentaliste au sein du service IES (Information et édition scientifiques), Inria. L’une de ses missions est d’apporter au réseau médiation scientifique de l’Institut une aide d’ingénierie documentaire. Elle est une professionnelle de la documentation à l’Inria « depuis le siècle dernier » [dixit !] avec des missions essentiellement axées sur la documentation pour les scientifiques, avec un fort goût pour le partage et le faire savoir. Son regard sur ses missions : « Depuis 2014, l’ajout de la facette médiation scientifique renforce mon investissement dans la science ouverte avec les scientifiques. »

Valérie François est documentaliste de formation et membre du service IES, Inria. Dans le cadre de la réorganisation IST (information scientifique et technique) en 2014, un besoin en ingénierie documentaire pour le réseau de médiation national a émergé. Son regard sur ses missions : « Les compétences documentaires au service de la médiation : une belle mission, de belles rencontres, avec toujours les scientifiques à nos côtés. »

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