« Partager avec les publics des pratiques numériques sous un angle ludique et décomplexé »

Retour sur le « Printemps du numérique », Bibliothèque municipale de Lyon

Mélanie Le Torrec

Jeanne Millet

Flora Donnezan

Le « Printemps du numérique » s’est déroulé du 27 mars au 10 avril 2021, à la Bibliothèque municipale de Lyon (BmL). Le thème de l’édition était « Utopies numériques ».

Mélanie Le Torrec (responsable du développement numérique) et ses collègues animatrices numériques, Jeanne Millet et Flora Donnezan, nous présentent les coulisses du « Printemps du numérique » de la Bibliothèque municipale de Lyon : stratégie partenariale, thèmes, transfert de compétences. Manifeste pour une approche décomplexée du numérique.

BBF : Qu’est-ce que le « Printemps du numérique » ?

M. Le Torrec, J. Millet et F. Donnezan : Le « Printemps du numérique » (PDN) est un événement structurant du réseau des bibliothèques de la BmL, porté par la coordination des animateurs numériques. Lancé en 2017 à l’initiative de la bibliothèque de la Croix-Rousse, il mobilise maintenant l’ensemble des 13 espaces numériques et le fablab de la bibliothèque de Lacassagne. Depuis 2018, plusieurs bibliothèques de la Métropole de Lyon, comme Villeurbanne, Feyzin, Corbas ou Saint-Genis-les-Ollières, ont également participé à cet événement.

C’est un festival multigénérationnel, qui fait la part belle aux manipulations, dans le cadre d’ateliers où les publics sont amenés à découvrir, expérimenter, créer des dispositifs numériques sur un thème donné.

L’un des premiers objectifs du PDN est de permettre à tous et toutes de découvrir ou d’approfondir la culture numérique, en perpétuelle mutation, de manipuler des technologies parfois coûteuses, de dépasser les idées reçues sur les compétences de chacun en matière d’informatique et de numérique.

Autre objectif majeur : mobiliser les compétences des animateurs numériques pour partager avec les publics des pratiques numériques sous un angle ludique et décomplexé. Ainsi, de nombreux ateliers sont proposés autour de la découverte de technologies de réalité virtuelle ou augmentée, de robotique et d’outils de programmation comme les cartes Arduino 1

.

C’est aussi un événement qui encourage les échanges pair à pair, le partage d’expériences et de compétences au sein d’ateliers de programmation, de bidouilles électroniques ou de fabrication numériques.

La découverte de technologies alternatives, notamment tout ce qui concerne le libre, et la mise en valeur de pratiques numériques plus respectueuses de la vie privée, de l’environnement font également partie des buts poursuivis par l’événement.

Enfin, le PDN œuvre à ouvrir le débat et à provoquer l’échange, dans le cadre notamment des conférences et des rencontres proposées sur les enjeux majeurs du numérique : inclusion numérique, éducation aux médias et à l’information, parentalité numérique, place du libre et des communs, innovation numérique.

Qui sont les publics cibles de cette action ?

Il n’y a pas de public cible. La programmation est cependant pensée pour donner envie à chacun de participer et éviter de n’attirer que des personnes très à l’aise avec le numérique. Au contraire, l’idée est plutôt de décomplexer les participants et de leur montrer que le numérique est une compétence qui s’acquiert en faisant, en expérimentant, en partageant avec d’autres des savoirs et des savoir-faire.

L’édition 2021 a cependant fait mentir cet objectif, du fait de la bascule de l’ensemble des ateliers en distanciel sur des plateformes comme Zoom, BigBlueButton ou encore Discord 2

. Ces interfaces ont attiré des usagers qui étaient déjà à l’aise avec le numérique et peut-être découragé ceux et celles qui préfèrent pousser la porte d’une bibliothèque pour s’initier à des nouvelles pratiques.

Habituellement, on note un grand écart d’âge entre les publics participants. Les bilans des derniers PDN font état d’ateliers destinés à la toute petite enfance avec le robot Cubetto 3

X

« On a testé… Cubetto, le robot jouet qui apprend aux enfants à programmer », Le Monde.fr. 6 mai 2016 . En ligne : https://colibris.link/AT7h1 [consulté le 24 mai 2021].

, par exemple, à partir de 3 ans, jusqu’à des rendez-vous qui attiraient adultes et seniors.

Avez-vous mis en œuvre des dispositifs d’évaluation ?

Chaque année, un.e stagiaire est recruté.e pour préparer, accompagner et faire le bilan du printemps du numérique. Lors des précédentes éditions, des questionnaires de satisfaction ont été distribués à l’issue des ateliers.

L’évaluation du PDN est aussi basée sur la collecte de statistiques de fréquentation des ateliers, qui cette année, du fait de la crise sanitaire, étaient tous basés sur une inscription préalable, car reportés en distanciel.

Le nombre de rendez-vous proposés lors de chaque édition, le nombre de bibliothèques partenaires et de partenaires mobilisés sont également des indicateurs observés. Enfin, nous suivons le nombre de vues du site internet de l’événement et l’impact sur les réseaux sociaux.

Tous ces éléments sont rassemblés dans le bilan de l’événement.

Comment avez-vous défini le thème de l’édition locale ? Et quels thèmes souhaiteriez-vous explorer en priorité ces prochaines années ?

Le « Printemps du numérique » s’est déroulé pour sa 5e édition du 27 mars au 10 avril 2021, dans les bibliothèques de Lyon et de la Métropole sur le thème des utopies numériques. Il s’agissait d’interroger les liens entre le numérique, les arts, la littérature et les sciences dans leur capacité à imaginer un autre monde. Ce thème, choisi par le comité de pilotage, était initialement destiné à l’édition 2020, annulée suite à l’annonce du confinement. Il a été repris en 2021 et devait permettre aux usagers de contribuer aux savoirs et de participer au monde du logiciel libre et des communs ; de questionner les liens dans notre environnement entre l’homme et la machine, avec des ateliers de réalité augmentée, d’ouvrir le débat et d’échanger à l’issue des projections, débats et conférences sur la thématique d’internet et des libertés. Un recueil de témoignages des usages numériques a également été organisé.

Cette édition a dû tardivement basculer totalement à distance et le comité de pilotage a dès lors entièrement repensé les modes de médiation pour ouvrir un serveur Discord, organiser le déplacement des ateliers sur des rendez-vous en ligne et faire former tous les animateurs concernés à une médiation en ligne. Ce changement a eu un impact majeur en termes de préparation. Les équipes ont donc « essuyé les plâtres » pour que l’événement se déroule correctement.

Pour la prochaine session, il est possible que les questions de sobriété et de souveraineté numérique soient abordées, mais rien n’est encore arrêté.

Quelle serait votre définition de la culture informatique ? Et quel rôle peuvent jouer les professionnels de l’information et des bibliothèques ?

Dominique Cardon est l’auteur d’une somme sur le sujet, Culture numérique [Presses de Sciences Po, 2019], qui montre bien la démultiplication des activités et des théories autour de ce terme. À la BmL, nous parlons plutôt de culture(s) numérique(s) au pluriel, car nous observons une pluralité de pratiques, des plus traditionnelles, la pratique de l’informatique au quotidien, aux plus atypiques, le transhumanisme par exemple.

De fait, les culture(s) numérique(s) sont des champs du savoir en évolution perpétuelle, car elles suivent l’évolution des technologies mais aussi des usages (ou mésusages) opérés par les individus de ces technologies.

Les professionnels de l’information et des bibliothèques ont un rôle majeur à jouer dans le processus d’acculturation des publics aux différents outils et pratiques autour du numérique. Tous les publics sont concernés, de la jeunesse, avec les problématiques de la parentalité numérique et de l’usage des écrans, aux plus âgés, qui doivent interagir avec leurs proches ou avec les administrations en utilisant de plus en plus d’outils dématérialisés. Pour autant, la question de l’habileté numérique des citoyens est loin d’être un problème d’âge. En matière d’inclusion numérique, nous devons répondre à des attentes d’accompagnement sur des services dématérialisés, qui concernent toutes les générations. Et contrairement aux idées reçues, les adolescents, qui sont à l’aise sur les réseaux sociaux, ne savent pas toujours utiliser un logiciel de bureautique pour rédiger un CV.

Les animateurs numériques sont donc sollicités très largement sur des besoins de formation aux outils informatiques et numériques.

Plus largement, il est indispensable que la culture numérique soit partagée en interne et médiée en externe par l’ensemble des professionnels, car elle fait partie des savoirs d’une bibliothèque au même titre que la littérature ou la sociologie.

Mieux connaître les culture(s) numériques(s) est devenu un axe incontournable pour répondre aux attentes de nos publics.

Vous avez mobilisé plusieurs acteurs. Comment avez-vous travaillé avec ces partenaires ?

Cette année, l’Aldil [Association lyonnaise pour le développement de l’informatique libre] a été plutôt un partenaire plutôt en retrait, même si nous avons relayé l’organisation des journées du logiciel libre 4

, finalement proposées pour partie en distanciel. Pour l’édition 2021, nous avons surtout travaillé avec Framasoft pour les « Contrib’ateliers 5 », des ateliers pour contribuer au libre sans rien y connaître. Ils ont rencontré un beau succès.

Autre partenaire notable, Pâquerette 6

, une société coopérative et participative basée à Lille, qui œuvre à promouvoir une informatique collaborative et responsable. Pâquerette accompagne associations, collectivités, entreprises, à l’utilisation de solutions open source. Elle nous a permis d’avoir un serveur BigBlueButton. Ce sont les partenaires phares du PDN 2021.

Quelle stratégie partenariale le réseau des bibliothèques développe-t-il plus généralement autour des questions de sciences et technologies ?

Le numérique est désormais considéré comme un ensemble de savoirs et de savoir-faire, qui n’est plus rattaché aux sciences, mais existe bien en propre.

Les bibliothèques travaillent d’abord en proximité avec des partenaires naturels, associatifs ou universitaires, présents sur leurs territoires.

Au niveau du réseau BmL, nous sommes en lien avec des partenaires institutionnels métropolitains comme Res’In 7

(réseau de l’inclusion numérique), ou Erasme 8 et Tuba 9, qui sont davantage intéressés par les questions d’innovation numérique et sociale. Le dialogue avec ces acteurs alimente notre réflexion sur la place de l’innovation dans les espaces numériques en particulier, et plus largement en bibliothèques.

Nous participons aux événements organisés par des acteurs territoriaux bien identifiés comme Fréquence écoles 10

, avec « Super Demain » ou « Numérique en Commun[s] », et nous suivons avec intérêt la programmation de « RVBn, Biennale des arts numériques » organisée par la ville de Bron.

La BmL étant labellisée Bibliothèque numérique de référence (BNR) depuis 2013, nous sommes membre de ce réseau des BNR, qui sont des sources d’inspiration pour faire évoluer notre offre de service. Au niveau international, nous participons aussi au festival Next Library 11

depuis plusieurs années, un vivier en matière d’innovation en bibliothèque.

Interagir avec toutes ces structures est très important pour nourrir notre réflexion sur notre offre de service numérique, sachant que depuis 2018 la question de l’inclusion numérique est au cœur de la stratégie numérique de l’État. La crise sanitaire a cependant complexifié la relation partenariale, maintenant déportée en distanciel.

Le rôle de médiateurs des bibliothécaires est de plus en plus mis en lumière. Au sein des bibliothèques, comment les professionnels sont-ils préparés pour assurer ces missions ?

Les animateurs numériques ont l’habitude d’échanger et de se former mutuellement. C’est un métier qui nécessite une grande polyvalence, un sens réel de l’accueil et de l’écoute du public. L’organisation d’un événement autour du numérique est une occasion pour fédérer les énergies du réseau, mais cela demande énormément d’engagement, alors que les missions du quotidien se poursuivent et que les conditions techniques sont parfois complexes à mettre en œuvre. Pour enrichir la programmation, il est donc naturel de faire appel à des partenaires, qui n’ont pas les mêmes contraintes que nous pour déployer certains outils.

Chaque été, à la BmL, nous profitons des horaires adaptés pour organiser des sessions de formations sur des outils informatiques, robotiques, ou sur l’utilisation du poste adapté à destination des personnes en situation de handicap. Ces formations mises en place par les animateurs et animatrices de la BmL sont ouvertes à tous les collègues.

Globalement, il est difficile de se former aux nouvelles technologies et d’acquérir des compétences pointues au sein de structures de formation classique comme le CNFPT.

Quels conseils méthodologiques (plutôt que strictement pratiques) donneriez-vous à des collègues qui souhaiteraient organiser ce type d’événement ?

  • Avoir un rétroplanning assez clair et prévoir d’office des retards.
  • Réfléchir aux partenaires possibles sur le territoire tout d’abord, mais également au sein du réseau des bibliothèques.
  • Faire un recueil des compétences et des sujets d’appétences des collègues qui participeront à l’évènement, beaucoup peuvent être des personnes-ressources précieuses.
  • Laisser de la place à l’événement pour grandir (pour le PDN, le fait d’avoir commencé par la seule bibliothèque de la Croix-Rousse puis de s’étendre dans le réseau un peu plus chaque année permet de tirer plus de leçons des bilans).
  • Prévoir des ateliers en co-construction pour que les usagers puissent devenir acteurs de l’évènement.

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