Les algorithmes ? Même pas peur

Enjeux de médiation numérique vus du réseau des médiathèques de Massy

Franck Marie

Franck Marie est responsable du système d’information, web & numérique, pour le réseau des médiathèques de Massy. Suite à l’atelier « 45 minutes pour comprendre les algorithmes », F. Marie répond aux questions du Bulletin des bibliothèques de France et explique notamment pourquoi la culture informatique constitue un enjeu majeur pour les bibliothèques de lecture publique. Des exemples détaillés d’actions ainsi que la question des compétences des professionnels de l’information sont également évoqués.

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BBF : Quelles sont vos missions au sein du réseau des médiathèques ?

Franck Marie : J’ai intégré le réseau des médiathèques de Massy en 2017 au lancement du projet de réinformatisation du réseau en tant qu’administrateur fonctionnel du système intégré de gestion de bibliothèque (SIGB), du portail et des espaces publics numériques (EPN). Je suis en lien constant avec les autres services de la ville notamment la direction des systèmes d’information (DSI) et la direction de la communication (à travers le service transversal de la communication du réseau des médiathèques). J’assure la supervision de nos outils informatiques, la production d’indicateurs statistiques, le bon fonctionnement et la sécurité des solutions. En interne, j’assure la formation des membres de l’équipe sur les différents outils (logiciels métiers, matériels, ressources numériques, solutions diverses…).

Suite à la réinformatisation, nous avons réorganisé et fortement développé notre offre de ressources numériques qui représente aujourd’hui notre deuxième poste de dépenses derrière les imprimés (24 % du budget d’acquisition total en 2020).

J’interviens dans le choix des fournisseurs de ressources en lien avec la responsable des collections et les responsables des pôles. J’assure le suivi, la gestion technique et l’intégration des offres dans notre catalogue et sur le portail (suivis statistiques, contrôle des quotas d’usages, permanence du service, des accès…).

J’assure également le suivi et l’animation d’un comité de pilotage numérique composé de membres de l’équipe des médiathèques. Ce comité a pour but d’imaginer et de proposer des services numériques innovants à destination des publics. Un certain nombre de services et d’actions concrètes ont pu être expérimentés et proposées à l’initiative de ce comité.

Enfin, j’interviens dans la mise en place des actions culturelles en lien avec le numérique : actions spécifiques de formations (ateliers numériques), permanence numérique ou « Journées de présentation des ressources numériques ». Nous avons programmé « 45 minutes pour comprendre les algorithmes » dans le cadre de ces journées du numérique.

Comment est né le projet de l’atelier « 45 minutes pour comprendre les algorithmes » ?

Les « Journées du numérique » entrent dans le cadre des actions culturelles régulières. Nous organisons deux fois par an ces actions (en mars et septembre), avec pour objectif de sensibiliser les usagers aux multiples services et offres numériques proposés par le réseau des médiathèques de Massy. Les expériences antérieures de ces journées nous ont permis de constater que, bien qu’informés lors de leur inscription dans les médiathèques, il est très fréquent que les usagers découvrent ou redécouvrent l’existence des ressources ou des services mis à leur disposition. Ces journées permettent une réappropriation de cette « 3e médiathèque » qui nécessite constamment d’être médiatisée.

Au cours de ces journées, la médiatisation est menée par les bibliothécaires en contact direct avec les usagers dans les espaces publics des médiathèques. Des écrans de projection, des ordinateurs portables, tablettes et liseuses permettent aux agents de présenter les services, et aux usagers d’expérimenter les offres du portail au gré de leur intérêt. Le service communication met à notre disposition un large éventail de supports papier afin d’inciter les abonnés à accéder à leur compte et aux ressources dès leur retour chez eux.

Au-delà de cette médiation, des interventions spécifiques peuvent être organisées durant ces journées. Des « temps forts » qui peuvent être proposés sous différentes formes (présentation d’un acteur local dans le domaine du numérique, d’une offre de ressources numériques, d’une pratique numérique, d’une conférence en lien avec la culture numérique…). Lors de la session de mars 2020, nous avions invité l’association IRIS, association massicoise (loi 1901) animée par des bénévoles ayant pour objectif de démocratiser la pratique informatique en proposant des formations accessibles à tous sur le territoire de Massy.

Dans le cadre de cette journée, IRIS prévoyait d’animer un point d’information dans l’espace public. Mais Pascal Fau, directeur de l’association, et Mohamed Bouali (docteur de l’université de Compiègne en sûreté de fonctionnement en informatique et automatique travail, et membre de l’association) nous ont proposé également d’animer le temps fort sur la thématique des algorithmes.

Nous redoutions que la notion d’algorithmes paraisse trop technique et puisse dissuader certains publics de participer à cette action de vulgarisation. Mohamed Bouali nous proposa plutôt d’intervenir sous la forme de conférence courte, à destination du grand public, suivie d’échanges avec les participants dans un format très convivial en milieu d’après-midi.

La notion d’algorithmes permettait de servir de « porte d’entrée » à de multiples questions liées à la « vie numérique » émanant du public lui-même. Cette proposition nous a donc très vite paru particulièrement intéressante par les multiples possibilités de donner une suite en termes d’actions culturelles.

Depuis longtemps, nous étions conscients de la nécessité de nous positionner comme lieu d’information et de ressources vis-à-vis des grandes thématiques liées au numérique. Au-delà de l’initiation à la pratique des outils informatiques (qui figurent dans nos actions régulières), la « culture numérique » au sens large reste un domaine insuffisamment traité alors même que les médiathèques figurent comme un des principaux acteurs de la question numérique.

Qui sont les publics cibles de cette action ?

Malheureusement, les différents confinements nous ont contraints à repousser successivement l’organisation de cette journée du numérique prévue initialement avec l’association IRIS.

En 2021, nous avons décidé avec Patrick Fau et Mohamed Bouali de proposer l’intervention en distanciel, faute de pouvoir accueillir le public dans le cadre de la crise sanitaire. L’intervention a été diffusée en direct et enregistrée afin d’être montée, sous-titrée et proposée en replay pendant un mois sur le site des médiathèques.

L’action a été annoncée et relayée par nos canaux de communication numérique (réseaux sociaux, e-mails, site web des médiathèques) et supports imprimés (programmation culturelle). Le mode d’accès à la conférence écartait de fait les publics les plus éloignés de la culture numérique. Cependant, un grand nombre de participants ont pu découvrir nos structures respectives, ce qui était un de nos objectifs. Mieux encore, le réseau des médiathèques a pu être perçu comme un acteur engagé sur la diffusion de la culture numérique.

L’idée de renouveler l’opération, en présentiel cette fois, est en cours de discussion sans toutefois pouvoir la planifier en raison de l’évolution encore incertaine de la crise sanitaire.

Avez-vous mis en œuvre des dispositifs d’évaluation de l’atelier ?

La réponse tient beaucoup à la réorganisation de la conférence en distanciel. L’un des objectifs du projet était une sensibilisation du public à l’omniprésence du numérique et aux multiples questions soulevées par cette évolution.

Le second objectif, en prolongement du premier, était de faire évoluer la perception que peut avoir l’usager des médiathèques en les plaçant comme des acteurs crédibles dans leur aptitude à y apporter des réponses.

L’évaluation s’est faite essentiellement quantitativement, sur le nombre de participants connectés à la conférence lors de sa diffusion, puis sur le nombre de vues en replay durant le mois qui a suivi.

Qualitativement, nous étions attentifs aux retours des participants, lors de la période d’échanges, et plus particulièrement aux questions qui ont été soulevées par le public. Comme nous nous y attendions, les sujets d’actualité sont arrivés très vite (sécurité, vie privée, fake news, protection des enfants, les bons usages, les communs numériques, la citoyenneté numérique…).

En conclusion, il a été fait mention du rôle des bibliothèques vis-à-vis des questions qui ont été formulées. Ces indicateurs sont autant d’éléments à intégrer dans l’élaboration des thématiques abordées dans nos futures programmations.

Pourquoi avoir choisi le thème des algorithmes plutôt qu’un thème tourné vers une dimension plus pratique par exemple ?

Le thème des algorithmes était un point de départ permettant de rebondir rapidement sur d’autres questions liées à l’irruption du numérique. Une grande partie des outils numériques utilisés par le grand public a recours aux algorithmes, il devient alors facile de proposer des thématiques « clés » soulevées par les participants, comme le GPS, l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux…

Quelle serait votre définition de la culture informatique ? Et quel rôle peuvent jouer les professionnels de l’information et des bibliothèques ?

La culture informatique est un enjeu de premier ordre pour les médiathèques. L’autonomisation des publics, la lutte contre l’exclusion numérique font partie de nos missions. Dans mon cadre professionnel, je la définirais comme « l’ensemble, aussi stable et adapté que possible, de savoirs et de savoir-faire qui permettent d’être à l’aise face à l’ordinateur et aux outils informatiques » 1

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Charles DUCHÂTEAU, « Peut-on définir une “culture informatique” ? », dans JRI (Journal de Réflexion sur l’Informatique), Institut d’Informatique, FUNDP, Namur, no 23/24, octobre 1992, p. 34-39.

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La définition pourrait être plus large aujourd’hui, notamment avec les réseaux, mais elle correspond assez précisément à ce qui fait « fracture » et sur lequel on attend un positionnement fort des bibliothèques, bien que l’enjeu dépasse de loin leur périmètre.

Ainsi, le rôle que peuvent y jouer les professionnels n’est pas facile à définir. De l’accès à l’information à l’accompagnement « pratique » en vue d’une autonomisation, il y a un monde qui dépasse, par certains aspects, les compétences attendues d’un bibliothécaire.

Néanmoins, la médiathèque comme espace d’accès à l’information, de partages, d’échanges et de formation est un nouveau contexte qui permet d’avancer. En ce sens, le champ des initiatives est vaste, et le recours aux partenariats permet d’intégrer des ressources éventuellement manquantes. À ce titre, notre expérience avec IRIS est un succès.

Les ressources numériques mises en ligne ne pourront être rendues accessibles à tous les usagers qu’avec une médiation, un effort porté vers l’usager sous des formes toujours à définir, à inventer. Chaque jour nous sommes sollicités par des publics en demande d’aide. Les collégiens qui, bien que maîtrisant leur smartphone sur le bout des doigts, sont en difficulté dès qu’un document doit être construit, organisé, mis en page, illustré de façon collaborative. Les demandes d’impressions, de scan, d’accès aux sites sont des demandes quotidiennes d’un nombre significatif d’usagers.

L’une des premières causes de la fracture numérique est liée à l’équipement. Les confinements nous ont montré à quel point le sous-équipement des familles pouvait être facteur d’exclusion. Nous avions abordé à diverses reprises à travers notre comité de pilotage numérique la possibilité de prêter des équipements informatiques (au même titre que des liseuses) : tablettes, ordinateurs portables… mais nous en sommes aujourd’hui encore à l’état de projet, dont la mise en place reste loin d’être actée.

Comme déjà indiqué, la crise sanitaire a considérablement ralenti notre travail sur les projets numériques initiés en 2019-2020. Parmi les projets en cours, je pourrais citer :

  • La « Permanence numérique » : il s’agit d’une permanence hebdomadaire d’une durée d’1 h 30, durant laquelle nous proposons notre aide à tout usager en difficulté avec son ordinateur, tablette ou smartphone. L’accueil n’excède pas 15 à 20 minutes par usager mais suffit pour que ceux-ci puissent exposer leur problème informatique et que nous puissions apporter des éléments de réponse.
  • Le bar à tablettes : cette action n’a pas été lancée compte tenu de la crise sanitaire. Il s’agit de la création d’un espace dans lequel des applications pourront être testées grâce à la mise à disposition en libre accès d’un lot de tablettes. Le projet s’appuie sur l’usage partagé de la tablette (bibliothécaires et/ou parents et enfants). Cet espace permettra notamment de proposer des applications adaptées aux différentes classes d’âges sur des supports adaptés à l’âge des utilisateurs.

L’objectif est ici de sensibiliser les parents à l’éducation numérique par une expérience partagée avec les plus jeunes. Des supports d’information pourront être utilisés par les bibliothécaires pour conseiller les parents et enfants dans l’usage approprié des écrans dans le cadre familial…

Vous avez mobilisé l’association IRIS. Comment avez-vous travaillé avec l’intervenant pour préparer son intervention ?

Après plusieurs échanges, la volonté croisée des deux structures dans la lutte contre la fracture numérique a permis une mise en place rapide avec des objectifs communs.

Nous avons l’habitude, dans le réseau de Massy, de travailler sur des outils partagés, chartés et standardisés (fiches actions uniques, calendriers partagés, recensement des matériels et softs nécessaires, communication…), ce qui facilite grandement la communication interne et la compréhension du projet ou de l’action par tous.

Dans notre rapport avec IRIS, nous avons contractualisé l’intervention comme nous le faisons avec tous nos intervenants.

Enfin, la réorganisation de l’intervention (pour être diffusée à distance plutôt qu’en présentiel) a pu être menée facilement compte tenu des compétences techniques disponibles tant du côté de l’association IRIS que de la ville.

Quels conseils donneriez-vous à des collègues qui souhaiteraient organiser ce type d’événement ?

Je voudrais insister sur la démarche en amont des médiathèques sur le thème du « numérique ».

La question du numérique en médiathèque se heurte en particulier aux difficultés liées au manque de compétences – réel ou supposé – au sein des équipes. Nous avons donc décidé d’organiser notre réflexion à partir des attentes des différents publics plutôt que des solutions technologiques elles-mêmes.

Lors de la création du comité de pilotage, le fait de pouvoir librement proposer des actions ou des services à destination des publics, en mettant de côté dans un premier temps l’aspect technique ou financier a eu un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’équipe. Dans ce cadre, nous nous donnons le droit d’essayer et d’expérimenter, avec la possibilité de se tromper, de reconstruire ou de proposer autre chose, mais sans jamais perdre de vue le public et les objectifs pour lesquels nous avons proposé l’action.

C’est dans ce climat de confiance que les initiatives et propositions se sont peu à peu « libérées », et que des idées ont pu émerger puis être testées. Ces tentatives ont pu être élaborées avec une forte adhésion des membres de l’équipe.

Le résultat s’est encore confirmé lors du premier confinement par la création d’actions réalisées en collaboration intégralement à distance par les bibliothécaires et mises en ligne en quelques jours (podcasts, vidéos, tutoriels…). Les captations, créations de bandes-son, montages, sous-titrages puis diffusions ont été réalisés par des travaux individuels successifs avec une majorité des membres de l’équipe dans les conditions du travail à distance contraint.

Un second exemple est la mise en place (dans le même contexte) de l’inscription intégralement dématérialisée. Les usagers inscrits à distance pouvaient accéder à l’offre numérique mais aussi à tous les services numériques en quelques minutes, via un simple formulaire et un échange par e-mail.

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