Décoder les fausses nouvelles et construire son information avec la bibliothèque

Bruno Méraut

Salomé Kintz (dir.)
Décoder les fausses nouvelles et construire son information avec la bibliothèque
Presses de l’Enssib, 2020
Collection « La Boîte à outils », n° 48
ISBN 978-2-37546-121-1

En 2015, les attentats de Charlie Hebdo furent un choc violent pour la France. Deux ans plus tard, suite à la campagne électorale américaine et l’élection de Donald Trump, le terme fake news est consacré par le dictionnaire Collins comme le mot de l’année. Même si les fausses nouvelles n’ont rien de nouveau, notamment en période de guerre, l’importance qu’elles prennent dans le débat public s’avère inédite. Et ces deux évènements, bien que totalement indépendants, ont démontré plus que jamais l’importance pour chacun d’être capable d’analyser l’information et de construire son cheminement de pensée dans une nébuleuse de propagandes, satires et manipulations.

Construit en trois parties, cet ouvrage collectif propose d’abord de comprendre les différentes sortes de fausses nouvelles, les mécanismes qui les construisent et leurs effets. Ensuite, il développe, exemples concrets à l’appui, en quoi les bibliothèques sont des atouts puissants pour l’éducation aux médias et à l’information. Enfin, des pistes sont avancées pour renforcer l’action des bibliothèques et envisager le développement de l’éducation aux médias et à l’information (EMI).

En tant que médiateur numérique rattaché au service de lecture publique d’une collectivité de taille moyenne, j’ai mis en place et animé de nombreux ateliers d’EMI en direction de publics variés.

La lecture de cet ouvrage m’a apporté des arguments supplémentaires pour justifier la mise en place de tels ateliers, fourni des sources pour en élaborer de nouveaux et conforté dans ma façon de procéder.

Ainsi, dans le chapitre « Comprendre la malinformation et contrer les mécanismes inédits de l’infox », Divina Frau Meigs analyse, schémas éclairants à l’appui, les typologies, les impacts possibles et l’écosystème de la « malinformation ». Cette dernière se trouve grandement favorisée par le passage du web 1.0 au 2.0, du web descendant au web social, qui déplace dès lors le débat : « La question du code et de son apprentissage a été remplacée par celle des données et des algorithmes. » En quelques pages, elle arrive à expliquer les e-stratégies de l’infox (traduction au Journal officiel du terme fake news) : viralité, monétisation, automatisation, biais cognitifs…

L’ensemble des observations faites sur les pratiques informationnelles, notamment celles des adolescents, a conforté mon analyse personnelle : ce n’est pas parce que les jeunes vont sur les réseaux sociaux qu’ils leur accordent une confiance aveugle. La télévision reste un repère plus fiable selon eux. En revanche, les jeunes générations tendent à une linéarité de l’information sans nuance : c’est vrai, ou bien c’est faux.

Le rapport à l’information diffère selon les milieux sociaux mais globalement, les techniques de vérification de l’information restent sommaires : les jeunes savent qu’ils devraient vérifier leurs sources, mais ne le font pas, ou mal. C’est toujours mieux que les seniors, qui, selon de nombreuses études, sont souvent les plus enclins à partager de fausses informations.

Dans le meilleur des cas, comme le souligne Valérie Robin : « L’EMI ne saurait se réduire à la connaissance ou à la maîtrise technologique des médias qui permettrait ensuite de développer et d’exercer son esprit critique. L’enjeu semble plutôt être du côté de la construction d’une culture commune qui favorise du collectif, du débat, du contradictoire et une posture réflexive. »

En ce sens, elle rejoint Raphaëlle Bats qui appelle à assumer le rôle politique des bibliothèques en favorisant ce qu’elle nomme la « parole libre » (l’accès libre et gratuit à une offre plurielle, couplée à une capacité d’évaluation de l’information) et la « parole vraie » (par exemple, en exposant les parcours des personnes minorisées).

Dans cette bataille pour l’éducation aux médias, les bibliothécaires sont au premier rang, au même titre que les enseignants et les journalistes. Assumer ce rôle leur est pourtant parfois difficile, le terme d’éducation rebute certains. Leur légitimité est pourtant évidente : leur métier est de sélectionner et trier de l’information pour donner des pistes de réponse. Dans le contexte des fake news, leur posture et celle qu’ils doivent encourager doivent toujours être celle d’un scepticisme réflexe : toujours accorder plus de crédit aux faits plutôt qu’aux opinions.

Ainsi, si l’EMI est souvent dévolue aux médiateurs culturels, aux animateurs numériques ou à des volontaires en service civique, tout agent en contact avec du public peut être amené à sensibiliser le public à l’esprit critique. Comment ? En développant des savoirs, savoir-faire et savoir-être (l’écoute, la neutralité) qui se rapprochent souvent de l’éducation populaire. Selon Kathrin Reckling-Freitag (p. 211) : « Pour proposer une offre pédagogique satisfaisante en bibliothèque, nous n’avons pas besoin d’être pédagogues ou didacticiens. Nous n’avons pas non plus besoin d’être mécaniciens pour conduire une voiture. […] Une formation de base en pédagogie, didactique et pédagogique est donc importante et nécessaire. »

Cet ouvrage très concret propose un panel d’actions d’éducation aux médias et à l’information, selon diverses approches pour différents publics. Les exemples sont très variés : du Parcours Média de la Bpi aux ateliers de la BnF, en passant par les actions de la Bibliothèque municipale de Lyon et celles de la Bibliothèque universitaire de Rennes-1, et même par un serious game allemand. L’expérience menée par la bibliothèque départementale de l’Hérault juste après les attentats contre Charlie Hebdo fait partie, selon moi, des plus marquantes : un mois après, « l’équipe de la médiathèque accueillait les usagers dans une bibliothèque vidée de ses collections et privée d’accès à Internet ».

Pour mener de telles actions, les bibliothécaires ont néanmoins besoin d’acquérir une culture de l’information, de comprendre les mondes numériques et de développer des notions de pédagogie.

L’offre de formation existante ne demande qu’à être étoffée.

Grâce à cet ouvrage, les professionnel.les du livre pourront ainsi développer leurs connaissances et leurs compétences, et même se divertir en découvrant quelques articles surprenants sur les différences de traitement de l’EMI en Allemagne, ou les pratiques de documentation des journalistes de Radio France.