Un monde de bibliothèques
Éd. du Cercle de la Librairie, collection «Bibliothèques», 2019, 349 p., ill.
ISBN 978-2-7654-1581-7 : 69 €
« Un monde de bibliothèques » nous invite dans les espaces publics de quarante bibliothèques, mais aussi dans les coulisses de leur histoire et de leur conception, à travers cinq continents et vingt-cinq pays. L’ouvrage propose trois escales, d’abord en Europe, puis dans les Amériques et pour finir en Afrique, Asie et Océanie. Le continent européen est le plus représenté, avec vingt-quatre bibliothèques en Allemagne, Autriche, Bélarus, Croatie, Danemark, Espagne, Finlande, Italie, Lettonie, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni (Écosse et Angleterre), Russie, Suisse, Vatican. Au sein de l’Europe, on trouve davantage de bibliothèques des pays du nord, les Pays-Bas et l’Allemagne présentant chacun jusqu’à quatre bibliothèques. Les Amériques concernent essentiellement l’Amérique du Nord : États-Unis et Canada – trois bibliothèques chacun. Le Mexique représente l’Amérique latine à lui seul avec deux bibliothèques. En Afrique, en Asie et en Océanie, huit bibliothèques de sept pays – Maroc, Égypte, Chine, Japon, Philippines, Qatar et Australie – ont été distinguées.
Au sein de cette répartition – qui ne marque pas de grandes différences liées à l’aire géographique et culturelle –, l’organisation interne de chaque partie suit l’ordre alphabétique par pays – ce qui n’est pas visible à la première lecture, les titres ne mentionnant pas toujours le pays.
Cet ouvrage collectif réunit les contributions de trente-neuf auteurs. La présentation de leurs titres, de leur parcours professionnel et de leurs actions assoit immédiatement le caractère scientifique des contributions. Nous ne sommes pas devant un guide touristique de jolies bibliothèques. L’ambition de l’ouvrage s’exprime à travers le choix des contributeurs, professionnels des bibliothèques, experts de leur histoire, spécialistes des sciences de l’information, acteurs de leur développement, responsables reconnus.
Si l’ouvrage se prête parfaitement à un butinage au gré de la curiosité ou d’une recherche plus exigeante, l’introduction mérite une lecture à part entière. Julien Roche, directeur de l’ouvrage, dresse un panorama très actualisé des évolutions majeures qu’ont connues les bibliothèques et rappelle, exemples et chiffres à l’appui; la place qui leur est reconnue.
Cette riche introduction est illustrée de photos de nombreuses bibliothèques françaises. Aucune n’est présentée dans la suite de l’ouvrage. Ce choix est assumé, l’objectif étant bien de nous inviter à regarder ailleurs, à faire le pas de côté dans une démarche de bibliothéconomie comparée – que l’on expérimentera d’autant mieux en partant à l’autre bout de la planète et en commençant par la dernière partie du livre. On peut saluer la qualité du travail de traduction des articles écrits en allemand, anglais, espagnol, italien, japonais, russe…
Les bibliothèques présentées sont diverses : universitaires, de lecture publique, nationales, privées, spécialisées, certaines très renommées, d’autres beaucoup moins connues. Plusieurs pages présentent les richesses, les atouts, l’ambition de la bibliothèque. Ces présentations obéissent à un cahier des charges qui dessine en filigrane un chemin menant le lecteur de la bibliothèque d’hier à aujourd’hui. On aborde ainsi l’histoire de l’institution, toujours comprise dans l’histoire plus large de sa tutelle, de sa ville et de son pays. Plusieurs paragraphes sont ensuite consacrés au bâtiment et à son interaction avec son environnement. Ces édifices impressionnants créent une attractivité importante et participent à la visibilité de l’institution, de la cité et du pays. Les auteurs décrivent leur bibliothèque avec minutie et passion, insistant sur leur intégration à leur environnement et leur rapport aux autres bâtiments du site. Ils évoquent le rôle de déclencheur qu’ont pu avoir celles-ci, souvent à l’origine d’une rénovation, réhabilitation ou développement d’un quartier (campus ou espace urbain, à Barcelone, Amsterdam ou Spijkenisse, entre autres). Le geste architectural peut aussi receler un sens symbolique célébrant la connaissance et les savoirs produits par l’intelligence humaine, et exprimé par la forme du bâtiment (cerveau humain pour la bibliothèque de philologie de Berlin, diamant rhombicuboctaèdre de la Bibliothèque nationale de Bélarus).
L’aménagement intérieur et la mise en espace montrent la part belle faite à l’inventivité pour assurer la modularité entre zones de travail et de détente (à la Taylor Family Digital Library de l’Université de Calgary, 60 % des murs intérieurs sont déplaçables) mais aussi le confort par l’adaptation du mobilier (la bibliothèque d’Helsinki offre le choix entre huit types différents d’assises), le soin apporté à l’éclairage, l’acoustique, la connectivité. Ces espaces sont pourvus d’équipements technologiques de pointe au service de la créativité, de la recherche, de l’expérimentation (salles multimédias, FabLab, GameLab, ateliers de musique électronique, création numérique…).
Cette attention portée au bâtiment et à ce qui le compose montre, selon les auteurs, la volonté politique de traduire les principes démocratiques d’accès à la culture et à la connaissance. La bibliothèque est aussi l’expression de la grandeur d’un pays et de sa position – réelle ou souhaitée – dans le monde.
Les collections patrimoniales ne sont pas en reste. La plupart de ces bibliothèques peuvent s’enorgueillir de fonds anciens remarquables dont on lit avec intérêt l’histoire de leur constitution et la présentation de quelques-uns de leurs trésors (papyrus, tablettes d’argile, manuscrits, incunables, cartes…) et les actions de valorisation menées par les professionnels. Signe des temps, les auteurs insistent tout autant sur l’importance des ressources numériques, au centre de politiques documentaires détaillées. Les conditions d’accès aux espaces et aux collections sont précisées, de la plus restrictive à la plus large (la bibliothèque Vaticane accueille les chercheurs et étudiants sur accréditation tandis que la New York Public Library ouvre ses portes et ses collections à qui le souhaite). Une large place est faite aux services mis en place, qui installent les bibliothèques universitaires au cœur de la recherche, de la valorisation des productions scientifiques et les bibliothèques de lecture publique comme un acteur majeur des démocraties fondées sur l’accès libre et gratuit à l’apprentissage et à la connaissance. La vitalité des bibliothèques se manifeste, en outre, dans les coopérations nationales, participations à des projets européens ou internationaux, à des organisations mondiales, autant de marqueurs de l’engagement professionnel au niveau national et à l’échelle mondiale.
Les contributions se terminent sur une projection des bibliothèques dans l’avenir. Les auteurs partagent la réflexion stratégique à l’œuvre en donnant les orientations et les axes de développement qui ouvrent d’intéressantes perspectives à moyen et long terme pour continuer d’inscrire la bibliothèque comme un acteur anticipant et accompagnant les évolutions et les besoins de la société et apte à relever les défis. Il est question de la place du numérique, de la formation des professionnels, du soutien à la recherche et du libre accès aux travaux scientifiques et, toujours, d’excellence documentaire. En phase avec les préoccupations actuelles, plusieurs contributeurs mettent l’accent sur l’accessibilité et sur le respect de l’environnement avec un soin apporté aux performances énergétiques et climatiques pour une réelle durabilité.
On retrouve ainsi réunis dans chaque notice les critères qui justifient la sélection et la présentation de ces « grandes » institutions – les titres élogieux de chacune formant à eux seuls un kaléidoscope de leurs missions et des enjeux culturels, sociétaux, économiques auxquels elles répondent.
Il ne s’agit donc pas simplement d’un livre de photographies. Bien qu’une iconographie abondante illustre le propos : bâtiment de l’extérieur et espaces intérieurs, mettant en valeur l’architecture et les espaces tout autant que les services au public et les usagers eux-mêmes. Certaines photographies en pleine page disent le caractère majestueux de bâtiments conçus comme des écrins, en de grands gestes architecturaux. Les espaces intérieurs sont aussi mis à l’honneur, en particulier les élégants et lumineux atriums (Bibliothèque royale à Copenhague, nouvelle Bibliothèque à Riga, ou la Thomas Fisher Rare Book Library à Toronto). Ces bâtiments suscitent admiration, étonnement, voire une certaine fascination. Si la reproduction de pièces rares et anciennes rend visible aussi la fonction de conservation par les bibliothèques, on peut regretter que les espaces de travail soient absents alors même que plusieurs auteurs font mention de la réflexion qui a présidé au choix de leur disposition.
Une bibliographie courte permet de prolonger la lecture et d’approfondir la connaissance de l’institution.
Un encart en fin d’article présente des données chiffrées : superficie, nombre de documents, nombre de documents empruntés, montant du budget d’acquisition, nombre de personnels et d’ETP, de places de travail, d’entrées annuelles – détaillés en distinguant les consultations en ligne, les catégories de personnels, le budget par secteur d’acquisition ou par type de documents, les catégories de population desservie.
Si ces bibliothèques ont bien chacune leur identité, ces notices montrent que, par-delà leurs spécificités, elles marient esthétique, ergonomie, fonctionnalités, services innovants, collections spectaculaires et de haut niveau. Elles ont l’ambition de réussir la dialectique entre le lieu de travail, de solitude studieuse, le lieu de conservation et l’espace social de rencontre, d’échange, de consultation des fonds, de services personnalisés et collectifs. Ce tour du monde de quarante bibliothèques réussit une belle et indispensable démonstration qui confortera les professionnels et convaincra ceux qui s’interrogeraient encore sur le rôle et la nécessité des bibliothèques.