Pédagogies actives : mode d’emploi

Maud Puaud

Cet article, complété par un quiz, explore l’apport des pédagogies actives dans le champ de la formation des usagers en bibliothèque.

The article and the quiz that follows it explores the added value active brought by teaching methodologies in training library users.

Cet article se propose de tracer les grandes lignes des pédagogies actives dans un contexte particulier : celui des formations en bibliothèque. Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients. Il ne s’agit pas de promouvoir à tout prix l’adoption des méthodes actives à l’exclusion de toute autre : selon le contexte d’enseignement et les objectifs poursuivis, une séquence magistrale, démonstrative ou interrogative viendra compléter de manière heureuse une séquence basée sur les méthodes actives. Parfois, la méthode active n’est pas la plus indiquée : par exemple, dans le cadre de la découverte d’un nouveau logiciel dans un temps limité, on pourra privilégier une méthode démonstrative, plus efficace et exploitable. Ainsi, le plus souvent, une séquence joue sur le panachage de différentes méthodes.

« Un feu qu’on allume »
plutôt qu’un « vase qu’on remplit  1 »

Aujourd’hui, les méthodes actives sont parfois regroupées sous le terme « pédagogie innovante »… ce terme est quelque peu surprenant si l’on pense que cette démarche pédagogique a été théorisée dès le début du XXe siècle. Adolphe Ferrière, pédagogue suisse, a été parmi les premiers à utiliser l’appellation « école active » dans ses publications, dès les années 1920.

Les pédagogies Freinet et Montessori, plus connues, reposent sur le même principe : défendre une pédagogie autre que celle de la transmission, en s’appuyant sur les principes d’autodécouverte, d’apprentissage par soi-même, à son rythme et en fonction de ses préférences.

Freinet écrivait ainsi en 1964 dans ses Invariants pédagogiques : « La voie normale de l’acquisition n’est nullement l’observation, l’explication et la démonstration, processus essentiel de l’École, mais le tâtonnement expérimental, démarche naturelle et universelle » (Invariant pédagogique n° 11)  2.

Les pédagogies actives regroupent un ensemble de méthodes qui ont un point commun : le fait d’apprendre en faisant. C’est une approche constructiviste, qui se rapproche de la théorie de l’apprentissage conceptualisée par Piaget dès 1923, selon laquelle l’activité du sujet est indispensable pour se construire une représentation de la réalité qui l’entoure  3.

Les méthodes d’apprentissage actives ont en commun de placer les étudiants au centre du processus d’apprentissage : ils doivent être cognitivement actifs, c’est-à-dire penser par eux-mêmes, expérimenter, formuler des hypothèses, tâtonner parfois, découvrir en autonomie… Ils sont mis en immersion dans des situations tirées de la réalité qui sont signifiantes pour eux. La démarche d’apprentissage, qui donne aux apprenants plus de contrôle, est aussi importante que le contenu : l’accent est mis sur le processus de résolution du problème, de recherche de solutions.

La pédagogie active va plus loin que la pédagogie participative. En pédagogie participative, le formateur favorise les interventions des apprenants, mais dans le cadre d’un scénario pédagogique qu’il a lui-même dirigé. En pédagogie active, le participant apprend de son travail et prend du recul, réfléchit sur les bonnes pratiques en contexte réel. Ainsi, les quiz et votes relèvent-ils de la pédagogie participative… mais pas de la pédagogie active.

Voici quelques exemples de situations d’enseignement qui peuvent relever de la pédagogie active :

– résolution de problèmes ;

– apprentissage par projets (générer des apprentissages à partir de la production d’une réalisation concrète) ;

– études de cas (dans la mesure du possible apportés par les participants) ;

– coopération et collaboration par groupes sur une tâche ;

– discussions et débats ;

– jeux de rôles, simulations ;

– ludification ;

– création collaborative de carte conceptuelle, d’infographie, de blogs, de podcasts, etc. ;

– enseignement entre pairs ;

– auto-évaluation des apprentissages ;

– certaines techniques de créativité.

Les pédagogies actives : apports et freins  4

Les avantages de ce type de méthodes :

– Elles amènent un apprentissage en profondeur : autoréflexion, analyse, pensée critique, argumentation. Cela correspond particulièrement bien aux compétences informationnelles (recherche, évaluation, gestion de l’information). Elles favorisent le développement de compétences transversales (savoir-faire, savoir-être), apprentissages qui peuvent être transférables à des situations nouvelles.

– Les apprentissages sont plus durables et sollicitent moins la mémoire à court terme.

– Elles permettent d’augmenter le niveau de motivation, d’intérêt et d’engagement de l’apprenant pour les tâches qui lui sont proposées.

– En cas de travaux de groupe, elles augmentent la cohésion du groupe, le sentiment d’appartenance et la collaboration.

– Elles permettent aussi plus d’interactions avec l’enseignant, qui accompagne et peut proposer une rétroaction immédiate en cas de difficultés.

Les freins des méthodes actives :

– Elles sont chronophages, et nécessitent de réduire la quantité d’information assimilée (mais on gagne en qualité d’apprentissage).

– La place du formateur est plus difficile à trouver : il doit encadrer sans tout diriger, ne pas être au centre mais ne pas abandonner les étudiants à eux-mêmes.

– Ce type de méthodes peut provoquer une surcharge cognitive : dans ce cas, les apprenants peuvent se sentir dépassés et perdus ; il faut alors que le formateur les guide davantage.

– Les résistances côté participants peuvent être fortes.

– Elles demandent à la fois rigueur (dans la conception et l’organisation des activités) et souplesse (pour pouvoir s’adapter aux réactions des apprenants).

Des applications en bibliothèque

Les formations aux compétences informationnelles en bibliothèque, qui reposent sur l’expérimentation de savoir-faire et de méthodes plus que sur l’acquisition de savoirs, sont un terrain de jeu idéal pour les pédagogies actives qui s’y développent de plus en plus  5.

La place manque pour développer les multiples modalités de pédagogies actives mises en œuvre dans ce cadre. Les formations ludifiées prennent de l’ampleur : l’équipe de l’UPMC  6 a adapté ses formations sous fome de Murder Party, d’Escape Game ou de jeu vidéo  7… À l’université de Guyane, on pratique des jeux autour de l’Open Access et de la publication scientifique avec les doctorants  8. De nombreuses bibliothèques universitaires mettent également en place des visites ludiques de leurs espaces (Le Havre, Le Mans, Nantes…). La bibliothèque de l’Université catholique de Lille propose un jeu sérieux autour des compétences informationnelles  9.

D’autres se penchent sur la pédagogie par projets, par exemple à la BU d’Angers, avec un projet sur l’alimentation de notices Wikipedia donnant lieu à un travail approfondi sur la recherche et l’évaluation des sources  10.

Au sein même des séances de formation, et selon les phases d’apprentissage, on peut intégrer de très nombreuses activités basées sur la pédagogie active, en complément d’autres méthodes pédagogiques : étude de cas pratiques de recherche rencontrés par les participants, moments d’auto-évaluation des acquis et apprentissages, création collaborative de documents de synthèse…

La pédagogie active peut être en lien étroit avec les technologies numériques (cas du jeu vidéo Hellink à l’UPMC), ou beaucoup plus « artisanale » (un papier et un crayon peuvent suffire…).

Si vous êtes débutant en pédagogie active, commencez par introduire ces méthodes par petites touches, en insérant quelques activités dans votre séance : vous serez vite conquis par le succès de ces essais auprès de vos étudiants.

Illustration
Les pédagogies actives en 10 leçons

Pour aller plus loin

Un conseil de lecture indispensable : si vous lisez un peu l’anglais, courez emprunter cette bible du bibliothécaire-formateur, qui regorge d’exemples pratiques d’activités, voire de séances complètes : Andrew Walsh et Padma Inala, Active Learning Techniques for Librarians : Practical Examples, Cambridge : Chandos Publishing, 2010.

Les sites web d’Andrew Walsh, Making games for Libraries 11 et Innovative Libraries 12, sont également très riches.

Il partage en accès libre un bon nombre de ses articles, documents de travail et livres  13, et notamment les versions successives de son ouvrage à paraître, The librarians’ book on teaching through games and play 14.

Pour une bibliographie plus fournie, n’hésitez pas à visiter le groupe Zotero dédié aux pédagogies actives et à y participer  15.

Quiz – Formateur, formatrice, où en êtes-vous ?

Dans quel profil vous reconnaissez-vous le plus ? Cochez, pour chaque item, les phrases dont vous vous sentez le plus proche  16.

– Mes qualités en tant que formateur :

A. la constance, le respect du programme et du temps, la fiabilité

B. le dynamisme, l’énergie, l’écoute

C. l’enthousiasme, le charisme, la pédagogie, le leadership

D. le pragmatisme, l’efficacité, le côté concret

– Pour moi, le formateur, c’est :

D. le détenteur d’un savoir-faire qu’il doit transmettre à ses apprenants via la pratique et la démonstration

A. le détenteur d’un savoir qu’il doit transmettre à ses apprenants via la parole

B. celui qui doit faire évoluer les pratiques pour améliorer le quotidien des apprenants

C. celui qui donne du sens, stimule, pousse à la réflexion, provoque le débat

– Si j’étais un objet :

C. une boussole

A. un livre

B. une éprouvette

D. un mode d’emploi

– Pour moi, l’essentiel dans la formation, c’est :

D. d’accompagner l’apprenant pas à pas, en lui montrant le chemin

B. que chaque individu soit soutenu, se sente bien, pour acquérir l’autonomie nécessaire et découvrir par lui-même

C. de remettre en question, de faire naître la curiosité, de sortir du quotidien

A. la maîtrise du contenu par le formateur, dont la compétence et l’expertise sont reconnues

– Ma position par rapport aux acquis des apprenants :

B. Je mobilise les bagages et l’expérience personnelle des apprenants pour résoudre le problème donné

A. Pour introduire un nouveau savoir, je pars du principe que les apprenants sont tous au niveau zéro

D. Je prends en compte les acquis et les expériences des apprenants qui ont tous des niveaux différents auxquels je dois m’adapter

C. Pour moi, l’apprenant possède des éléments de connaissance de départ qui lui permettent de découvrir certaines vérités avec l’aide du formateur

– Contrôle ou improvisation ?

A. J’ai besoin de garder le contrôle sur ce qui se passe dans ma formation et de planifier les choses : c’est au groupe de s’adapter à ce que j’ai prévu, pas l’inverse

C. Je sais rebondir, improviser, je passe parfois par des chemins détournés ou des voies de traverse pour arriver au but

B. Je suis plutôt à l’aise avec l’improvisation et la prise de risque qui permettent d’expérimenter

D. Je peux m’adapter à différentes situations ou difficultés rencontrées par les apprenants pour les aider à progresser

– Mon rapport au groupe / aux individus :

B. Je favorise les interactions entre apprenants pour qu’ils apprennent les uns des autres : je suis juste là pour donner le cadre et apporter un feedback

A. Je m’adresse au groupe dans son ensemble, pas aux individus

C. Je dois amener les apprenants tous ensemble vers un objectif commun : je m’intéresse donc plutôt à la dynamique de groupe

D. Je prends chacun en compte dans ses spécificités pour qu'il puisse progresser à son rythme

– La documentation associée à mes séances :

D. J’utilise des démonstrations basées sur des outils éprouvés et appuyées sur une documentation détaillée, ainsi que de nombreux exercices d’application ; cela me permet d’alterner théorie et pratique

A. J’utilise des outils de présentation et des documents complémentaires que je passe beaucoup de temps à préparer

C. J’ai peu de documentation annexe, car je sors parfois du cadre fixé, mais elle est percutante et imagée

B. J’ai peu de documentation annexe car je demande aux apprenants de la co-construire en fin de séance

– Sur quelle organisation repose ma séance ?

B. Je fais travailler mes apprenants seuls ou par petits groupes sur une question / un problème donné qu’ils doivent résoudre

C. Je questionne beaucoup les apprenants et je soumets les réponses des uns aux autres, je fais ensuite le point en apportant des compléments

D. Je propose des formations centrées sur la manipulation des outils de recherche qui permettent aux apprenants de s’entraîner

A. Je donne des informations complètes et exhaustives appuyées par de la documentation, mes explications sont claires et structurées, mes apprenants prennent beaucoup de notes

– Le rapport à l’apprentissage :

D. Je privilégie la compréhension des informations transmises à la quantité pour être sûr que chacun parvienne à l’objectif ; je n’hésite pas à jouer sur la répétition

B. Les erreurs et le tâtonnement permettent aux apprenants de progresser dans leur compréhension

C. Les apprenants ne sont pas là simplement pour assimiler des connaissances : je les amène à se questionner sur eux-mêmes

A. Je privilégie la quantité d’informations transmises, car il me semble essentiel que les apprenants repartent avec tous les éléments en main

Résultats

Majorité de A.  : PROFESSEUR.E – Tendance expositive / magistrale

Ce que je peux gagner dans les pédagogies actives :

– un meilleur relationnel avec mon groupe

– une meilleure mémorisation (les savoirs et savoir-faire sont intégrés par l’expérimentation)

– me centrer sur l’essentiel

– faire le lien entre la théorie et la pratique

Majorité de B.  : ANIMATEUR.TRICE – Tendance active ou coactive

Ce que je peux gagner dans les pédagogies actives :

– je les utilise déjà beaucoup dans mes formations qui sont basées sur l’expérimentation et le travail de groupe

– je peux cependant être attentif aux risques qui me guettent : le dépassement du temps, le manque de rigueur et de cadre, le manque d’apports théoriques, un trop grand investissement émotionnel

Majorité de C.  : GUIDE, MAÏEUTICIEN.NE – Tendance interrogative

Ce que je peux gagner dans les pédagogies actives :

– un enseignement moins guidé, un peu moins scolaire

– une plus forte innovation et autonomie de la part des apprenants, qui trouveront

eux-mêmes les solutions

– plus d’empathie avec les apprenants (intérêt porté aussi vers les personnes, plus seulement vers le groupe)

Majorité de D.  : DÉMONSTRATEUR.TRICE – Tendance démonstrative / déductive

Ce que je peux gagner dans les pédagogies actives :

– une proximité accrue avec les apprenants (prise en compte de la dimension humaine, de leur comportement)

– plus de dynamisme

– plus de souplesse

Aucune majorité ne se dégage ? Vous vous situez entre plusieurs tendances ? Vous maniez sans doute différentes méthodes selon le contexte et les objectifs d’apprentissage…

Illustration
Quiz – Formateur, formatrice, où en êtes-vous ?