Scènes de vie en bibliothèque
Voyage en Alcazarie
José Rose
ISBN 978-2-343-13152-8 : 17,50 €
Au mois de février 2018, le ministère de la Culture et de la Communication faisait paraître le rapport rédigé par Erik Orsenna intitulé Voyage au pays des bibliothèques. Lire aujourd’hui, lire demain. Quelques mois auparavant, c’est un autre récit de voyage en bibliothèque qui était publié par les éditions de L’Harmattan sous la plume d’un sociologue, José Rosé, connu et reconnu pour ses travaux sur l’insertion professionnelle et l’emploi des jeunes. Si le premier texte a été lu, commenté et critiqué, le second, qui n’a pas bénéficié de la même promotion, est tout aussi instructif pour les professionnels de la lecture publique.
C’est à la bibliothèque de l’Alcazar de Marseille, inaugurée en 2004, que l’auteur, récemment en retraite de l’université, séjourne pendant plusieurs mois. Arpentant les moindres recoins des départements et des secteurs mais aussi les abords de la médiathèque, propices aux pauses et aux conversations, il y saisit des scènes de vie et des portraits de lecteurs restitués dans la soixantaine de petites chroniques qui composent l’ouvrage.
S’il est impossible de résumer l’ensemble des réflexions, les observations du sociologue mettent en évidence la différenciation sociale des rapports à l’équipement, laquelle traduit des liens plus ou moins lointains avec le livre : « la jeunesse à deux vitesses » (p. 19), « la jeunesse qui fait ses devoirs faute de place à la maison » (p. 23), la fréquentation de la bibliothèque par les exclus, déjà examinée par le sociologue Serge Paugam et son équipe (p. 26), l’isolement et la déconnexion ou le travail de révision en groupe (p. 59), etc. Autant d’éléments qui rappellent le rôle essentiel que jouent les bibliothèques dans la mise en place des conditions propices à la diffusion et à l’acquisition du savoir.
À la lecture de l’ensemble des chroniques, le lecteur retient deux points notables. D’une part, la multiplicité des usages de l’équipement surprend, de l’usage programmé à celui plus imprévu. Et, d’autre part, il est frappant de découvrir que de nombreux usagers méconnaissent finalement la fonction des bibliothèques. José Rose enregistre par exemple les questions décalées posées à l’accueil : « Est-ce qu’on peut acheter des livres ? Où se situe le restaurant ? Je peux vous confier mes enfants ? » (p. 51). Les missions des bibliothèques et leur cadre normatif ne vont pas de soi, et ce, malgré l’éducation au livre et à la bibliothèque des publics scolaires réalisée par les professionnels.
Ce recueil de chroniques montre enfin que la lecture publique s’observe et s’écoute. Nombre de développements insistent sur les mouvements des usagers, des imprimés, des chariots de rangement et des corps sur les tables de travail comme celui, penché et relâché, de ce lecteur endormi sur un dictionnaire. José Rose pointe aussi à de nombreuses reprises les bruits de la bibliothèque. Paradoxalement, il est possible de comprendre le fonctionnement de cet équipement apparemment silencieux, par les sons qui s’y dégagent : des pages tournées des périodiques au cliquetis des CD défilant sous les doigts de l’usager (p. 140) en passant par les conversations de lecteurs, grands comme petits, peu familiers des lieux, et les discussions entre les bibliothécaires révélant les tâches ingrates du métier comme les tensions au sein des équipes (p. 154).
Au terme de ce voyage en Alcazarie, c’est bel et bien un éloge des bibliothèques que l’on vient de lire et qu’a voulu présenter subtilement José Rose. La bibliothèque est un lieu qui définit, stimule et accompagne la vie et la pratique culturelles, un « monde d’histoires à tiroirs » (p. 129), connecté à la société, à ses œuvres les plus magistrales comme à ses événements les plus tragiques (l’auteur fait le récit du recueillement organisé après l’attentat de Charlie Hebdo). Souhaitons que les descriptions de l’enquêteur-usager, ses brefs étonnements comme ses réflexions plus élaborées, puissent nourrir la dynamique des questionnements de la profession.