Autoformation : l’apprentissage buissonnier
Corinne Dupin
ISBN 978-2-7654-1538-1 : 30 €
Le livre de Corinne Dupin ose un pari : tenter de cerner les contours de l’autoformation, voie d’apprentissage multiforme et mouvante, dans une sphère professionnelle, celle des bibliothécaires, elle-même soumise à des évolutions constantes et qui touche à de nombreuses disciplines et champs d’intérêt. Difficile dans ce contexte de prétendre à une enquête exhaustive : ce n’est d’ailleurs pas l’objet de ce que l’auteure présente comme « un manuel pratique d’accompagnement », qui se propose d’étudier quelques-unes des facettes de l’auto-apprentissage et de guider le lecteur vers des ressources choisies.
La première partie, assez concise, étudie les ressorts et les motivations de l’autoformation, entre plaisir, nécessité et opportunité, et pose clairement les enjeux de ce type de pratique. L’auteure s’attache notamment à la question du numérique comme facteur facilitant dans les pratiques d’autoformation : la culture du numérique étant aussi celle de l’expérimentation et de l’essai-erreur, elle favorise une posture pédagogique où l’apprenant devient acteur et n’attend plus de recevoir verticalement le savoir d’un expert. Cette première partie pose aussi les enjeux pour l’individu, qui grâce à l’autoformation, gagne en autonomie et progresse sur la voie de l’empowerment 1. Cette idée est reprise dans la troisième partie, à la toute fin du livre, pour évoquer les vertus de ce type d’apprentissage. Corinne Dupin met à jour des motivations qui ne sont pas forcément les plus évidentes au premier abord : à côté du plaisir et de la curiosité, qui viennent spontanément à l’esprit lorsqu’on se demande quelles sont les raisons pour s’autoformer, apparaissent la peur et le besoin de réassurance face à un univers professionnel en constante mutation. L’auteure pose enfin la question du rapport à la tutelle et aux pairs : l’autoformation ne risque-t-elle pas de pallier un manque (de budget, de formations spécifiques, d’anticipation) ? Doit-elle être au contraire encouragée comme un nécessaire investissement personnel, qui permet d’adapter le service rendu aux usagers et de suivre les mutations du métier ? À cette question centrale, à mon sens, du positionnement par rapport à l’employeur et aux tutelles, reprise en conclusion, Corinne Dupin n’offre pas de réponse toute faite. Elle se contente de poser la question de manière ouverte, en préconisant un « juste équilibre » entre une légitimation nécessaire et une promotion « forcée » qui en constituerait un passage obligé et ferait perdre en liberté. La question du temps sur lequel se déroule l’autoformation (temps de travail ou temps personnel) n’est ainsi abordée que très furtivement dans l’ouvrage. Même constat pour la question des aménagements du temps de travail pour l’autoformation. Si la deuxième partie propose quelques exemples d’attitudes « facilitantes » de managers et d’équipes de direction, la question aurait sans doute mérité d’être approfondie.
La deuxième partie, la plus longue et la plus détaillée, est essentiellement descriptive et didactique. Elle cherche à formaliser et structurer une méthodologie de l’auto-apprentissage, en proposant un parcours très clair et progressif, de la pratique la moins impliquante à celle demandant le plus d’investissement personnel et de temps. Elle est jalonnée de fiches méthodologiques qui, si elles peuvent parfois paraître redondantes en regard du texte rédigé, reprennent les principales caractéristiques de chaque modalité d’autoformation, en expliquent le sens, l’intérêt et les enjeux, et proposent des prolongements. Ces fiches fonctionnent comme des encadrés récapitulatifs, qui synthétisent un chapitre contenant des exemples et des illustrations concrètes : on retrouve bien ici la visée didactique de l’ouvrage. On navigue ainsi de l’apprentissage « dans un fauteuil », avec la consultation de ressources en ligne, de blogs, de MOOC, jusqu’à l’apprentissage totalement immersif, en se mettant dans les pas de l’autre, en passant par l’auto-apprentissage d’observation et l’auto-apprentissage actif. L’intérêt de cette partie très descriptive est qu’elle propose des recettes pratiques d’autoformation, avec une sélection de ressources concrètes et mobilisables dont le choix, forcément restreint, est argumenté (par exemple, pour les blogs, des auteurs identifiables, des billets datés et mis à jour, des publications régulières…). Les lignes éditoriales ou centres d’intérêt des blogs, comptes Twitter ou groupes Facebook sont précisés, ce qui permet au lecteur désireux de s’autoformer de « faire son marché » en fonction de son profil de poste, de ses intérêts ou de ses aspirations. Le parallèle avec les pratiques de veille se fait de manière assez évidente (c’est le principal domaine d’expertise de Corinne Dupin, qui a derrière elle quinze ans d’expérience dans ce domaine et la publication d’un Guide pratique de la veille aux éditions Klog en 2014). Les deux pratiques présentent en effet des similitudes : posture active d’observation, attitude volontariste, angle sélectif et critique, utilisation de ressources pour enrichir sa culture professionnelle et nourrir sa propre pratique. L’autre apport de cette partie qui détaille les multiples facettes de l’autoformation dans le milieu professionnel des bibliothécaires, c’est surtout l’affirmation que l’autoformation n’est pas un exercice solitaire : même en s’autoformant, on apprend de, par et avec les autres, et c’est de la confrontation avec ses pairs que naissent les meilleurs apprentissages. Les exemples donnés par l’auteure sont nombreux, du plus « passif » (consultation de ressources mises en ligne par ses pairs : blogs, cours en ligne, tutoriels, supports de formation…) au plus engagé (stages à l’étranger, suivi au quotidien d’un pair dans ses activités), en passant par l’exploitation des réseaux sociaux ou encore les sorties « hors les murs » (journées d’étude, meetup 2, collectifs de personnes-ressources.). On aurait pu y ajouter les groupes d’échanges de pratiques (GeP), comme ceux organisés à la BU de Saint-Étienne, qui font partie intégrante de cette dynamique d’apprentissage fondée sur l’ouverture et l’altérité. La construction qui se fait jour n’est pas seulement celle de l’individu qui se transforme lui-même et gagne en autonomie et en responsabilité : c’est aussi celle de communautés apprenantes, où chacun peut apprendre de l’autre. On sort de la verticalité de l’apprentissage classique (un expert qui transmet le savoir) pour passer à l’horizontalité de l’apprentissage par les pairs.
La troisième partie, beaucoup plus courte, se concentre sur l’évaluation des effets et des résultats de ces pratiques d’autoformation, qui se fait essentiellement par autodiagnostic de l’apprenant lui-même. Les indicateurs peuvent être très concrets (atteinte d’un niveau opérationnel dans la réalisation de certaines tâches) ou plus diffus (évolution de sa crédibilité, sentiment de satisfaction…) L’évolution est le plus souvent sensible dans la capacité de mobiliser à plusieurs reprises les compétences nouvellement acquises, voire d’être capable de les transmettre à d’autres. L’auteure termine cette partie par un rappel des vertus de l’auto-apprentissage, qui permet à l’individu de se responsabiliser, d’apprendre en action et en interaction, et de se transformer lui-même. Cette plongée à l’intérieur de soi nous permet d’acquérir des compétences essentielles et transposables : organisation, créativité, compétences techniques et relationnelles… Ainsi que le souligne l’épigraphe de Socrate en tête du livre, « Que celui qui veut mouvoir le monde se meuve d’abord lui-même », quel meilleur levier de changement dans les organisations que de travailler sur soi et ses propres compétences, plutôt que de vouloir à tout prix changer les autres ?