Éditorial
Une bibliothèque non accessible est un non-sens. Ontologiquement, du point de vue de ses missions, de sa légitimité… : l’articulation entre l’encyclopédisme qui la fonde et l’impératif d’ouverture aux publics dans un but d’émancipation du citoyen, par l’usage de sa raison éclairée, semble être l’évidence apportant toute sa cohérence à l’édifice.
Pas de bibliothèque sans public. Pas de lecture sans lecteurs.
Une évidence pourtant pas si évidente à l’examen de nombreuses réalités, qui peuvent être de toutes natures.
Nombreux sont les obstacles, les accidents de vie, les parcours contrariés, les difficultés d’existences plus complexes que d’autres, qui font de l’accès à la lecture, sinon un chemin de croix, du moins quelque chose qui ne va pas de soi, alors même que c’est la lecture qui, première, est en capacité de fournir à de nombreuses personnes dont la situation est compliquée, des outils précieux : émancipation loin de la prison du corps, loin de la prison sociale, loin de l’enfermement de quatre murs parfois bien réels. Ce sont précisément peut-être les publics « empêchés » qui ont le plus besoin de pouvoir accéder à la lecture, en raison même de la nature (diverse) de leurs entraves.
Pendant longtemps, pourtant – et encore actuellement par bien des aspects –, c’était à la personne qui souffrait d’une situation d’empêchement de fournir quantité d’efforts pour parvenir à éventuellement atteindre plus ou moins miraculeusement le Graal du livre, quête qui impliquait que déjà un certain nombre d’obstacles psychologiques fussent levés par le désir ardent de lire.
La modernité des politiques de lecture (publique, notamment, mais cela vaut également désormais pour les problématiques d’accessibilité au savoir et à la documentation dans le monde universitaire) s’est précisément construite, de façon militante et engagée, à travers le paradigme inverse : c’est au livre, au monde du livre, à ses acteurs, d’aller le cas échéant au devant des publics, voire de ses « non-publics » afin d’en faire eux aussi des lecteurs…
Cette salutaire inversion paradigmatique s’est incarnée dans la législation puisque ce sont désormais aux établissements de veiller à être accessibles à tous, quels que soient les handicaps rencontrés. Ceci vaut bien évidemment au plan architectural (contrainte qui est loin d’être respectée partout, pour des raisons souvent budgétaires, et parfois encore par méconnaissance ou sous-évaluation des problèmes), mais aussi et surtout au plan des collections et de l’offre de services.
Veiller à ce que tous puissent accéder à l’offre proposée, y compris en termes de normes d’accessibilité numérique, quels que soient les situations de chacun, le handicap éventuel, la situation de vie, ponctuelle ou durable : personne ne peut être de facto écarté du champ de la lecture qui, plus que tout autre levier, fonde l’individu en sujet libre.
On le voit, par-delà les questions très concrètes, c’est un pilier philosophique qui est en jeu, pour la collectivité tout entière, comme pour la culture qui en est le fondement, avec en son cœur la liberté et ses indispensables corollaires, l’égalité et la fraternité. Plus que jamais en ce domaine, c’est la devise républicaine qui fait sens.