Un Petit Noir

Quand librairie, café et polar font bon ménage…

Jean-Pierre Barrel

Sise depuis 2013 au 57 montée de la Grande-Côte, dans le 1er arrondissement de Lyon, la librairie Un Petit Noir propose à tout un chacun un lieu où littérature policière et café noir se serrent harmonieusement. L’occasion de poser quelques questions à Jean-Pierre Barrel, libraire et maître des lieux.

The Un Petit Noir bookshop opened in 2013 in the heart of Lyon, offering customers a fine selection of crime novels to go with their coffee – a winning combination for anyone with a few hours to kill. BBF interviews the man in charge, Jean-Pierre Barrel.

Sise depuis 2013 au 57 montée de la Grande-Côte, dans le 1er arrondissement de Lyon, la librairie Un Petit Noir propose à tout un chacun un lieu où littérature policière et café noir se serrent harmonieusement. Que ce soit pour souffler dans l’ascension des pentes de la Croix-Rousse ou pour descendre dans les sombres sphères du polar, difficile de résister à la tentation d’une halte… L’occasion de poser quelques questions à Jean-Pierre Barrel, libraire et maître des lieux.

BBF • Essai de définition : où commence/s’arrête le genre policier ?

Jean-Pierre Barrel • Le genre policier n’existe pas sauf chez les chiens du même nom. Depuis la première moitié du XIXe siècle est apparu le roman d’enquête où le lecteur était mis à contribution pour résoudre un crime de littérature. Peu à peu, ce type de roman a acquis quelques lettres de noblesse, malgré certaines relégations dans les halls de gare. Le roman noir que je défends comprend les romans policiers (où une enquête est menée) et existe depuis bien plus longtemps. La Bible en est un parfait exemple, quoique plus proche du roman de gare avec ses crimes, ses trahisons et son machisme sous-jacent. Plus récemment, Dostoïevski, Doyle, Steinbeck, Faulkner, Fante, Simenon, Manchette… ont construit une littérature noire (opposée ou plutôt complémentaire à la blanche ?), dont le fond repose sur le contexte sociétal. À partir de ce contexte, une intrigue à base d’enquête peut être plaquée, créant les hard-boiled nord-américains dès les années 1930, ou les polars français (dénommés ainsi depuis la fin des années 1960). Résumé trop brièvement, voici ce qui permet de tenter de définir un genre qui n’en est pas un, un roman réaliste expliquant le crime par le contexte social, politique, environnemental…

BBF • Quels sont les critères du libraire spécialisé pour développer un fonds

dédié au polar ?

Jean-Pierre Barrel • A priori, les mêmes que pour n’importe quel fonds, une belle écriture et une histoire qui tient la route…

BBF • Quelles sont les grandes tendances actuelles dans le monde du polar ?

Jean-Pierre Barrel • Le monde du polar est heureusement très diversifié et il est difficile de dégager des tendances générales. Cependant, la société allant plutôt mal, le polar se porte très bien, beaucoup d’auteurs ayant des choses à dire. On peut noter qu’une des tendances est l’acceptation du polar comme objet littéraire au même titre que les livres non catalogués 1, ce qui est plutôt une bonne chose et le valorise enfin. Bien entendu, il existe de bons et de mauvais ouvrages pour chacun, qu’ils soient des polars ou autres.

D’autres tendances plus spécifiques : les auteurs français développent de plus en plus le polar « rural » (nature writing diraient les États-Uniens) ; la politique est très présente dans les romans européens et se développe également en Asie et en Afrique ; le « polar » africain a du mal à émerger, malgré une existence réelle, parce que les principales maisons d’édition sont encore un peu frileuses dès que l’on quitte les rivages nordiques…

BBF • Comme pour d’autres genres littéraires, observe-t-on une diversification de « l’objet polar » ?

Jean-Pierre Barrel • Il existe effectivement une diversification de « l’objet polar » qui ne date pas d’hier : feuilleton dans les journaux du XIXe et début du XXe siècle (les enquêtes de Harry Dickson, de Nick Carter…) de part et d’autre de l’Atlantique, roman illustré aussi, pendant cette même période, roman graphique et BD (Baru, Comès, les frères Varenne dans les années 1980, Tardi en adaptant successivement les œuvres de Malet, Manchette…), et bien sûr aujourd’hui beaucoup de productions purement numériques (souvent en auto-production).

BBF • Qui est le lecteur (la lectrice) de polar ?

Jean-Pierre Barrel • C’est d’abord une lectrice, mais aussi un lecteur. Principalement des personnes lisant beaucoup, de culture éclectique, appréciant le roman noir et le polar pour son inscription dans « notre » société, et friandes de voyages littéraires car le polar permet de voyager aisément. Toujours des gens curieux, intéressants, qui parlent avec délectation des livres qu’ils ont lus ou des auteurs qu’ils apprécient.

BBF • Quelle médiation, mais aussi quel travail de sélection et de recommandation, pour qu’un polar trouve son lecteur ?

Jean-Pierre Barrel • Cette question me semble très personnelle, et en aucun cas je ne prétends détenir le mode de faire… Pour ma part, le travail de sélection est intense, ce qui signifie beaucoup de lectures. L’objectif est toujours la découverte, avec des critères tout aussi subjectifs que volontairement qualitatifs. En clair, un livre écrit par un auteur connu mais dont la langue laisse à désirer ne sera pas retenu car je ne saurai pas le partager et encore moins le vendre. Pour bien parler d’un livre, il faut l’avoir apprécié, pour bien parler d’un auteur, il faut savoir mettre en avant ses meilleurs livres, donc ma démarche ne correspond que rarement à la démarche marketing des principaux éditeurs. A contrario, j’ai une confiance absolue en certains éditeurs, obligés de produire de la qualité s’ils veulent survivre, et je construis donc l’image de ma librairie sur cette obligation de qualité qui permet aux lectrices et lecteurs qui la fréquentent de trouver un choix large mais garanti par le libraire avec toute sa subjectivité !

BBF • L’auteur de polar est-il un auteur comme les autres ? Quel contact avec le public ?

Jean-Pierre Barrel • Il faudrait leur demander ! Pour celles et ceux que je rencontre, les auteur(e)s de roman noir ne se prennent pas pour des stars en général, sont très proches de leur lectorat, très en phase avec la société qu’ils décrivent avec perspicacité et souvent une pointe d’humour qui permet un recul nécessaire. Le contact est toujours très bon.

BBF • Et si vous deviez nous recommander quelques lectures ?..

Jean-Pierre Barrel :

– Shibumi de Trevanian (Gallmeister)

– Belém et Moscow d’Edyr Augusto (Asphalte)

– Notre quelque part de Nii Ayikwei Parkes (Zulma)

– Le désert ou la mer d’Ahmed Tiab (L’Aube)

– L’échange de Eugenia Almeida (Métailié)

– Les harmoniques de Marcus Malte (Folio)

– À fond de cale de Dominique Delahaye (Éditions In8)

– Le fils de Jo Nesbo (Gallimard)

– La traque de la musaraigne de Florent Couao-Zotti (Jigal)

– Malfront : les fantômes de la Combe de Gérard Coquet (In Octavo éditions)

… et je me limite à dix.

Librairie-café Un Petit noir

Naissance du projet ?

Jean-Pierre Barrel • Une envie d’adolescent, une opportunité financière, un pari sur cinq ans.

Pourquoi le polar ?

Après des années de lecture, et toujours des lectures très diverses en type et en support, une évidence, le noir et le polar m’attirent particulièrement. D’abord, une restitution de certaines de mes lectures sur blog, puis le cheminement vers l’idée d’en faire mon métier, le conseil étant l’apport essentiel du libraire.

Pourquoi un café-librairie ?

Parce qu’aujourd’hui, avec un livre dont le prix n’a pas augmenté depuis 1980  2 (et donc une dévalorisation de l’objet, de l’auteur et du libraire… comparativement aux autres secteurs culturels), créer une librairie est un suicide économique. Pour vivre cette passion, il est nécessaire d’avoir non seulement un gros apport financier mais aussi une rentrée d’argent pour payer le loyer et les charges de la librairie. Et puis un petit noir se marie bien avec un roman noir.

Quel public ?

Un public de quartier pour le café et une partie pour les livres, des touristes pour le café, des spécialistes, des passionnés pour les livres… un public de connaisseurs, souvent pointu, avec qui les échanges sont riches. Une vraie interaction pour découvrir le meilleur en termes de littérature noire.

Quelle mise en œuvre ?

Une animation par semaine dans la librairie (lectures, club lecture « géographique », rencontres, contes, concerts jazz & polar ou rock & polar, conférences…) de mi-janvier à mi-juillet et de mi-septembre à mi-décembre, parfois deux soirées dans la même semaine ; des salons ou des soirées hors les murs pour faire connaître et le polar et la librairie. Concrètement, une quarantaine d’auteurs passent chaque année à la librairie pour des rencontres et des dédicaces.

Et demain ?

Bonne question ! Dans la continuité pour la librairie, j’espère, sous réserve que le public soit encore plus nombreux. Des projets alternatifs à monter, des conférences à donner hors les murs, des relectures de tapuscrits (encore !), aider les « petits » éditeurs et les auteurs méconnus...

  1. (retour)↑  Faites le calcul : un roman grand format comme Désert de Le Clézio sorti en 1980 valait 130 F, aujourd’hui le prix moyen d’un grand format est de 20 €… et pour un poche, le prix est passé de 50 F à 7 € en moyenne.

  1. (retour)↑  Sauf encore dans certains pays comme l’Espagne, où le roman policier reste une littérature de seconde zone. D’ailleurs les auteurs de romans noirs espagnols réfutent le terme de polar (negra y criminal) par peur d’être ostracisés.
  2. (retour)↑  Faites le calcul : un roman grand format comme Désert de Le Clézio sorti en 1980 valait 130 F, aujourd’hui le prix moyen d’un grand format est de 20 €… et pour un poche, le prix est passé de 50 F à 7 € en moyenne.