L’Observatoire du dépôt légal

Un certain regard sur l’édition

Jean-Charles Pajou

Article publié dans le BBF n° 9 de juillet 2016

Cinq siècles après l’avènement du roi François 1er, inventeur du dépôt légal, le patrimoine culturel reçu, collecté, signalé, conservé et communiqué chaque année par dépôt légal à la Bibliothèque nationale de France n’a jamais été aussi important. Ce dépôt légal est remarquable à plusieurs titres : par la masse, par la diversité de supports – imprimés, documents multimédias, web depuis 2006 – et par la diversité des catégories d’édition et d’éditeurs : professionnels, associations, particuliers, collectivités…

L’Observatoire du dépôt légal permet de documenter cette évolution, de mettre en avant les principales tendances et de contextualiser sur plusieurs années ces variations. Cette publication est accessible depuis 2012 sur le site internet de la BnF et dans les jeux de données mis à disposition sur le site data.gouv.fr.

En cinq ans, l’Observatoire a permis de détailler plusieurs évolutions éditoriales, notamment la croissance de l’édition des monographies.

Un marché de l’offre

Année après année, le nombre de livres reçus par dépôt légal s’accroît. En 2015, 76 287 livres imprimés ont été réceptionnés par la BnF. Ce résultat ne constitue pas un record absolu, puisque l’année 2014 s’était terminée sur un nombre de 80 255 monographies déposées. Si l’on ne peut prédire l’évolution des prochaines années – tassement, baisse ou redémarrage –, on peut rappeler que l’évolution n’est jamais tout à fait linéaire, et qu’entre 2011 et 2015, le nombre de dépôts a augmenté de plus de 6 000 unités. La moyenne annuelle des dépôts est passée de 66 025 livres entre 2006 et 2010 à 74 724 le quinquennat suivant.

Cette lame de fond paraît s’accélérer, jusqu’à tout récemment, si l’on cumule une décennie d’entrées et qu'on la compare avec les décennies passées (graphique 1).

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Graphique 1 – Dépôt légal des livres par décennie

Une édition à la fois concentrée et éclatée

Depuis 2011, le nombre moyen d’éditeurs actifs est de 7 712 par an, pour une moyenne de 9,70 livres par éditeur. Le nombre d’éditeurs est en réalité bien plus élevé. Entre 2011 et 2015, 18 764 déposants différents ont été actifs. En moyenne, 2 530 nouveaux déposants sont référencés chaque année. Au-delà de ce constat de l’émergence de nouveaux acteurs, on remarque que l’édition est pour beaucoup d’entre eux une activité irrégulière ou unique : 8 058 de ces éditeurs n’ont transmis qu’un seul livre sur l’ensemble des cinq années et ils ne sont que 1 825, soit moins d’un sur dix, à avoir publié au moins un livre chaque année.

Cette multiplicité des acteurs s’observe également sous l’angle de l’importance des dépôts. Chaque année, près de la moitié des déposants ne dépose qu’un seul livre ; ces dépôts uniques ne représentent que 5 % du dépôt légal. S’ils ne sont que 114 déposants à réaliser plus de 100 dépôts dans l’année, ce 1 % du total des déposants représente près de la moitié des dépôts (graphique 2).

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Graphique 2 – Répartition par tranche de dépôts annuels

Au dépôt légal, multiplicité et diversité sont de mise. Les déposants sont regroupés en plusieurs catégories d’éditeurs, selon que l’acte d’éditer est le domaine d’activité principal ou non, et selon le statut de l’éditeur. Les éditeurs dits professionnels sont les plus nombreux (44 % des déposants). Les associations éditrices sont également nombreuses dans l’édition (16 %), mais devancées par les particuliers (24 %). Ce dernier indicateur atteste de l’importance de l’autoédition mais de manière restrictive car il ne prend pas en compte l’édition à compte d’auteur (graphique 3). En remontant dans le temps, entre 2006 et 2010, les particuliers ne représentaient que 16 % des déposants. Des sociétés de recherche, des collectivités, des clubs sont également éditeurs, mais en nombre plus limité.

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Graphique 3 – Répartition par catégories d’éditeur (2011-2015)

Bien entendu, si l’on prend en compte le nombre des dépôts et non plus celui des déposants, la proportion évolue sensiblement. Le pourcentage des éditeurs professionnels constitue alors 78 % des dépôts, incluant les publications à compte d’auteur. Particuliers et associations ne réalisent alors que 5 % des dépôts (graphique 3).

On a coutume de dire que l’édition française est concentrée en Île-de-France. La cartographie des déposants confirme cette représentation. La part des éditeurs franciliens dans l’édition française est majeure : totalisant une moyenne annuelle de 2 640 déposants actifs entre 2011 et 2015, cette région représente un peu plus du tiers des éditeurs. Si l’on prend en compte le nombre de titres publiés, la concentration est encore plus évidente : 2 livres sur 3 sont publiés par un éditeur dont le siège social est situé en Île-de-France. Cet écart s’explique par des taux d’activité différents. En moyenne, un éditeur francilien publie 18 livres par an, contre 5 pour les déposants des autres régions. Il n’est pas surprenant de constater que les déposants importants sont situés dans cette région. L’éditeur établi en région déposant le plus grand en nombre de titres est Actes Sud : avec 500 publications annuelles, il est le 14e éditeur le plus actif. Cette centralisation de l’édition est encore plus remarquable en la comparant avec d’autres données. D’après l’Insee, 19 % de la population métropolitaine et 30 % du PIB métropolitain sont issus de la région Île-de-France. Pour l’édition, en nombre de titres déposés, la proportion est doublée.

Dans cette région, le département le plus représenté est Paris : 14 % des éditeurs français y ont leur siège. Ces mêmes éditeurs sont à l’origine de 31 % de la production livresque.

Après l’Île-de-France, les régions regroupant le plus grand nombre d’éditeurs sont : Rhône-Alpes (8 % des éditeurs), Provence-Alpes-Côte-d’Azur (7 %), puis Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon (5 %), Aquitaine et Bretagne (4 %). Cette cartographie sera à modifier dès les données 2016, suite à la réforme territoriale des régions. La nouvelle région regroupant Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon devrait ainsi apparaître comme un pôle d’édition plus important, sans que l’effet de concentration ne s’estompe réellement.

De plus en plus de fictions

Plus de 4 livres sur 10 sont des ouvrages de fiction. C’est peu dire que la part de la fiction dans l’édition française est importante. Entre 2011 et 2015, les ouvrages signalés dans la Bibliographie nationale française – Livres sont pour 19 % des romans, 9 % de la littérature pour la jeunesse, 6 % de la bande dessinée, 5 % de la poésie et 1 % des pièces de théâtre. D’après le cadre de classement de la Bibliographie nationale, adapté de la classification décimale Dewey, l’édition se répartit ensuite entre l’histoire et la géographie – guides de voyages inclus – (14 %), les sciences sociales (13 %), les sciences et les sciences appliquées – ouvrages de cuisine inclus – (11 %), les arts et les sports (10 %), puis les documents de philosophie et de psychologie, la religion, la linguistique et les généralités.

La comparaison entre 2006-2010 et 2011-2015 permet de déceler quelques évolutions. Le nombre d’ouvrages signalés s’est globalement accru de 10 % mais des variations thématiques sont visibles. D’un quinquennat à l’autre, la proportion de la fiction s’est nettement accentuée, totalisant 23 % de livres signalés en plus. Le volume des publications en histoire et géographie augmente également davantage que la courbe générale : +  12 %. Dans le détail, la croissance du secteur provient pour l’essentiel des biographies – dont autobiographies, mémoires et correspondances – (+  25 %), puis de l’histoire (+  6 %), alors que l’édition d’ouvrages de géographie et de guides touristiques a baissé de 12 %. Par ailleurs, si les domaines de philosophie-psychologie et de la religion ont augmenté en valeur absolue mais diminué en pourcentage du total des publications, des décroissances nettes apparaissent pour les thématiques des sciences pures (–  11 %). Les publications en sciences sociales, sciences appliquées, linguistique, arts et sports sont numériquement stables – pour cette dernière rubrique, en grande partie grâce à l’importance des cahiers de jeux pour enfants et adultes (graphique 4).

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Graphique 4 – Livres signalés dans la Bibliographie nationale

Recul de l’édition en sciences

Au cours de la dernière décennie, le nombre de titres publiés en sciences (classe 500 de la Dewey) a sensiblement diminué. La régression n’est pas tout à fait linéaire et les deux années qui viennent de s’écouler sont plutôt, dans la Bibliographie nationale, des bons « crus » : 2014 et 2015 affichent une production supérieure aux trois années précédentes et d’un niveau proche du quinquennat 2006-2010. Dans un contexte général de forte croissance éditoriale, cette légère baisse est cependant symptomatique d’un secteur qui évolue. Chaque année, ce sont près de 430 éditeurs différents qui publient en sciences. Les éditeurs les plus actifs sont Ellipses, Dunod (environ 80 publications par an), puis Nathan, Milan, Belin, Delachaux et Niestlé (environ 30), EDP sciences, Piccolia, Gallimard, Vuibert, De Boeck, Le Pommier, Édilivre (autour de 20), etc. Pour la plupart de ces éditeurs, l’activité de publication a décliné entre 2006-2010 et 2011-2015. Quelques autres éditeurs, relativement importants au début de cette période, sont en net recul : École polytechnique, Lavoisier, Magellanes.

Un grand nombre de ces éditeurs sont des éditeurs pluridisciplinaires. Quelques-uns publient un grand nombre de manuels d’enseignement supérieur et d’autres éditent plutôt des ouvrages de vulgarisation ou des documentaires pour la jeunesse. Alors que l’édition jeunesse représente 12 % des nouveautés – et 5 % si l’on exclut la fiction –, près d’un livre de sciences sur quatre est destiné à la jeunesse : documentaires sur les animaux, la nature, la paléontologie, l’astronomie. Malgré une légère baisse de titres publiés, chevaux, dinosaures et planètes sont toujours au rendez-vous de l’édition.

Bien entendu, l’édition en sciences ne se réduit pas à ces éditeurs et publics : essais, ouvrages de réflexion et publications d’organisme de recherche restent nombreux.

Autoédition et comptes d’auteur et d’éditeur

Pour les imprimés, le dépôt légal est obligatoire, quel que soit leur procédé technique de production, d’édition ou de diffusion, dès lors qu’ils sont mis à la disposition d’un public qui excède le cercle de famille, à titre gratuit ou onéreux. Ce cadre intègre donc les publications autoéditées ou à compte d’auteur. En quelques années, ce mode d’édition s’est fortement développé, grâce à l’évolution des procédés de création et de fabrication des documents. L’impression à la demande a contribué à diminuer les coûts pour les documents à faible diffusion.

Représentant près de 11 500 dépôts en 2015, l’autoédition et l’édition à compte d’auteur ont représenté 15 % des entrées. Dix ans plus tôt, 4 000 titres étaient reçus, soit 6 % du total des nouveautés éditoriales. Ces données restent des évaluations car cette édition est complexe à circonscrire en raison de la multiplication des acteurs et de la difficulté à identifier les prestataires à compte d’auteur, notamment en raison de l’évolution des types de contrat ou à des pratiques mixtes. Malgré ces nuances, l’effet de masse demeure, la décennie passée ayant vu une multiplication par trois des dépôts.

Les auteurs autoédités prennent en charge eux-mêmes l’édition de leurs ouvrages, voire leur fabrication. L’autoédition est souvent assimilée à une édition par défaut, conséquence d’une difficulté à trouver un éditeur en mesure de publier son document. Elle peut aussi être liée à un marché de niche – technique, professionnelle, approche locale – ou bien constituer un choix d’auteur, parfois déjà reconnu, mais souhaitant s’affranchir des intermédiaires professionnels. L’autoéditeur Marc-Edouard Nabe est, si ce n’est un chef de file, un acteur de « l’anti-édition » et une figure connue, lui qui a été en 2010 dans la présélection du prix Renaudot pour son livre L’homme qui arrêta d’écrire. Ils peuvent être identifiés par leur « marque éditoriale », identique à la mention d’auteur, ou par la tranche ISBN  1.

Ces dépôts sont en très nette augmentation. Leur croissance est ininterrompue depuis 2006 : 800 déposants pour près de 1 500 livres en 2006, 1 400 pour 3 000 livres en 2010, 2 100 pour 3 900 livres en 2015. Ces autoéditeurs peuvent imprimer eux-mêmes leurs documents, passer par un prestataire d’impression traditionnel ou employer un prestataire d’impression à la demande.

La progression de l’édition à compte d’auteur est également remarquable. Le contrat à compte d’auteur est celui par lequel l’auteur verse à l’éditeur une somme d’argent pour financer la publication de son œuvre. Il est considéré davantage comme une prestation commerciale que comme une entreprise éditoriale. L’équivalent anglais est privately printed ou encore vanity publishing. Choix, diffusion et distribution constituent des différences importantes entre ce louage d’ouvrage et l’édition traditionnelle commerciale. La décision d’édition est liée plus au contrat et à l’acte de paiement qu’à une sélection de manuscrit et à une cohérence de fonds. Ces publications à compte d’auteur s’accompagnent rarement de stratégies commerciales ciblées. Il incombe à l’auteur d’assurer sa propre publicité. La distribution n’est pas non plus pleinement assurée par l’officine d’édition.

Aujourd’hui, les prestataires de services proposent pour beaucoup un modèle différent, s’éloignant du schéma de l’édition à compte d’auteur, à l’exception du choix des textes. Par l’utilisation de l’impression à la demande, la conception ainsi que les coûts évoluent. L’auteur n’a plus à financer de tirages. La prestation peut alors devenir gratuite. Sont payantes des options telles que la relecture et la correction, ainsi que la couverture illustrée.

Certaines structures assurent aussi plus volontiers la promotion (catalogue et site internet de l’éditeur, intégration sur des sites de librairies en ligne) et la logistique : circuit d’impression à la demande ou vente de livre numérique, suivi des commandes ou de la facturation. L’auteur perçoit même un pourcentage sur les ventes, selon des clauses pouvant préciser qu’un plancher de vente est nécessaire pour en bénéficier.

En faisant ce choix de prestation, en comparaison avec celui de l’autoédition, l’auteur gagne une facilité à la conception du livre mais peut perdre en souplesse et liberté, par exemple pour la définition du prix, fixé par le prestataire. Ces formules séduisent beaucoup d’auteurs en herbe. Entre 2006 et 2010, la moyenne annuelle de dépôts était d’environ 3 500 livres pour ce que nous continuerons à appeler pour simplifier « publication à compte d’auteur », malgré toutes les nuances évoquées. De 2011 à 2015, ce chiffre a doublé. Plusieurs de ces marques présentent une forte activité et font d’ores et déjà partie des éditeurs les plus actifs en nombre de publications reçues au titre du dépôt légal : Édilivre, Books on Demand, Bookelis, Éditions du Net, Amalthée, Persée, Baudelaire, Lulu.com, etc. Books on Demand (BoD) assure plusieurs types de prestations pour éditeurs mais aussi auteurs. Les formules destinées aux auteurs vont du plus simple – et gratuit –, conception du livre numérique comprise, au confort à 249 euros  2. On peut noter que la prise en charge par le prestataire de la procédure du dépôt légal à la BnF débute avec la formule dite classique, annoncée à 19 euros.

L’entreprise Édilivre symbolise cette évolution et cette croissance. Appartenant au groupe AParis, créée en 2007, cette société de services d’édition est devenue dès 2009 le deuxième plus important déposant à la BnF et est même, depuis 2013, en première position. En 2015, 3 927 dépôts ont été enregistrés. En 2016, Édilivre déclare 13 000 auteurs et se présente comme « une maison d’édition alternative, dans un monde littéraire fermé  3 ». Promouvant des clubs d’auteurs régionaux, Édilivre joue la carte de la communauté. Membre du Syndicat national de l’édition, elle met en avant ses partenariats. Au Salon du livre de Paris de 2015, l’entreprise distribuait sur son stand un flyer dans lequel figuraient en bonne place les logos de la BnF et de Gallica. Des relations entre Édilivre et la BnF ont en effet été nouées en 2011 pour l’impression à la demande de livres numérisés.

Que publie l’autoédition ? La fréquentation des forums d’auteurs ou des stands des officines de comptes d’auteur laisse entrapercevoir une représentation forte des genres littéraires et biographiques (souvenirs autobiographiques, histoire familiale). Cette concentration est confirmée par l’étude de la répartition thématique attribuée dans la Bibliographie nationale pour ces ouvrages assimilés à l’autoédition. Deux livres d’autoédition sur trois sont des ouvrages de fiction. Hors autoédition, la fiction représente 40 % des dépôts. Les récits personnels sont également plus nombreux : 10 % du total de l’autoédition, contre 7 % pour le reste. Parmi la fiction, si l’on trouve des publications jeunesse et des bandes dessinées publiées en autoédition, ces genres sont très minoritaires. Fiction romanesque et poésie sont légion : les romans constituent 40 % de l’autoédition et la poésie 14 %. Dans l’édition traditionnelle, la poésie se cantonne à 3 % des nouveautés éditoriales, les romans à 16 %. Goût de l’écriture et diminution du nombre d’éditeurs peuvent expliquer ces tendances, particulièrement pour la poésie.

Entre auteurs autoédités et ouvrages à compte d’auteur, la répartition est différente. En compte d’auteur, la fiction domine très largement : 75 %. Les auteurs autoédités écrivent, en complément de la fiction, un peu plus de récits personnels, d’ouvrages d’histoire, particulièrement d’histoire locale, d’ouvrages d’art (dessin, peinture, photographie) ou d’essais techniques (graphique 5).

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Graphique 5 – Répartition thématique de l’autoédition

Cette activité de publications de livres d’art observée du côté de l’autoédition des monographies imprimées est à mettre en regard avec le dépôt légal des documents graphiques et photographiques. Dans cette filière de l’estampe, les artistes, traditionnellement auto-éditeurs, impriment et diffusent eux-mêmes leurs travaux. Cette tendance paraît même s’accentuer depuis la cessation d’activité de plusieurs imprimeurs. Par ailleurs, environ quatre publications sur cinq reçues par dépôt légal des documents graphiques et photographiques relèvent du secteur de l’imagerie : albums à colorier (pour enfants et de plus en plus à destination des adultes), autocollants, carterie. Le tourisme en France est un moteur important de l’édition de cartes postales et le quart Sud-Est y demeure le secteur géographique le plus représenté, suivi de la Bretagne et de la Normandie.

Dans cette masse d’autoédition, pour quelques réussites publiques – Agnès Martin-Lugand a d’abord publié en autoédition Les gens heureux lisent et boivent du café sur les plateformes d’Amazon avant de signer avec Michel Lafon –, la grande majorité reste faiblement diffusée. En cas de succès, l’édition à compte d’éditeur remplace l’autoédition, offrant contrats et conditions de diffusion plus avantageux. La maison d’édition Michel Lafon a ainsi publié d’autres ouvrages publiés préalablement sur CreateSpace et Kindle Direct Publishing – plateformes d’Amazon – s’en servant comme outil de repérage de nouveaux auteurs telles Alice Quinn, Margot Malmaison, Aurélie Valognes. La jeune Morgan Bicail, avec PhonePlay, a pareillement été repérée sur le réseau social Wattpad, site de partage entre lecteurs et écrivains de récits-feuilletons. Anna Todd a initialement publié After sur cette plateforme. E. L. James, et Hugh Howey avec Silo, sont d’autres symboles internationaux de success story de l’autoédition, la croissance de l’autoédition et de l’autopublication étant un phénomène international.

Internet et impression à la demande ont bouleversé l’autoédition ainsi que l’édition à compte d’auteur et les sociétés de services d’édition. Dans ces différents modèles, le tirage papier n’est plus qu’un format parmi les autres, voire moindre que les autres, devenant un dérivé de la version numérique davantage produite et diffusée. Le livre numérique n’est alors pas la copie du livre imprimé, la diffusion de ce dernier devenant facultative. En février 2016, 23 552 ouvrages imprimés ont été proposés par les « auteurs indépendants » sur CreateSpace d’Amazon et 54 980 titres français d’ebooks « indés » Kindle sont disponibles. Toutes langues comprises, plus de 2 millions de livres sont disponibles. Rappelons-le, le tirage à la demande n’est pas propre à l’autoédition et sert aussi l’édition traditionnelle à compte d’éditeur, participant à des mutations importantes de la production éditoriale, en volumétrie bien évidemment, en diffusion également.

Les contenus du web

Les modes de publication ont évolué ; les collections patrimoniales conservées par la BnF aussi. Le 1er août 2006, la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) met en place le dépôt légal de l’internet, complété en décembre 2011 du décret d’application. Afin de garantir la représentativité de ses collectes, la BnF réalise une collecte large annuelle, non sélective et visant à couvrir l’ensemble de l’internet français, et la complète par des collectes ciblées plus fréquentes de sites sélectionnés par des bibliothécaires de la BnF ou par ses partenaires. Au cours de la collecte large 2015, 1 614 639 706 d’URL ont été collectées pour un poids compressé de 62,5 téraoctets. Ces volumétries illustrent le changement d’échelle des contenus proposés.

De nouveaux usages apparaissent dans l’édition de pages. À titre d’exemple, on peut relever l’apparition en 2014 des TLD (domaine de premier niveau) régionaux, en complément des .net, .com et .fr traditionnels. Le .bzh (pour la Bretagne) est passé de 22 400 URL collectées en 2014 à 458 500 un an plus tard, suivant de peu le .paris avec plus de 550 000 URL en 2015, contre 80 000 la première année. En 2015, se sont développés le .alsace (77 000 URL) ou encore le .corsica (7 000).

Les contenus collectés au moins une fois par an ne sont pas stables sur le web : nouvelles pages, mises à jour mais aussi disparitions. Il apparaît que 971 942 nouveaux domaines ont été déclarés en France et 553 184 domaines ont disparu entre les collectes 2014 et 2015. Dans ces collectes larges, près de 7 % des pages ont un code réponse signifiant un document déplacé et 12 % ont un message 404 « ressource non trouvée », signe de la volatilité des contenus. Les collections des archives du web conservées par la BnF permettent d’accéder à des sites aujourd’hui disparus. Il peut s’agir de sites liés à une activité ou à un organisme ayant disparu, tels http://livres-jeunesse-enfants.com/blog de Richard Ely, ou encore http://www.foruminternet.org, le forum des droits sur l’internet, association loi de 1901 visant à favoriser la concertation entre les acteurs d’internet (autorités publiques, acteurs économiques, utilisateurs) sur des questions de droit et de société liées au développement d’internet, créée en 2001 et dissoute en 2010. Dans certains cas, il s’agit d’un site lié à un évènement. Très évolutif sur une courte période, le site se clôt ensuite, se figeant ou disparaissant. C’est souvent le cas de sites liés aux campagnes électorales. On peut ainsi citer le site de la candidate Carole Delga à la présidence de la région Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées : http://www.caroledelga2015.fr/ qui regroupe ses propositions et a été collecté une dernière fois par la BnF le 14 décembre, lendemain de son élection. Aujourd’hui, il n’est plus disponible sur internet. Grâce à cette collecte consacrée aux élections régionales, à partir d’une veille pouvant être partagée avec des bibliothèques de dépôt légal imprimeur, la BnF garantit la conservation et l’accès à cette ressource, dans ses salles de lecture des collections patrimoniales mais aussi dans celles des bibliothèques de dépôt légal imprimeur, dans le cadre d’un dispositif d’accès distant, en cours de déploiement depuis 2014. Un usager de la médiathèque Émile-Zola de Montpellier Agglomération peut donc accéder au programme de sa candidate de région.

On peut aussi assister à des changements de nom et d’adresse : http://www.quinzaine-litteraire.presse.fr/ ne renvoie plus à aucun contenu et a été remplacé par http://www.nouvelle-quinzaine-litteraire.fr/. D’autres changements de site sont consécutifs à des réorganisations, fusions, scissions, etc. Les sites du Médiateur de la République (http://www.mediateur-republique.fr) et du Défenseur des enfants (http://www.defenseurdesenfants.fr) sont maintenant redirigés vers le Défenseur des droits (http://www.defenseurdesdroits.fr). La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, génère nombre de mouvements. Par exemple, http://www.hautenormandie.fr et http://www.region-basse-normandie.fr sont redirigés vers le site http://www.normandie.fr/. Jusqu’en 2015, cette URL hébergeait les sommaires de la revue Études normandes.

Une édition périodique en évolution

Cette volatilité se retrouve dans les ressources continues imprimées. La BnF traite par dépôt légal près de 40 000 titres de périodiques imprimés et a bulletiné, en 2015, 262 951 fascicules différents de presse magazine et d’information générale, mais aussi professionnelle, scientifique, administrative, associative, confessionnelle, syndicale, etc. Les principales entrées du cadre de classement thématique illustrent cette ouverture en dehors du cercle commercial : « administration territoriale », « églises chrétiennes », « problèmes et services sociaux », « économie du travail, syndicats », « médecine, santé ».

Les éditeurs de périodiques sont nombreux et de profils très variés. Souvent, ils n’éditent qu’une seule publication en série et la communication périodique ne constitue pas l’essence de l’activité de ces administrations, entreprises, associations, etc. Bulletins, lettres d’information et rapports sont nombreux.

La BnF gère par dépôt légal 232 quotidiens, ce qui représente une très importante quantité de fascicules. La majeure partie des périodiques suit cependant un rythme de publication plus lent : annuels et semestriels constituent près de la moitié des titres vivants. Très à la marge, quelques publications adoptent une périodicité atypique. On peut citer pour exemple La Bougie du sapeur qui paraît tous les 29 février depuis 1980, Le Quinson de Montbéliard, centennal, dont le deuxième numéro a paru en 2011 ou encore Métamorphe, qui se présentait comme un sélénopériodique avec un numéro tous les 28 jours. Ce magazine gratuit sur les jeux de rôles publié par l’association éponyme n’a eu qu’une durée éphémère, trois numéros seulement ayant été publiés.

Sur 3 490 titres dont la cessation de parution a été constatée en 2015, plus de 10 % ont disparu avant leur date anniversaire. La durée de vie semble raccourcie, soit faute de public, soit pour des raisons de stratégies éditoriales. Certains éditeurs font en effet le choix de multiplier les titres sur des durées courtes et de renouveler leur offre en permanence. C’est le cas notamment d’éditeurs de presse magazine people et real-tv, à sensation, jeux, sports et loisirs, etc. Les nouvelles publications peinent donc à s’imposer : près de la moitié des cessations de parution comptabilisées en 2015 concernent des publications vieilles de moins de 5 ans.

Les publications les plus anciennes restent pérennes, à quelques exceptions : l’Illusionniste (journal secret des prestidigitateurs, amateurs et professionnels) s’est interrompu à son 390e numéro, 113 ans après son premier numéro. De même, le 3 667e et dernier numéro de la Terre, hebdomadaire communiste de défense des paysans, né en 1937, a été publié en 2015. Le doyen des titres en cours de parution est le Journal des savants, apparu en 1665. Parmi les titres vivants les plus anciens, on peut encore citer le Précis analytique des travaux de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen (1807), le Recueil de l’Académie des jeux floraux (1807), l’Annuaire de l’Institut de France (1811) ou encore le Grand messager boiteux de Strasbourg dont le 201e numéro vient de paraître (1816).

Par ailleurs, on a vu apparaître depuis quelques années un nouveau produit éditorial, le « mook », qui tient à la fois du magazine et du livre : diffusé en librairie mais souvent aussi en kiosque, il associe une maquette soignée et très illustrée à un contenu documentaire reposant sur des papiers longs et approfondis ; on citera XXI, 6 Mois, Schnock, Long Cours, Polka Magazine, Charles, La Revue Dessinée, ou encore Apulée, qui vient d’être lancé.

Le nombre de publications imprimées migrant vers des versions numériques est relativement stable depuis cinq ans, avec près de 300 publications recensées chaque année. On enregistre cependant un certain tassement des titres imprimés traités. Début 2016, on comptabilisait 37 918 titres vivants, contre 41 485 en 2011, soit près de 900 titres vivants de moins par an. Les cessations de parution, au nombre moyen de 3 230 entre 2011 et 2015, excèdent les nouveaux titres, en diminution régulière depuis 2011 : 2 654 nouveautés signalées en 2011, 2 116 en 2015. Les premières données de l’Observatoire remontent à 2009 et confirment la baisse constatée durant ces dernières années, les publications nouvelles culminant à près de 3 000 titres à la fin des années 2000. Cette décroissance semble provenir jusqu’à récemment davantage d’une évolution à la baisse du nombre de nouveaux titres que d’une hécatombe parmi les publications en cours. Le nombre de cessations de parution est resté assez constant, même si pour l’année 2015 ce nombre a connu une forte croissance (graphique 6).

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Graphique 6 – Périodiques reçus par année

RFID et vinyles

Tous les types de documents connaissent des évolutions importantes. Les modes de fabrication et de diffusion sont renouvelés dans les secteurs du son, de la vidéo et du multimédia. Dans le domaine du jeu vidéo, on peut relever l’engouement pour les jeux-jouets ou les figurines et jetons équipés d’une puce RFID activant des personnages ou des fonctionnalités dans les jeux. Supports, techniques et modes d’interaction évoluent. Mais, même si la production dématérialisée se développe, le support physique reste un vecteur important. Ainsi, des supports annoncés disparus se maintiennent, voire connaissent un nouveau souffle. Depuis quelques années, le nombre de vinyles déposés à la BnF progresse, qu’il s’agisse de productions courantes ou de rééditions collector.

Avec près de 2 000 publications chaque année, le volume du dépôt légal des partitions se maintient sans augmenter significativement sur une longue période. À gros traits, on peut distinguer l’édition de chansons ou de variétés dominée par quelques déposants, le premier d’entre eux étant Universal (plus du quart des dépôts enregistrés), celle destinée à la pratique amateur (chorale, notamment) avec des déposants comme À cœur joie, puis le secteur pédagogique avec les méthodes de chant ou d’instrument, étroitement lié aux cursus des conservatoires et écoles de musique, et enfin l’édition originale, œuvres de compositeurs contemporains, édition critique ou adaptation d’œuvres du domaine public. C’est dans ce dernier secteur que l’on trouvera des éditeurs historiques qui ont su se maintenir, comme Henry Lemoine ou Delatour.

L’édition cartographique se diversifie. Avec la Régie autonome des transports parisiens (RATP), l’Institut géographique national (IGN) reste l’un des principaux déposants, entamant une nouvelle « série bleue » au 1/25 000. En parallèle à la carte IGN et à cette production de la RATP (lignes de bus, plans de sortie de métro, etc.), les cartes d’activités de loisirs foisonnent : la Fédération française de course d’orientation et Navikayak éditent chaque année environ 200 cartes, se rangeant ainsi parmi les principaux déposants. Ainsi, outre les cartes topographiques traditionnelles, les loisirs et les sports représentent une part non négligeable des cartes produites, avec une diversification accrue des cartes VTT, des chemins d’escalade, des cartes de courses, des cartes de navigation. Hors l’Île-de-France surreprésentée en raison de l’activité de la RATP, les régions les plus couvertes entre 2012 et 2014 sont Bretagne, Provence-Alpes-Côte-d’Azur et Rhône-Alpes. On retrouve, sensiblement, à l’exception de la Normandie, la présence des mêmes régions que pour l’édition de cartes postales. Ces documents cartographiques offrent un aperçu précis et précieux sur certains secteurs.

Un reflet de l’édition

L’Observatoire du dépôt légal vise à décrire les mutations de l’édition, dans les limites du dépôt légal : il s’appuie sur les réclamations et la veille éditoriale permettant de faire rentrer dans les collections des oublis de dépôts, processus pour collecter de nouveaux contenus dématérialisés, équilibre entre signalement à l’unité et recueils ou collectes larges du web. L’objectif est d’apporter des points de vue complémentaires sur les collections et d’inviter, dans une optique d’ouverture des données, à s’emparer de ces données publiées en complément sous forme de tableaux statistiques.

Plusieurs centres régionaux du livre et de la lecture (CRLL) ont utilisé des données régionales de l’Observatoire pour compléter leur connaissance et leur politique de valorisation de la production locale. Les informations sur les langues d’écriture, le cas échéant croisées avec des données sur les auteurs, peuvent aussi permettre d’analyser les circuits de traduction. Le Bureau international de l’édition française (BIEF) peut ainsi comparer ces données avec les cessions de droit de traduction d’éditeurs français vers des éditeurs étrangers.

Au sein de la BnF, l’Observatoire du dépôt légal permet un contrôle qualité sur les données de gestion et de signalement, améliorant la cohérence des informations et permettant de repérer des erreurs de saisie. À terme, cette publication accroissant notre connaissance des collections pourrait aussi devenir un point d’appui pour optimiser les différents circuits et modes d’entrée du dépôt légal, entre matériel et dématérialisé, entre description à l’unité et recueils ou moissonnages du web.

Afin de permettre des approfondissements, cette publication est complétée de focus thématiques : sur les territoires de publication, d’impression ou de représentation (cartes et plans), sur l’édition publique, sur les langues de publication et de traduction, sur les migrations de périodiques imprimés vers le numérique. Éditeurs et disciplines sont toujours des éléments de description. Pour sa 5e édition, l’Observatoire inclut une description des personnes physiques, auteurs et sujets : les plus publiés, analyse statistique des dates biographiques, de la parité. Ainsi, entre 2013 et 2015, le profil type de l’auteur est plutôt un homme (près des deux tiers des mentions d’auteurs), dont l’âge médian est de 55 ans. Des différences dans le genre des auteurs apparaissent nettement selon les publications (fiction, jeunesse, bandes dessinées, etc.) ou les fonctions de l’auteur (texte principal, direction d’ouvrage, préface, traduction, illustration, etc.).

En cinq ans, l’Observatoire a permis de détailler la croissance de l’édition des monographies, de suivre les mutations des périodiques, d’observer le retour du support vinyle, de voir l’importance des publications liées aux activités professionnelles, scolaires et de loisirs… Le dépôt légal est à la fois la mémoire de notre culture mais témoigne aussi des évolutions économiques ou sociales.