Point de vue sur … bibliothèques publiques et religions

Laïcité, ambiguïté, perplexité

Bernard Huchet

La place des religions dans les collections et, d’une manière plus générale, dans l’espace des bibliothèques publiques, n’est pas sans poser question (et parfois problème) aux bibliothécaires : entre la laïcité républicaine réaffirmée avec vigueur en plein contexte terroriste et le pluralisme encyclopédique prévalant à la constitution même des bibliothèques…

The place of religion in library collections and, broadly speaking, in libraries as spaces open to the public has the potential to raise sometimes thorny issues for French librarians, who have to negotiate between the official state policy of secularity in public life, particularly at a time of heightened terrorist threat, and the democratic culture of pluralism at the heart of what libraries stand for.

Dans les jours de janvier 2015 qui suivaient l’attentat sanglant contre Charlie, nombre de bibliothèques ont affiché de manière très visible dans leurs espaces les caricatures de Mahomet publiées en une par l’hebdomadaire satirique, puisqu’elles paraissaient avoir motivé cette folie meurtrière  1. Pour la plupart d’entre elles, ce geste, qui se voulait à la fois révolte et protestation contre le crime, démonstration d’une solidarité laïque et réaffirmation d’une liberté d’expression propre à l’éthique républicaine, comportait par malheur un versant plus contestable : c’était souvent la première fois, peut-être même la seule, et seulement par l’insulte, le blasphème et la provocation, que l’établissement se prononçait officiellement devant son public sur les questions religieuses, jusque-là plus ou moins discrètement traitées sur les rayons pour les besoins de l’encyclopédisme, et dans le souci revendiqué d’une parfaite neutralité.

Sans doute n’est-il pas besoin de se convertir à l’islam pour comprendre ou partager le malaise qu’ont éprouvé, devant l’ambiguïté spontanée de cette réaction laïque, les usagers qui se réclament d’une foi, pratiquants ou non, mais auxquels semblait acquis pour leur obédience religieuse le respect du service public : il ne s’agissait pas tellement des caricatures elles-mêmes, qui n’expriment pour finir qu’une irrévérence anecdotique, mais de leur présence exclusive au sein d’un espace public, sans que l’établissement produise de réserve oratoire ou ménage aucun pluralisme.

Il n’entre pas dans mes intentions de critiquer l’émotion provoquée par ce drame, ni bien sûr d’en justifier les auteurs, ou même de remettre en cause le grand mouvement d’autocélébration laïque dont certains professionnels des bibliothèques se sont alors faits les acteurs  2. Mais en filigrane des événements rebondit maintenant la question, qu’il est difficile de situer clairement dans ce débat, de la position de la bibliothèque généraliste à l’égard du « fait religieux », marquée trop souvent par l’hostilité, la prudence ou la frilosité, même si quelques rares études nous font modérer ce jugement traditionnel, et de type intuitif   3. Otages d’un fanatisme inadmissible qui récupère et corrompt leurs valeurs pour en légitimer des crimes barbares, seulement passibles du droit commun, les religions ne doivent pas être les victimes collatérales d’une laïcité survoltée par l’épreuve.

De par son origine anticléricale et sa tradition désormais centenaire, notre laïcité républicaine semble en effet s’enraciner dans l’athéisme et le rejet rationnel des dogmes religieux, alors qu’elle devrait s’attacher à configurer l’espace public en vue de leur coexistence, et garantir à chaque citoyen leur pratique paisible : par une curieuse déformation de ses propres valeurs de tolérance au profit d’amalgames parfois douteux, elle se montre facilement sourcilleuse à propos de sujets périphériques (le port du voile, ou plus généralement d’insignes religieux), mais ne paraît pas s’apercevoir qu’indirectement elle nourrit ainsi les intégrismes qu’elle prétend combattre, ni qu’à force de générer seulement des consensus négatifs, le programme qu’elle nous offre en creux n’a plus de véritable consistance : quoique transfigurées par le refus d’admettre le terrorisme islamiste, les grandes manifestations fusionnelles du 11 janvier n’ont guère su prolonger par la réflexion, ni dans les actes, la belle unanimité qu’avaient pourtant soulignée leurs incantations.

Alors qu’à l’origine du processus de laïcité se trouvait le nécessaire besoin de séparer l’État français moderne d’une Église catholique obscurantiste, le plus étrange est sans doute qu’entre-temps l’institution religieuse a recherché l’ouverture et s’est efforcée d’assouplir partiellement son intransigeance dogmatique, mais que l’esprit laïque s’est verrouillé dans ses principes. Il en résulte une situation paradoxale que l’un des principaux responsables religieux de la planète, le pape François, relève dans l’entretien qu’il accorde en mai 2016 au journal français La Croix : « La petite critique que j’adresserais à la France… est d’exagérer la laïcité. Cela provient d’une manière de considérer les religions comme une sous-culture, et non comme une culture à part entière  4. »

Sous l’idéal de neutralité qu’ils revendiquent, les textes fondateurs de notre culture professionnelle paraissent exprimer en fait une défiance profonde à l’égard des religions : qu’il s’agisse de « représenter les courants d’opinion », de « prévenir le préjugé » ou de rejeter comme incompatible avec l’esprit public « la dépendance de groupes religieux », le parti pris d’une opposition mâtinée de condescendance paraît bien constituer la norme  5, et son corollaire pratique se décline en tactiques de mise à distance et d’évitement des religions, comme en témoigne d’ailleurs la préférence récurrente pour le vocable réducteur « fait religieux », sans doute jugé plus correct politiquement.

L’une des funestes conséquences du système laïque et de la prétendue liberté de religion consiste à s’interdire de connaître exactement l’ampleur des ancrages religieux dans la société française, et par conséquent de s’en remettre aux extrapolations de sondages ponctuels, qu’il faut prendre avec beaucoup de prudence, d’autant plus que leurs conclusions respectives se contredisent volontiers. Leur publication répond en général à des intentions plus ou moins explicites, cristallisées dans une formule choc dont l’exagération permet d’apprécier combien le sujet demeure brûlant : « Plus de la moitié des Français ne se réclament d’aucune religion » (Le Monde, 7 mai 2015) ; « L’école défiée par la religion » (L’Obs, 3 février 2016), etc. Pour s’en tenir à ces deux cas, le premier constatait sur la base d’enquêtes réalisées en 2010 et 2012 une désaffection générale des « croyances » dont témoignerait notamment le chiffre à la baisse des baptêmes – ce qui précipiterait le phénomène chez les plus jeunes ; l’autre affirme au contraire, au moyen d’un sondage du printemps 2015, que les convictions religieuses des adolescents ne cessent de croître, et même leur font contester les valeurs et les vérités scientifiques dispensées par l’enseignement (« La religiosité se traduit par un conservatisme certain, et une plus grande intolérance en matière de mœurs »).

Maintenir délibérément cette aporie statistique en matière de religions, fût-ce au bénéfice de la liberté de conscience, ouvre ainsi la porte aux manipulations de chiffres bâtards, aux polémiques malsaines, aux raccourcis trompeurs dont les effets pervers s’inscrivent durablement dans la conscience collective : depuis janvier et novembre 2015, la vulnérabilité morale engendrée par les attentats risque d’anesthésier le jugement critique et de rendre l’esprit des citoyens perméable aux pires déformations. Les stigmatisations qui ne peuvent manquer d’en résulter provoquent en retour des réflexes communautaires qui radicalisent les positions doctrinales, et condamnent les chemins d’un quelconque dialogue. Peut-être un jour la sagesse commandera-t-elle enfin de reconnaître qu’en vue d’une coexistence pacifique des religions sur notre territoire, ce type de laïcité n’est pas la solution, mais précisément le problème.

Dans ce panorama complexe, contradictoire et mouvant, chacun voit d’abord et surtout ce qu’il éprouve l’envie de voir : il m’est difficile de me soustraire à cette règle implicite qui fait durablement des religions l’objet d’un fantasme, et non celui d’un examen.

Pour autant qu’aient un sens de tels sondages, les sondés s’y déclarent pratiquants ou non, croyants ou non, et reconnaissent leur « appartenance » à l’une ou l’autre des religions  6. Mais encore faudrait-il mieux définir ce qu’est dans le registre intime la notion d’appartenance, entre la simple posture morale qui dicte certaines règles de vie, et la véritable foi du charbonnier qui peut conduire à l’intégrisme. Certaines sources font par exemple apparaître une catégorie d’individus « rattachés à une communauté sans être croyants  7 », ce qui peut traduire un phénomène culturel intermédiaire où la nostalgie d’une foi perdue retient encore de basculer tout à fait dans l’athéisme. Malgré ces nuances qu’on aurait tort de sous-estimer, je prétendrai que la part des religions dans notre pays s’établit aux alentours de 60 % de la population, dont un noyau dur d’un gros tiers de nos concitoyens, moyennant une relative stabilité qui fait suite au sensible déclin de la fin du XXe siècle. Il ne s’agit donc pas d’une question marginale : même si l’on doit prendre en considération plusieurs degrés d’engagement, plus d’un Français sur deux reconnaît faire partie d’une communauté religieuse, et plus d’un sur trois se réclame d’une foi clairement assumée.

La tendance globale qui ressort de ces enquêtes, malgré leur très faible fiabilité, montre une lente érosion de la religion catholique, toujours très majoritaire en France, quoique moins qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pendant la dernière décennie, l’islam aura conquis la seconde place, mais probablement pas comme le raz-de-marée que laisse parfois entendre la doxa médiatique ; il aura nettement dépassé le total des confessions protestantes, qui semblaient encore conserver un léger avantage dans les années quatre-vingt-dix. Le judaïsme se maintient sur un chiffre modeste, mais qui ne traduit pas suffisamment sa robustesse doctrinale et communautaire. On considère également que se produit, sur le modèle américain, l’évolution de certains croyants vers les formes d’une spiritualité plus ouverte et non strictement confessionnelle, à base de sagesse orientale ou de syncrétisme religieux, sans qu’il soit possible – et pour cause ! – d’en produire une estimation statistique sérieuse.

Très souvent, les commentaires de ces enquêtes semblent considérer comme significatif que la proportion des religions et de l’incroyance avoisine ou dépasse les 50 %, quitte à récupérer de manière tendancieuse les catégories plus ou moins indéfinies que je viens d’évoquer. L’impression domine qu’on cherche à produire au moyen de ces chiffres des arguments d’autorité susceptibles de convaincre les indécis, comme si l’on pouvait tirer des conclusions fondamentales selon qu’une grosse moitié des Français demeurent croyants, ou que le camp majoritaire est celui de l’athéisme. Ces raisonnements d’inspiration démocratique ne sont guère opportuns quand ils s’occupent de la transcendance : Dieu n’habite pas les sanctuaires construits par la main de l’homme, on peut gager qu’il se dispense de soumettre son existence aux caprices du plus grand nombre.

Mais à l’inverse des effets de manches médiatiques, des tentatives se font jour qui veulent améliorer par l’étude et la connaissance le regard de la société sécularisée sur les principales religions, et contribuer de la sorte au recul du racisme et de l’intolérance : il convient de citer ici le développement, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, d’un enseignement du fait religieux dans les établissements scolaires, suivant un processus qu’a renforcé en 2002 le rapport essentiel de Régis Debray  8, prônant avec un succès resté relatif l’instauration d’une « laïcité d’intelligence ».

Cette pédagogie devrait aussi bien inspirer la bibliothèque encyclopédique, où l’imprécision des données statistiques rend complexe la définition d’une politique documentaire adaptée, puisque sauf exception, la demande présumée des publics ne peut être cernée qu’en des termes très généraux. Les professionnels s’imposent de surcroît des handicaps supplémentaires, qu’ils ne cessent d’invoquer dans les rares publications portant sur les questions religieuses : le service public et son devoir de neutralité leur feraient obligation d’aborder prioritairement les religions par des biais, tels que l’histoire ou la sociologie, c’est-à-dire en privilégiant leur empreinte matérielle dans la société plutôt que leurs caractères essentiels ; d’autre part, la classification décimale Dewey, qui le plus souvent gouverne la cotation des espaces de libre accès, cloisonne à l’excès les disciplines et construit sa classe 200 dans une perspective abusivement centrée sur le christianisme  9.

La question de la neutralité s’articule assez mal avec les impératifs de constitution des collections, dans la mesure où ce principe n’est guère appliqué dans la sphère éditoriale : dans ce domaine comme en tout autre, on sait que les choix opérés dans les acquisitions forcent les professionnels à sélectionner des publications elles-mêmes partisanes, mais dans le souci d’équilibrer par leur diversité la représentation d’expressions contradictoires. À vrai dire, la neutralité religieuse ne devrait pas intervenir ici : elle préside aux rapports avec les usagers, qu’on ne saurait discriminer sur le fondement d’interdits religieux, comme à l’évaluation des agents que leur obligation de réserve met à l’abri de jugements extra-professionnels 10 – mais il est illusoire de l’invoquer dans l’exercice des missions documentaires, puisque par nature celles-ci nous réclament de savoir confronter avec pertinence, avec assez d’ouverture et d’impartialité, des sources radicalement divergentes.

Il est probable qu’à cette fin, l’examen critique de l’édition confessionnelle ne peut s’envisager sans avoir développé des capacités particulières, par exemple au moyen de l’investissement personnel et de la formation continue ; cet objectif suppose chez les professionnels en charge du secteur une motivation durable, qu’il est indispensable aux chefs d’établissement de rechercher ou de soutenir dans leurs équipes, aujourd’hui que l’actualité rend le sujet tellement sensible. C’est toutefois en 2009 une « exception », dûment signalée comme telle, qu’un bibliothécaire versé dans les questions religieuses, engagé dans une démarche théologique personnelle, soit justement chargé de la gestion de ces collections dans une bibliothèque municipale classée  11.

Quant aux imperfections de la classification Dewey, le problème est assez connu maintenant pour qu’on sache le contourner : l’abondance en 200 des subdivisions réservées au christianisme n’est pas plus scandaleuse que la répartition léonine du bloc 800, qui rejette à la toute fin des sous-classes de littérature les productions en langues vernaculaires des pays non occidentaux. Par ailleurs, c’est évidemment l’importance et la richesse des fonds de libre accès que prennent en compte la plupart des usagers, bien plus que la manière dont on aura coté les documents. Je crois cependant significatif que l’on répète à l’envi ce faux problème, qui dispense d’ouvrir de véritables débats sur la pertinence en lecture publique de collections plus engagées, qui ne seraient ni les éditions contemporaines des textes fondateurs (en 200), ni des ouvrages d’analyse et de synthèse historique ou sociologique (en 300, voire 900).

Car la véritable question porte sur les motifs qui fondent l’obligation, pour une bibliothèque, de proposer à ses lecteurs des ouvrages sur les religions, alors que le système laïque n’en promeut aucune et persiste à n’y voir que des « croyances », autant dire des superstitions : la fréquence à laquelle reviennent, dans les projets culturels des établissements, les termes de « savoir » et de « connaissances » montre assez qu’on n’y réserve aucune véritable place à la recherche de la transcendance, puisqu’elle ne permettra jamais d’acquérir une certitude objective. Mieux encore, on pourrait soupçonner que l’autorité laïque fomente un effacement de la croyance par la raison, forcément supérieure à toute foi : pourrait en témoigner cette floraison de formules qui s’arrogent par substitution le vocabulaire sacré, « cathédrales de la culture », « temples du savoir 12 », par lesquelles se manifeste l’aspiration de l’inconscient laïque à faire disparaître à son profit toutes les traces des cultes primitifs.

La culture même des établissements, qui fait de l’espace public le théâtre d’un débat d’opinion permanent, les porte à mésestimer la nature même d’une obédience : pour les tenants d’une religion, la foi n’est pas une opinion, la théologie n’est pas une philosophie, les révélations qu’elle contient ne sont pas des convictions. Ces vocables n’ont cours qu’à l’extérieur des communautés : le croyant reconnaît comme une vérité les dogmes religieux qui emportent son adhésion. S’il ne refuse pas de s’intéresser à d’autres constructions théologiques, s’il demeure en lui-même accessible au doute, il n’entend pas que cette vérité soit débattue comme pourrait l’être une option politique, ni contestée comme on le ferait d’une philosophie, ni bien sûr corrigée comme s’il s’agissait d’un jugement scientifique erroné. De surcroît, cette vérité qui sert de grille à sa lecture du monde se place au-dessus des civilisations comme des époques, et ne saurait être considérée par lui comme un « fait », lequel est forcément contingent d’un espace et d’un temps donnés.

Est-il impossible pour autant que le service public reconnaisse et respecte le caractère propre de la foi, ou la considère autrement qu’à travers des jugements de valeur qui la rabaissent au rang d’un simple phénomène historique ou social ? Car l’effort de compréhension et de rapprochement des publics dont les bibliothèques se réclament aujourd’hui ne va pas, en général, jusqu’à prendre en compte l’appartenance ou l’engagement spirituel d’une bonne part de ses usagers. Parce que certains groupes extrémistes font valoir des exigences déplacées ou ridicules (ces croisades fondamentalistes contre la théorie du genre, pour n’en citer qu’un exemple récent), le discours professionnel ne cite explicitement les religions que pour dénoncer leurs excès : la tendance est d’autant plus surprenante qu’un véritable discernement s’exerce en parallèle dans le domaine politique, par exemple à propos des abonnements de presse. Bien souvent d’ailleurs, ces propos sont curieusement tenus par des professionnels qui sont eux-mêmes pratiquants, mais placés par les règlements en vigueur dans une schizophrénie fonctionnelle qui les amène à radicaliser leurs positions pour n’être pas suspects de parti pris, voire de prosélytisme.

Ce rejet partiellement conscient des religions paraît si bien ancré qu’il résiste même aux principes dévastateurs d’évolution des politiques d’accueil qui prétendent faire de la bibliothèque un « troisième lieu » : s’il est maintenant admis et recommandé que l’usager, bien que sans rapport avec les fonctions documentaires de l’établissement, vienne y faire la sieste, s’isoler dans un coin sombre avec sa copine ou changer un bébé – le tout au nom d’une conception du « vivre ensemble » qui permet apparemment tous les dérapages –, les manifestations religieuses ne comptent pas au nombre des pratiques intimes qui peuvent coloniser l’espace public, et sont explicitement interdites par de nombreux règlements intérieurs  13. Le devoir de neutralité qu’on revendique par ailleurs semble assez flexible pour tolérer ces contradictions professionnelles, qui soutiennent le blasphème et la caricature mais proscrivent la prière : il est surprenant que les promoteurs de ces théories, qui se voulaient par ailleurs novatrices, ne sachent s’affranchir de certitudes matérialistes bien établies, qui ne font jamais l’objet d’aucun débat.

Des mouvements cependant se dessinent dans le registre de l’action culturelle, puisque plusieurs bibliothèques programment en 2016 d’importants cycles de manifestations centrées sur les religions : la Bibliothèque de Rennes, la Bibliothèque publique d’information, par exemple, font ainsi le choix d’apporter à leurs usagers, sans déroger à leurs missions de service public, une approche équilibrée, dynamique et positive des religions contemporaines, qui fait parler directement des acteurs clairement engagés dans leurs communautés. Sans doute sera-ce en prenant la parole eux-mêmes, et par des initiatives de ce type, que les établissements pourront au mieux contribuer à dissiper l’ignorance et les préjugés, s’affranchir progressivement de pressions communautaristes indues, et digérer sans les globaliser avec outrance les crispations légitimes qu’elles peuvent engendrer  14.

Ces quelques réflexions, d’ailleurs passablement décousues, n’ont pas la prétention d’esquisser un programme d’action complet pour les bibliothèques. Elles se fondent sur la conviction personnelle qu’un renforcement du fondamentalisme laïque n’est pas la bonne réponse qu’une société vraiment libre et démocratique doit opposer aux horreurs d’un fanatisme criminel fondé sur des prétextes religieux, et d’ailleurs largement désavoué par la communauté dont il se réclame : bien au contraire, c’est par l’approche nuancée d’aspirations qui ne sont pas forcément les siennes, mais qu’elle doit respecter chez autrui sans les juger inopportunes, qu’elle saura désamorcer et dissiper les abus, les peurs, les colères, les rancunes mutuelles, et – qui sait ? – profiter peut-être, à les fréquenter avec assez de confiance, de lumières inopinées. Par les missions qu’elles exercent, les bibliothèques publiques pourraient être la scène privilégiée de ces rencontres, et les artisans préférentiels d’un mieux-vivre ensemble.