L’atelier de Charfet

Un projet de restauration et de valorisation au Proche-Orient

La rédaction du BBF

L’équipe de Copeia (anciennement Centre de conservation du livre d’Arles) a participé activement à la conception, réalisation et au suivi du fonctionnement d’un atelier de restauration / valorisation à Charfet au Liban. Un important travail de préservation et de numérisation des collections est ainsi mené, ainsi qu’un indispensable volet de formation permettant la pérennité du projet.

A team from COPEIA (formerly the Centre for the Conservation of the Book in Arles) played an active role in planning, implementing and running a workshop to restore and promote the cultural heritage of Charfet in Lebanon. The project included a major programme to preserve and digitize the collections and to train local staff to ensure the project's longevity.

Dans le cadre de projets européens, l’équipe de Copeia, ex-Centre de conservation du livre d’Arles, a collaboré avec des institutions libanaises, afin de protéger, restaurer et valoriser certaines collections. Le travail en lien avec la bibliothèque de Charfet (Liban), riche de nombreux manuscrits, imprimés et archives, s’est mis en place à cette occasion, à commencer par la formation de son bibliothécaire et conservateur, Youssef Dergham. De même, la numérisation des collections s’est effectuée et, dans la continuité de ce travail de préservation immédiate, le catalogage des manuscrits. Un atelier a ainsi été créé.

Les collections de Charfet

Le patriarcat de l’Église syro-catholique possède dans sa résidence du couvent de Charfet à Dara’oun-Harissa, au Liban, une collection de manuscrits syriaques et arabes chrétiens qui est une des plus belles du Proche-Orient. Elle comprend tous les genres habituels dans ce type de manuscrits : Bible, exégèse, théologie, liturgie, ascétisme, homilétique, hagiographie, grammaires, etc.

Au début du XXe siècle, en juillet 1901, le patriarche Éphrem Rahmani demande au pape Léon XIII l’ouverture d’un séminaire de rite syriaque dont le supérieur serait l’abbé général de la congrégation bénédictine. Le séminaire est l’œuvre du patriarche syrien Michel Jarweh, en lien avec le monastère de Santa Maria Liberatrice à Rome dans le quartier du Tescaccio. Dès le XVIIe siècle, les Syriaques catholiques avaient été durement éprouvés par les persécutions et il n’y avait que deux écoles fondées dans le collège romain de la propagande en 1637. Une bulle du pape Pie VI datée du 22 mai 1777 avait mis le monastère de Charfet sous la protection du Saint-Siège. Le séminaire actuel date de 1901 et a été réorganisé par le patriarche Éphrem II Rahmani. Le séminaire devint rapidement prospère. Le patriarche Rahmani le visita accompagné de Mgr Michel Backhache (vicaire patriarcal syriaque d’Égypte) en mai 1926 afin de conférer l’ordination sacerdotale au diacre Zacharie Melki (qui devint ensuite chorévêque et supérieur de Charfet).

La bibliothèque de manuscrits syriaques et arabes chrétiens du patriarcat de l’Église syro-catholique de Charfet abrite une collection d’environ 2 200 manuscrits syriaques, garshouni et arabes constituant un fonds inestimable. Ces manuscrits ont été rassemblés entre le XVIIIe et le XXe siècle par plusieurs érudits dont le patriarche fondateur. Ils proviennent principalement de Syrie, d’Iraq, de Turquie et du Liban. Ces manuscrits sont en majorité conservés dans leurs reliures anciennes.

En plus des manuscrits, le patriarcat a un patrimoine écrit considérable constitué par la bibliothèque d’imprimés qui conserve un fonds ancien datant des XVIIe-XVIIIe siècles très riche (environ 20 000 volumes), des archives remontant au XVIIIe siècle concernant l’histoire du patriarcat et du séminaire (en français, arabe, italien, latin et grec), des chartes, correspondances, bulles papales, firmans arabes et turcs, soit environ 200 mètres linéaires de documents.

Le patriarcat possède également un musée d’art religieux avec notamment une importante collection de plaques photographiques argentiques datant de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, d’un grand intérêt historique.

Présentation du projet

Les collections incluent trois fonds (le fonds Rahmani, le fonds Armaleh et le fonds patriarcal), correspondant à une histoire riche et au travail assidu de personnalités intellectuelles et spirituelles de premier plan, profondément liées à la culture française : le patriarche Rahmani et le R. P. Armaleh au début du XXe siècle, puis les patriarches Tapouni et Hayek au XXe siècle. Le catalogage, avec description détaillée notamment sur le plan codicologique, des manuscrits syriaques et garshuni (arabe en écriture syriaque) – plus de 800 au total –, a été confié par le patriarche actuel, S. B. Ignace III Younan, à une équipe de chercheurs du CNRS : Alain Desreumaux et Françoise Briquel-Chatonnet, de l’UMR « Orient & Méditerranée », et Muriel Debié et André Binggeli, de l’IRHT. Ce travail d’étude est mené en collaboration avec les partenaires locaux, Mgr Gabriel Dib et Youssef Dergham.

Dans le cadre du catalogage du fonds, ont été effectués des constats d’état et des descriptions des reliures. La méthode utilisée pour décrire ces reliures est la même que celle mise au point pour les reliures byzantines conservées à la Bibliothèque nationale de France  1. Un des premiers buts de ce travail est de définir les caractéristiques propres aux reliures syriaques pour les identifier plus facilement et ne pas les confondre avec d’autres types de reliures. Ce travail a commencé par l’observation d’une cinquantaine de manuscrits. Il est prometteur car les reliures syriaques de Charfet sont très riches en diversité, en qualité et quantité. Les résultats de ces observations sont mis en ligne sur la base de données internationale STUDITE  2, qui est consacrée aux reliures orientales, ainsi que présentés dans la collection « Études syriaques  3 ».

Une opération scientifique
fondée sur plusieurs convictions

C’est un devoir que de recueillir, protéger, conserver et mettre en valeur ce patrimoine d’une communauté dont la culture a marqué l’histoire du Proche-Orient, de la Mésopotamie, de l’Asie (Chine, Inde) et de l’Europe, et qui constitue un bien commun de l’humanité (en l’occurrence, l’expression n’est pas exagérée, étant donné les contenus intellectuels, spirituels et artistiques de cette collection, dont l’intérêt va bien au-delà des seules Églises). Cette tâche relève d’une responsabilité collective qui doit s’effectuer en véritable collaboration entre ses dépositaires historiques et les chercheurs étrangers : il ne saurait s’agir d’une récupération par une équipe venant « s’emparer » des manuscrits et des textes pour les publier, ni d’une prétention magistrale. Il s’agit de faire œuvre collective au service de ce patrimoine. C’est une tâche de formation pour tous les membres de l’équipe : en effet, ce patrimoine ne peut être conservé et diffusé que si diverses compétences s’y emploient, à commencer par les acteurs locaux, tandis que les acteurs étrangers appuient et confortent les travaux sur place. Le but est l’autonomie de l’institution dépositaire et l’ouverture à la recherche internationale.

Ces objectifs sont en voie d’être atteints :

  • L’opération est menée en étroite collaboration entre l’institution dépositaire (le patriarcat syriaque catholique), l’organisme technique spécialisé  4, et deux équipes de recherche (CNRS). Entre tous les acteurs, la formation est réciproque.
  • Des premières mesures élémentaires de protection ont été prises (rangements sécurisés et mise hors poussière des manuscrits, mise en route de la numérisation).
  • Une méthode d’étude codicologique ainsi que l’étude détaillée des reliures syriaques ont été mises au point. Un premier volume du catalogue détaillé sera publié en 2016.
  • Les premiers examens minutieux ont donné lieu à d’importantes découvertes : textes syriaques inédits, nouveaux témoins manuscrits d’œuvres majeures, fragments bibliques inattendus…
  • La bibliothèque, jusqu’à présent fermée à la recherche, est maintenant de plus en plus ouverte dans des conditions qui prennent pour modèle les grandes bibliothèques mondiales quant à la communication des textes des manuscrits.
  • Les premiers résultats scientifiques obtenus ont permis le lancement de e-ktobe  5, une base de données internationale désormais opérationnelle sur internet.

ktobe : base de données de manuscrits syriaques

E-ktobe est une base de données sur les manuscrits syriaques visant à rassembler des informations sur les textes, les aspects matériels (matière, composition des cahiers, reliure, écriture, etc.), les colophons mais aussi les notes de ces manuscrits. E-ktobe brasse ainsi de nombreuses informations sur les personnes (copistes, commanditaires, restaurateurs, etc.), les lieux et les dates en lien avec la confection des manuscrits syriaques.

Les notices ont été saisies à partir des descriptions fournies par les catalogues édités ; elles sont parfois complétées par un examen direct des manuscrits. En aucun cas, les notices de e-ktobe ne dispensent l’utilisateur d’un retour au catalogue et au manuscrit lui-même.

Ce site a été conçu dans le cadre du programme SYRAB de l’ANR (Agence nationale de la recherche). Il est placé sous la responsabilité scientifique d’André Binggeli, Muriel Debié (CNRS, IRHT, UPR 841), Françoise Briquel-Chatonnet et Alain Desreumaux (CNRS, Orient & Méditerranée, UMR 8167). La base est actuellement alimentée par Flavia Ruani et Émilie Villey (IRHT, section grecque et de l’Orient chrétien).

    L’équipe – composée du bibliothécaire des manuscrits, du responsable des opérations de conservation-restauration, des chercheurs du CNRS et de deux doctorants – a présenté l’ensemble de ces premiers résultats lors du Symposium Syriacum de juillet 2012 à Malte, communications qui ont eu un véritable retentissement international.

    Ce travail a nécessité, pour être pérennisé, l’installation de locaux appropriés pour les manuscrits. L’atelier a pour mission à la fois la préservation d’un patrimoine parfois en danger, mais aussi de rendre les manuscrits manipulables, communicables et numérisables en vue de leur diffusion, ce qui est en outre un atout important dans une région caractérisée par sa grande instabilité.

    Ce projet répond à la volonté effective et engagée du patriarche de doter sa communauté d’une telle structure, engagement qui en est la condition essentielle de réussite.

    1. (retour)↑  Dominique Grosdidier de Maton et François Vinourd, « Description d’une reliure byzantine : techniques et matériaux », The legacy of Bernard de Montfaucon : Three Hundred Years of Studies on Greek Handwriting, Actes du VIIe Collloque international de paléographie grecque, A. Bravo García et I. Pérez Martín, Bibliologia 31, Turnhout, Brepols, 2010, p. 363-371.
    2. (retour)↑  Le projet STUDITE vise à mettre en évidence les apports techniques et artistiques des manuscrits grecs et byzantins à l’histoire du livre. En effet, la reliure byzantine a influencé les cultures du livre en Orient et en Occident. Ces connexions sont l’objet d’un grand intérêt culturel et scientifique.
    3. (retour)↑  http://www.etudessyriaques.org/
    4. (retour)↑  Ces projets libanais sont portés par la société de François Vinourd, en collaboration avec Copeia, ainsi que d’autres restaurateurs : Isabelle Bonnard, expert en restauration au département de la Conservation ; Silvia Brunetti, restauratrice de dessins et d’arts graphiques (France) ; Yoanna Dechezleprêtre, conservatrice-restauratrice Arts graphiques et couches picturales (Avignon) ; Alain Desreumaux, directeur de recherches émérité au CNRS, président de la Société d’études syriaques ; François Vinourd, conservateur-restaurateur de livres.
    5. (retour)↑  http://www.mss-syriaques.org/