Éditorial
Le texte, l’image…
Si les registres iconique et scriptural semblent bâtis et appréhendés selon des logiques divergentes, leur complémentarité est en réalité constante.
La sémiologie de l’image tout comme la structuration du langage dialoguent, se répondent, s’interrogent.
Le visuel nous « regarde » et nous parle, au moins autant que nous nous efforçons de le décrire. Inversement, le langage, procédant par déplacement, par métaphore, induit, à chaque nouvelle énonciation, une « vision » autre, une altération et une altérité, qui modifient le regard aussi radicalement qu’un « petit pan de mur jaune » foudroie Bergotte, sans que l’on sache vraiment si c’est la vision de ce pan de mur de la Vue de Delft de Vermeer qui le tue ou l’expression choisie par Proust pour la décrire, préfigurant les onomatopées du siècle à venir : « pan ».
Le texte et l’image se regardent… non pas en chiens de faïence, même si la re-présentation iconique a souvent fait l’objet d’un rejet hystérique, en général religieux, notre époque étant idéalement placée pour observer cette nouvelle résurgence psychopathologique dont les occurrences auront ponctué les siècles : l’image est alors renvoyée violemment hors du champ du texte, en dehors de la scène, considérée précisément comme ob-scène en ce qu’elle montre ce que le texte ne DIT pas ou refuse de VOIR, qu’elle l’offre spontanément au regard, sans échappatoire possible, au risque de provoquer cette « sidération » médusante, fascinante, décrite par Pascal Quignard, dans Le sexe et l’effroi.
Le texte et l’image s’observent en ce que chacun, dans son altérité, dit quelque chose de l’autre qui, précisément, « le regarde » : comme deux amants, donc, se complétant, créant une réalité autre que celle de leur simple juxtaposition ou alliance de circonstance. Ils s’appellent, se décrivent, s’écrivent, s’épient, se nomment, se montrent, se séduisent, se maquillent, se parent, se mettent à nu ou se dissimulent. Barthes dirait qu’ils se « draguent ».
En tous les cas, ils se parlent, à proportion qu’ils se regardent.
Dans le geste d’écriture, tout comme dans la pratique de lecture, le graphisme incarne à merveille ce lien, ce lieu dans lequel les deux systèmes sémiotiques de l’image et du texte se rejoignent, ce lieu qui, du même radical, graphein, trace une route vers la narration et une route vers le dessin, lieu dont le graphisme est le carrefour mais aussi la manifestation épiphanique. La subtilité du travail typographique vient souligner, dans la production éditoriale, ce moment où l’image et le mot se conjuguent ensemble.
La part du visuel dans le monde de la lecture et dans les bibliothèques est omniprésente, qu’il s’agisse du rôle majeur joué par l’illustration dans la littérature jeunesse, mais aussi de la bande dessinée et du roman graphique qui ont, désormais, acquis leurs lettres de noblesse et leur droit de cité parmi les collections littéraires ou documentaires, mais aussi au sein de l’offre numérique abondante. Parfois, ces chemins mêlés empruntent des voies de traverse tout aussi foisonnantes, où le culturel, l’artistique, le social, le politique, se répondent selon des modes innovants, comme avec les fanzines.
Enfin, l’art est présent, présenté, exposé, dans sa matérialité qui souvent bouscule ou questionne l’obsession numérique ambiante, qu’il s’agisse des livres d’artistes, des œuvres d’art contemporain empruntables dans les artothèques et très souvent mises en valeur par les établissements de lecture publique, ou enfin des très nombreuses expositions relevant de l’action culturelle des bibliothèques.
L’œil écoute, tout autant que le texte voit…