Les bibliothèques après les attentats de janvier 2015

Philippe Charrier

Dominique Lahary

Les évènements dramatiques de janvier 2015 ont suscité l’émotion, mais aussi le questionnement des professionnels sur l’action possible des bibliothèques suite à ces attentats. Le blog « Bibliothèques, maisons communes » lancé le 11 février témoigne de cette mobilisation.

The tragic events of January 2015 caused a public outcry, while librarians reacted by asking what they could do to help heal the country's wounds. The blog "Bibliothèques, maisons communes", launched on February 11, is just one response from libraries.

« Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? » Cette inlassable question a tourné en boucle dans le débat public et dans bien des conversations depuis les exécutions ciblées des 7, 8 et 9 janvier 2015. On a beaucoup parlé de l’école. Pratiquement pas des bibliothèques, sinon dans la bouche de Jérôme Guedj, Patrick Lévy et Aurélie Filippetti à propos de l’ouverture du dimanche : c’était déjà quelque chose, mais ça n’épuise pas la question.

Face à ce constat, et parmi de nombreuses autres initiatives, deux bibliothécaires ont lancé un appel à la profession en marge de la préparation du congrès de l’Association des bibliothécaires de France (ABF) prévu en juin 2015 à Strasbourg. Il s’agit pour eux de se retrouver autour d’une affirmation – les bibliothèques sont des maisons communes qui ont un rôle à jouer dans la réparation du lien social –, d’une préoccupation – mobiliser les bibliothécaires autour d’une réflexion-action –, d’un programme de travail qu’aucune autorité ne peut prendre en charge sans une mobilisation de la profession au-delà des initiatives locales.

Le blog Bibliothèques, maisons communes 1 est donc dans un premier temps un lieu d’échange et peut devenir un lieu de mobilisation pour définir l’action à mener au niveau national.

Lancé le 11 février, il a reçu plus de 3 000 visites, mais les commentaires sont moins nombreux que les abonnements. L’intérêt de ce blog, au-delà d’un espace d’expression, est avant tout de dégager des axes de travail et des formes de mobilisation qui aillent au-delà du court terme et des actions locales ou événementielles.

La plupart des commentaires reçus saluent l’initiative, certains alimentent le débat ou font des propositions. La nécessité de travailler avec les enseignants est soulignée et un lien vers une initiative d’enseignants d’Ile-de-France a été établi  2.

Un autre commentaire fait référence au Bondy Blog et au rôle des médias : « Aucun média en France n’a de politique digne de ce nom en direction des jeunes. La télévision n’offre à la jeunesse française que de la téléréalité, et la radio, du divertissement et de la musique. Les grands médias ne s’adressent plus qu’aux plus de 50 ans, et participent ainsi à la dépolitisation de la jeunesse  3. »

L’ouverture des bibliothèques est également évoquée : « […] je ne mettrais en avant qu’une seule revendication ou mot d’ordre, comme vous voudrez : l’ouverture totale des bibliothèques, en particulier le dimanche. […] Il est possible d’ouvrir les bibliothèques 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 ».

Une référence est faite à « la déclaration de Fribourg du 7 mai 2007, […] [qui] a le mérite de poser des questions essentielles quant au service public à rendre aux habitants que nous desservons. Transversalité des pratiques, interconnexion des projets et des territoires, respect des identités culturelles, accès à l’éducation et à la formation, mise en capacité des personnes, principe de gouvernance partagée, autant de thèmes forts qui peuvent enrichir la discussion qui s’amorce ici. Elle permet également de resituer les missions des médiathèques dans un cadre plus large qui prend en compte les mutations sociales et celles du métier qui en découlent  4 ».

Une collègue québécoise fait écho avec l’orientation donnée « au réseau des bibliothèques de la Ville de Montréal [qui] a choisi d’orienter le développement de ses bibliothèques à titre d’outil de développement et d’intégration sociale. Et ce, en mettant en l’avant la mission citoyenne et démocratique de la bibliothèque, lieu de parole et de connaissance. Des espaces seront créés à cet effet, des programmes seront développés et des collaborations avec les organismes du milieu seront mises en place  5. »

L’ADBGV et un inspecteur général des bibliothèques ont témoigné leur intérêt pour la démarche.

Gardons le meilleur pour la fin, qui nous vient des groupes régionaux Paris et Ile-de-France de l’ABF régionale d’Ile-de-France qui préparent une journée au mois de mai : « Nous avons laissé tant de gens de côté sans le vouloir mais en étant très aveugles et nous en payons le prix. Tout à fait d’accord avec la réflexion à mener de nouveau sur le plafond de verre des 20 % [du public “naturel” à dépasser] ! Je crois aussi que nous n’y arriverons pas seuls. Abd Al Malik écrit “le peuple des cités a été colonisé, déresponsabilisé, on a tout décidé pour lui… ”, c’est le sentiment que j’ai […] que l’on veut faire encore à la place de… alors comment reconstruire et avec qui ? Il est indispensable de corriger le tir et cette journée d’étude du mois de mai sera une petite pierre dans le grand chantier qui nous attend. »

D’autres initiatives

– Le groupe ABF Midi-Pyrénées avait déjà prévu une journée d’étude le mardi 31 mars 2015, sur le thème : « Les bibliothèques : faire société ? »

– L’ABF annonce une journée le 21 mai : « Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Les bibliothèques après les événements de janvier 2015 »

à la nouvelle médiathèque

Françoise-Sagan, Paris 10e.

– Une journée d’étude nationale coorganisée par la BPI et l’ABF est prévue pour l’automne 2015.

    Quelques extraits de l’appel – Après les attentats de janvier 2015 : les bibliothèques, un outil pour construire et réparer le lien social

    Après le moment de l’émotion viennent ceux de la réflexion et de l’action :

    Réactions naturelles aux attentats

    Les bibliothécaires, en tant que médiateurs, se sont prioritairement attachés à poser la question du pluralisme, de la censure et des équilibres de l’offre documentaire. C’est légitime et nécessaire pourvu qu’on s’interroge sur ses propres pratiques. Et l’attaque contre la liberté d’expression appelle une telle réflexion.

    Mais, s’il est vrai que la médiation de contenus confère une portée sociale à la fonction des bibliothèques dans la cité, elles ne peuvent que s’interroger également sur leur rôle dans les évolutions sociales qui sous-tendent les événements.

    Ce que sont les bibliothèques :
    des maisons communes

    Bien souvent, dans le quartier ou le village, la bibliothèque ou médiathèque publique est le seul équipement ouvert à tous sans condition ni obligation de consommation tarifée, sans sélection par l’âge ou la nature des activités proposées. En centre-ville ou quartier attractif, la grande médiathèque attire des populations variées. On sait que de plus en plus de personnes pénètrent dans ces équipements, y séjournent, sans forcément y emprunter ou rendre des livres ou autres documents.

    Premier réseau culturel du pays avec quelque 17 000 lieux, inégaux en vérité dans leur capacité à remplir les missions ici décrites, il a vocation à être partout, dans la proximité du quartier et du village et l’attractivité des centres.

    Un programme de travail

    De ces considérations on peut tirer quelques éléments d’un programme :

    • Prendre en compte la dimension d’espace public et son rôle dans la société. Ce qui veut dire étudier cette question, partager les expériences, disséminer les innovations.
    • Là où les équipements le permettent, réfléchir aux actions possibles, échanger sur les expériences, consolider et capitaliser les acquis.
    • Élaborer des éléments pouvant inspirer les aménagements et construction de locaux de bibliothèque prenant en compte leur fonction d’espace public.
    • Identifier les zones d’habitation dépourvues de tels services et prendre les mesures nécessaires pour combler ces manques.
    • Travailler sur les équipements multifonctionnels, faisant cohabiter ou mêler [sic].
    • Travailler sur les synergies nécessaires entre services culturels, sociaux et autres relevant ou non des mêmes autorités publiques ainsi qu’en lien avec le tissu associatif.

    Appel pour un partage de la réflexion
    et des expériences

    Si l’urgence est là, la précipitation serait la pire des réponses. La réflexion professionnelle ne découvre pas ces problématiques et est déjà riche. Il ne s’agit donc pas de produire pour produire des textes qui viendraient recouvrir d’un vernis conjoncturel une réflexion déjà existante.

    Il s’agit de produire une réflexion et un diagnostic aptes à déboucher sur des objectifs et de nouveaux outils de travail pour les bibliothèques.

    Il s’agit également de partager les expériences, les réussites comme les échecs.

    À cette fin, nous proposons que s’organisent une série d’ateliers conçus à l’échelle nationale ou locale selon un programme de thématiques à traiter de manière ouverte et coordonnée.

    C’est pourquoi nous appelons élus, professionnels et intellectuels, individuellement ou organisés en associations ou collectifs et partageant ces objectifs, à tout faire pour que de telles initiatives se développent et se coordonnent.

    Nous vous proposons de regrouper vos réactions et retours d’initiatives sur le présent blog de manière à garder trace, pouvoir faire état de ces actions et éventuellement converger vers une initiative professionnelle commune.