Les hommes de l’ombre
Portraits d’éditeurs
François Dosse
Perrin, 2014, 419 p.
ISBN 978-2-262-03754-3 : 25 €
François Dosse est un habitué des longs parcours ; auteur, notamment, d’une biographie remarquable de Michel de Certeau (La Découverte, 2002), d’une biographie croisée de Félix Guattari et Gilles Deleuze (La Découverte, 2007), de Paul Ricœur (Armand Colin, 2012), de Cornélius Castoriadis (La Découverte, 2014), il nous propose ici une série de portraits d’éditeurs qui ont fait, avant que n’arrivent les financiers et la rentabilité à deux chiffres, le monde des lettres et de l’édition française.
Cet ouvrage, pour le concierge du boulevard Saint-Germain que nous ne manquons pas d’être en toutes circonstances, était une sorte de pain béni. Enfin, nous allions tout savoir sur Claude Durand, sur Françoise Verny, sur François Maspero, pour n’en citer que quelques-uns, sans oublier, bien sûr, Maurice Nadeau, éternel centenaire.
Que dire, à la fin de cette lecture ? Nous n’avons pas appris grand-chose de bien consistant, ou, plus exactement, de bien nouveau. On connaît la formule : ce qui est nouveau n’est pas très intéressant, et ce qui est intéressant n’est pas nouveau. Pour les lecteurs que nous tentons d’être, les mémoires de Maurice Nadeau (Grâces leur soient rendues, Albin Michel, 1990), de José Corti (Souvenirs désordonnés, José Corti, 1983), le catalogue consacré aux éditions Maspéro (François Maspéro et les paysages humains, La fosse aux ours, 2009), l’ouvrage d’Anne Simonin (Les Éditions de Minuit, IMEC, 1994), la biographie de Pierre Assouline consacrée à Gaston Gallimard, les ouvrages que Jean-Yves Mollier a consacré à l’édition (L’argent et les lettres, Fayard, 1988 ; Édition, presse et pouvoir en France au XXe siècle, Fayard, 2008) nous en disent plus ; et d’ailleurs, c’est la force et l’honnêteté de François Dosse, il cite abondamment toutes ses sources, celles-ci, des articles, et aussi des entrevues, plus ou moins anciennes, avec les éditeurs concernés : on conçoit bien que l’entretien avec Christian Bourgois ait eu lieu en 2005. Là réside sans doute l’intérêt : ce que les éditeurs eux-mêmes ont pu ajouter aux propos déjà écrits ; pour autant, l’itinéraire d’un Robert Laffont, les errements d’une Françoise Verny, tout aussi sensibles soient-ils, ne rendent pas compte de la part qu’ils ont pu prendre dans l’évolution du marché de l’édition. Sans doute, le défaut principal de cet ouvrage, qui n’a pas la densité des biographies citées au début, tient-il à cette mosaïque, à ce kaléidoscope sans vrai fil directeur : ce n’est pas l’aspect économique que Jean-Yves Mollier a si bien décrit, ni financier qu’Yves Pagès a si bien analysé, et qui rendent grâce à ces années foisonnantes. Il nous restera quelques figures, peu connues, que François Dosse a sorties de l’ombre bien imméritée dans laquelle elles se perdaient (Charles Orengo, par exemple), et aussi quelques absents : Éric Losfeld, le sulfureux René Grasset, voire Robert Denoël, Gérard Lebovici. Ce livre reste d’un commerce agréable, il permet de passer quelques bons moments, de retrouver, le temps d’un voyage en train, quelques amis d’un monde d’hier trop tôt disparus. Mais c’est tout, et c’est dommage.