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Le [nouveau] site internet de La Bibliothèque de Saint-Herblain
Article publié dans le BBF n° 4 de janvier 2015
En mai 2013, nous commettions dans ces mêmes pages un article en forme de manifeste faisant valoir les ambitions pour le nouveau site internet de La Bibliothèque de Saint-Herblain, alors en réflexion. Nous défendions un esthétisme fonctionnel qui nous permette de penser autrement un site de bibliothèque, répudiant le modèle clé en main communément répandu : un « portail » composé d’un bandeau et de trois colonnes entourant le catalogue ; l’ensemble aboutissant à des écrans surchargés d’informations et graphiquement indigents.
À l’heure où il s’agit tant de « réinventer la bibliothèque » en repensant l’offre de service et la fonctionnalité des espaces, l’uniformisation des sites de bibliothèques dans leur forme comme dans leur fond nous semblait venir en contradiction et faire le beurre des prestataires spécialisés dans ce type d’outil, qui n’ont plus qu’à dupliquer d’une ville à l’autre leur produit, plutôt que servir le service de lecture publique, et donc les usagers dans leur diversité. Or, nous voulions un site qui fasse sens tant dans son architecture que dans son ergonomie et dans ses contenus. Sens par rapport aux ambitions qui sont celles de La Bibliothèque et qui sont donc nécessairement relatives et uniques.
Aussi, nous véhiculions la secrète utopie de « réenchanter » la bibliothèque en intégrant dans la structure même du site internet les partis pris graphiques qui sont ceux du service et des propositions innovantes qui permettent de « partager le regard » avec nos usagers. Nous croyons en effet que la beauté est d’utilité publique et nous la défendons autant qu’elle fait sens, ainsi nous souhaitions pour la conception du site permettre à la création graphique de proposer des informations claires dans des images remarquables, ce qui demandait de sortir des sentiers battus et de rencontrer des professionnels moins aguerris à l’univers des bibliothèques et face auxquels nous aurions aussi à reformuler, repenser, réinventer le sens de l’action.
De ce fait, nous prétendions à une « créativité bibliothéconomique » et appelions à un droit d’invention. L’hégémonie commerciale que nous pointions dans notre premier article est réelle et nous nous y sommes plus que frottés.
Cependant aujourd’hui, nous pouvons narguer tous les sceptiques : le site « beau et utile » auquel nous croyions est né et il ressemble à nos ambitions et, ainsi, à La Bibliothèque de Saint-Herblain.
Alors, et même si, après dix jours de publication, des réglages sont encore à faire (soit dit en passant, par le prestataire catalogue…), nous avons eu envie de revenir dans les colonnes du BBF pour faire valoir notre expérience et démontrer que d’autres choses sont possibles, avec beaucoup de volonté, beaucoup d’énergie et, ne le négligeons pas, un investissement très important de la part de la collectivité tant sur le plan des convictions que sur le plan financier.
Un produit sur-mesure est toujours plus coûteux mais nous pensons qu’il sera indubitablement plus seyant sur le long terme, qu’il s’ajustera mieux aux évolutions, et surtout qu’il aura l’allure d’une bibliothèque qui place le service rendu à l’usager en son centre et qui veut pour lui, et pour les créateurs de contenus, le meilleur.
Lutter contre les sceptiques
– méthodologie de la conviction
Très rapidement, après avoir défini nos objectifs, est apparue la nécessité d’être accompagnés par un prestataire extérieur de manière à évaluer la pertinence de l’architecture informatique qui était requise, à prospecter et à monter les marchés. Une assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) a donc été confiée à un consultant qui s’annonçait intéressé par le défi à relever. Il a donc accompagné le comité de pilotage composé de bibliothécaires et d’informaticiens de la Ville pendant plusieurs mois. En dépit de l’intérêt annoncé, il s’est finalement avéré un des plus grands sceptiques rencontrés et nous avons dû souvent lutter contre des vents contraires pour affirmer l’ambition du projet. Nous nourrissions celle-ci auprès de sites publiés dans d’autres « mondes » que celui de la bibliothéconomie française, et aussi des échanges que nous engagions avec des webdesigners ou développeurs plus audacieux face au défi technologique. Notre enthousiasme ne s’est donc pas laissé rabattre et nous avons tenu bon, vérifiant que l’utopie dénoncée ne l’était que par une approche réductrice et univoque des bibliothèques.
Quelle hérésie de vouloir faire de la bibliothèque un monde de découvertes, de plaisir et d’expériences, n’est-ce pas ?
Mais ne soyons pas dupes, il ne s’agit pas tant de convictions par rapport à un univers professionnel que de facilité à gagner de l’argent à partir de recettes toutes prêtes et modélisables.
Qu’importe, chemin faisant, l’architecture du site s’est engagée autour de trois axes traduits ensuite en lots de marchés publics : le webdesign, le catalogue et un DAM (Digital Access Management) nécessaire pour la gestion des contenus numériques de La Bibliothèque au titre desquels les estampes et les livres d’artistes qui seront prochainement visibles depuis une interface dédiée, La Galerie.
Puis, le travail a pu s’engager et nous avons trouvé de bons partenaires qui, se plaçant à hauteur d’usage, nous ont permis de vérifier la pertinence de nos propos et la véracité de nos propositions, voire y ont trouvé un challenge créatif et heureux.
Une utopie à portée de mots
– l’exercice de l’audace
Pour défendre ce projet, nous avons dû commencer par en contester la terminologie : nous ne construirons pas un « portail » mais un site.
Le portail désigne en effet « ce qui conduit vers », c’est donc un terme qui réduit l’objet à sa fonction. Sitôt franchi, il ne se voit plus, ne se lit plus. Portail ! Effet d’annonce inutile, encombrant : la fonction a-t-elle besoin d’être dite ? Et concept enfermant : un portail peut-il être autre chose qu’un pas-de-porte ?… Selon nous, un site culturel doit être une expérience en tant que telle. Ce qui produit de la curiosité et de l’envie (le rôle des bibliothèques, non ?). Indiquer, conduire vers, mais aussi accueillir, partager et cultiver le regard et les idées. La forme et le fond nous semblaient nécessairement aller de conserve. Si le principe de performativité a dû s’appliquer au langage de la navigation, appliquons-le également aux images. Notre ambition était donc de mettre sur le même plan acte de langage et acte d’image.
Nous avons eu le plaisir de rencontrer d’autres utopistes qui ont vu dans notre projet et, contre toute attente, l’occasion de se livrer à de nouvelles problématiques. Car les bibliothèques, si elles n’intéressent pas suffisamment les graphistes, webdesigners ou développeurs, ce n’est pas tant par manque d’intérêt que par méconnaissance de nos enjeux. La première des leçons que nous avons reçue, après celle de la nécessité de croire en nos objectifs avec force et conviction, est donc celle-là : les bibliothèques doivent communiquer, être visibles, se faire connaître dans des champs où elles ne sont pas ordinairement présentes. Car elles ont le pouvoir de devenir de formidables terrains de jeux, nouveaux et riches, pour les créateurs et développeurs dont elles ont aussi à apprendre. En faisant tomber les frontières imposées par une hégémonie commerciale fléchée, nous avons dégagé un horizon de pensées et d’actions.
Il convient donc avant toute chose que la bibliothèque sorte de ses automatismes et des lignes commerciales toutes tracées et qu’elle réussisse à entrer en dialogue avec les concepteurs du web. Cela demande un certain engagement, certes, mais aussi des compétences, une capacité à confronter une terminologie à une autre et, in fine, d’accepter de partager son outil avec des « non-experts » de la bibliothèque (s’il en est). Cela apportant aussi sans aucun doute la garantie de rendre lisible le propos pour tout un chacun.
Nous nous sommes donc lancés dans la recherche de partenaires attirés par le défi que nous nous lancions, en nous mettant à fréquenter les différents hubs locaux, La cantine numérique à Nantes notamment, et à ouvrir notre horizon à des champs larges et parfois hors frontières. Il a fallu prospecter, devenant des ambassadeurs directs de notre projet.
Mais d’abord, la conception de notre site demandait de stabiliser une identité graphique. Le site, c’est du langage, en l’occurrence, le langage d’une charte graphique dont il est une des traductions, sans rupture, adoptant sa syntaxe et son vocabulaire.
La Bibliothèque ayant considérablement évolué ces dernières années, passant de trois à sept équipements, intégrant le jeu dans ses collections et de nouveaux services tels que l’autoformation et la médiation numérique, elle avait besoin d’une identité qui recrée de l’homogénéité et une cohésion de service.
Aussi, d’une identité régénérée et qui puisse porter les messages du nouveau projet de Direction : découverte, partage, médiation.
Nous avons donc, en parallèle des prestations strictement liées à la conception du site, lancé une consultation pour la conception d’une nouvelle identité qui nous permet aujourd’hui de confier notre communication print et numérique à l’agence lyonnaise Trafik. Ce travail a été très enrichissant, à commencer par le regard porté sur notre activité et sur la reformulation qui en est ressortie. En effet, après nous avoir longuement écoutés et après avoir visité les équipements, ils nous ont initialement proposé de remplacer « bibliothèque » par « centre culturel ». Nous ne pouvions nous engager dans cette voie d’un point de vue administratif. Seulement l’esprit était bien cerné et il y a bien synonymie dans la conception du lieu tel que nous voulons le faire vivre. Nous avons en outre entériné leurs propositions inscrites dans l’esprit Bauhaus : croisements disciplinaires, utilitarisme de la connaissance, partage des savoirs, parcours de découvertes et centralité de l’expérience sensible. Le webdesign du site de La Bibliothèque repose donc sur cette nouvelle charte graphique qui devient le langage visuel qui dit La Bibliothèque dans ses singularités.
Le site, c’est aussi une Carte blanche numérique, proposition faite aux artistes du web de publier une œuvre numérique originale visible depuis une page dédiée. Le site devenant ainsi un lieu d’exposition de la création graphique numérique.
Pour sa première édition, nous avons souhaité la confier à Trafik qui s’est saisi du projet pour développer une application, La Signotek.
Le webdesign a quant à lui été confié à l’agence Anima Productions, déjà connue localement pour son travail très qualitatif autour du Voyage à Nantes. Peu de bruit sur les pages, pas de sollicitation visuelle inutile, de la fluidité, l’usage de la photographie en parallaxe, de l’utilitarisme esthétique manifestement proche de celui que nous recherchions. Nous avons vraiment maillé nos conceptions, beaucoup échangé, beaucoup affiné les grains conceptuels et, enfin, réussi à composer des pages élégantes, porteuses de messages simples et valorisant la richesse des contenus proposés. Quelle expérience enthousiasmante !
Nous avons beaucoup appris de ces échanges de points de vue avec les graphistes et webdesigners qui, en quelque façon, forcent à une réductibilité des messages qui les rend plus clairs et plus efficaces, au bénéfice des usagers et de l’offre de service.
Pour la partie catalogue et DAM, nous avons eu un seul et même prestataire : W3Line. Aux évolutions fonctionnelles ont été corrélées des évolutions structurelles avec un changement de version du progiciel (Aloès 2.1) afin de consolider les web services en place.
Par ailleurs, à la recherche bibliographique « classique », nous avons souhaité proposer un mode de découverte alternatif qui puisse affirmer que l’envie vaut autant que la demande ou le besoin. Ce qui nous a conduits assez rapidement à travailler avec l’équipe de CultureWok qui avait déjà engagé la réflexion autour d’une idée toute simple, De quoi avez-vous envie ?
À la suite de cela, l’agence Anima Productions s’est chargée de créer une interface web ludique et esthétique.
Autre nouveauté et toujours dans une logique design d’interface et expérience utilisateur, l’agence Anima nous a proposé de concevoir le site en briques autonomes et donc transportables dans d’autres environnements informatiques de manière à valoriser contenus et services depuis des dispositifs tactiles. Ce qui revient à dire que l’Opac, la Carte blanche numérique, le Wok et La Galerie pourront ainsi être proposés en usage isolé sur tablettes, table connectée, etc.
Naviguer : océan de découvertes
et îles à rechercher
Le site s’articule autour d’une (« jumbo ») barre de recherche qui, en langage intuitif, permet de lancer une recherche croisée sur l’ensemble des bases de référencement (ce qui revient à interroger l’ensemble du site et du catalogue) et donc, de rapatrier des résultats qui croiseront différentes données.
Il nous importait en effet de faire valoir les contenus plus que les supports, et de ce fait, de pouvoir mettre au même niveau une œuvre d’art, une bande dessinée ou une animation (via la vidéo alors produite). Cela corrobore la volonté de rendre accessible au plus grand nombre le plus important volume de données à partir d’une seule requête, et cela sur un mode découverte, qui permet pour une fois de naviguer à vue, et donc émancipe de l’érudition bibliothéconomique.
Cela permet également d’enrichir les propositions : données bibliographiques certes mais aussi players vidéo et sons, commentaires et informations tirées de l’agenda, le tout rapatrié à partir d’une seule et même recherche. En arrière-fond de la page d’accueil, une œuvre numérisée, extraite de la collection de La Bibliothèque et qui change à chaque rafraîchissement de page, crée du mouvement et de la versatilité graphique. Un teaser annonçant la nouvelle Carte blanche numérique viendra également au coup par coup jouer comme une page de garde mobile du site.
Autre élément ludique, une des enluminures du logo identitaire cache des « morceaux cachés » : gimmick, extrait de films, citation en lien avec la collection… Un menu complet permet d’accéder à la présentation de La Bibliothèque, à ses données pratiques, à son agenda ; un mode « recherche » permet d’accéder au catalogue « classique » et, sur le même niveau, au Wok, et un mode « découverte » permet de s’intéresser aux thématiques référentes du service (fonds spécialisés en danse et théâtre contemporains, arts graphiques) et de croiser les différents flux qui y sont indexés sur l’ensemble du site. C’est à partir de là, que nous pourrons rejoindre La Galerie des œuvres numérisées. Estampes et livres d’artistes pouvant visuellement être découverts avec la fluidité d’un glissement de pas sur un parquet, rendu par une navigation en scroll horizontal (le site est par ailleurs entièrement en scroll vertical).
La volonté de participer à l’essaimage des données sur le web et de faciliter l’appropriation du site par les publics nous a, par ailleurs, invités à multiplier les boutons d’export vers différents types de réseaux sociaux, aussi à faire que l’usager puisse s’abonner aux flux de son intérêt de manière fine et personnalisée. Le même sens est donné à « votre espace » où l’usager peut disposer d’un espace personnalisé pour archiver recherches et résultats et se connecter aux ressources numériques de manière authentifiée. Nous avons également ouvert le site aux données entrantes avec des abonnements à des bases de données extérieures (Babélio notamment) et nous aimerions multiplier ce type d’entrées en croisant en priorité les données avec l’offre culturelle locale (Saint-Herblain compte une Maison des arts et une scène conventionnée danse, Onyx, et a une convention de partenariat avec la BM de Rezé).
Enfin, des items différenciés permettent d’isoler les contenus plus professionnels (rapports d’activité du service, dossiers de presse…).
« Convergence et partage, fédération et dispersion », voici donc nos ambitions, abouties, et le pari, relevé !
Notre site est donc ouvert aux échanges et au dialogue, et sans doute le fait que sa conception ait porté les mêmes impératifs a favorisé cela. Aujourd’hui, le site existe. Perfectible comme toute chose, nous en sommes fiers et les premiers retours des publics et des professionnels extérieurs sont bienveillants et encourageants. Nous remarquons encore que ce qui est le plus difficile à faire bouger ce sont les lignes de développements purement bibliothéconomiques, et donc tout ce qui a trait au catalogue, mais nous aurons au moins remué les habitudes de ce côté-ci aussi et nous espérons que d’autres en profiteront bientôt et avec l’assurance de murs plus solides que ceux que nous avons parfois dû porter d’un bras…