Le cas Accrodoc

L’autoformation à la méthodologie de la recherche d’information vue par les enseignants

Agnès D’halluin

Mis en place en mars 2013 pour permettre aux étudiants de se former de façon homogène à la méthodologie de la recherche d’information, Accrodoc 1

est un site d’autoformation géré par le service commun de la documentation (SCD) de l’université Lyon-2. Une arborescence simplifiée propose une trentaine de supports accessibles en ligne sans authentification : des tutoriels (screencast), des cours en ligne avec outils d’autoévaluation, de petits films et des ressources externes.

Il est actuellement géré et alimenté par une équipe de cinq personnes (1,25 équivalent temps plein).

Usages d’Accrodoc

Conçu notamment pour pallier les difficultés rencontrées par les bibliothécaires pour intervenir lors des formations méthodologiques des étudiants en première année de licence, Accrodoc encourage un usage autonome de la part des lecteurs. Les statistiques confirment la réalité de cet usage personnel et pragmatique des supports de formation : on constate que les supports les plus consultés sont, dans les premiers mois de l’année universitaire, ceux qui permettent d’appréhender la recherche de documents (Trouver de la doc, Préparer mes recherches, le tutoriel « Rechercher rapidement un ouvrage ») ; dans un second temps, les consultations s’équilibrent en faveur de supports consacrés à des thématiques plus précises (Bibliographie, Thèses et mémoires, Évaluer un site web), et finissent par diminuer aux époques où les lecteurs étudiants sont a priori déjà acculturés et formés aux réalités documentaires de l’enseignement supérieur.

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Figure 1. Consultations 2014 d’Accrodoc
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Figure 2. Consultations 2014 des cours Accrodoc

Cet usage d’Accrodoc est corrélé à des besoins bien identifiables. Il semble confirmer que beaucoup de nos étudiants sont en demande d’informations méthodologiques complémentaires à leur formation universitaire. Il paraît essentiel que cet usage perdure et reste possible, notamment pour les étudiants n’ayant pas suivi un cursus complet dans la même université, et ayant dû appréhender in medias res tous les prérequis en termes de compétences informationnelles propres à Lyon-2.

Néanmoins, force est d’admettre que l’acquisition poussée de compétences informationnelles est encore le fait d’une minorité d’étudiants. Depuis plusieurs années, le service commun de la documentation n’intervient plus dans les cursus de première année de licence à Lyon-2. Les composantes et facultés sont néanmoins tenues de maintenir un enseignement de méthodologie en première année de licence, sans que les mentions relatives à la documentation y soient systématiques, ni référencées. Accrodoc avait également pour objet de permettre aux chargés de cours de ces unités d’enseignement (UE) de posséder une base commune de connaissances, de ressources et de références pour les aider dans l’enseignement des aspects documentaires de la méthodologie.

Ce type d’usage est difficilement quantifiable par les statistiques du site. Proposition avait été faite aux enseignants par divers biais (lettre aux personnels, intranet, présentation en conseils) de contacter le SCD pour l’élaboration de supports spécifiques, supplémentaires, ou simplement pour un accompagnement dans la prise en main d’Accrodoc. Aucun retour n’a jamais eu lieu sur cette proposition.

Contexte de l’enquête auprès des enseignants

Après dix-huit mois d’existence, l’équipe Accrodoc a donc souhaité enquêter auprès des enseignants de l’université pour savoir comment ils percevaient cet outil, s’ils l’utilisaient, personnellement ou dans un cadre pédagogique, et comment ils concevaient le lien entre leurs pratiques méthodologiques et les outils que leur proposaient les bibliothèques universitaires.

Avec le concours du SESAP (Service des études statistiques et d’aide au pilotage) de Lyon-2, une enquête a été lancée auprès des enseignants de l’université en novembre 2014. Un courriel d’invitation et deux relances ont été adressés à 911 enseignants de tous statuts. 299 ont répondu à l’enquête de façon complète, ce qui nous a paru un taux de réponse relativement favorable de la part d’une population traditionnellement difficile à intéresser à ce type de dispositif.

Les résultats de l’enquête ont confirmé un certain nombre d’hypothèses à partir desquelles nous travaillions.

Connaissance d’Accrodoc

Tout d’abord, l’enquête établit clairement que très peu d’enseignants connaissent notre site d’autoformation à la méthodologie, puisque 84 % des sondés répondent à la question « Connaissez-vous Accrodoc ? » par la négative. Sur les 44 réponses positives, 24 disent ne pas connaître de façon détaillée les supports pédagogiques qui y sont proposés.

Accrodoc a fait l’objet de plusieurs campagnes de communication, dont certaines spécifiquement en direction des enseignants. Cette réponse très nette établit une fois de plus que ceux-ci constituent un public difficile à informer. Comment toucher de façon certaine cette population segmentée, parfois volatile (chargés de travaux dirigés, attachés temporaire d’enseignement et de recherche – ATER) ?

Les suggestions faites par les répondants en texte libre donnent quelques pistes concernant cette question : améliorer encore la visibilité web d’Accrodoc, notamment sur les pages liées à la bibliothèque électronique, diffuser des documents de communication auprès des enseignants, lier de nouveau la formation, y compris par Accrodoc, aux maquettes universitaires.

La préoccupation méthodologique

La question de l’enseignement de la méthodologie universitaire dépasse largement les bibliothécaires, et notamment à Lyon-2 où les personnels du SCD n’interviennent plus que ponctuellement dans les UE de méthodologie. Aussi, il est assez difficile d’évaluer l’effort mené dans les facultés pour la formation des étudiants aux compétences informationnelles, et plus encore d’évaluer l’intérêt qu’y prennent les enseignants en tant que population.

Plusieurs questions visaient donc à situer les répondants par rapport à cette question. Il ressort que :

  • plus d’un tiers des répondants enseignent eux-mêmes la méthodologie, et 15 % évoquent plus particulièrement la méthodologie de l’information ;
  • près de la moitié affirment donner aux étudiants des conseils de nature méthodologique relatifs à la façon dont ils peuvent se documenter.

Ces taux indiquent à notre sens :

  • que la préoccupation méthodologique est un biais de l’enquête. Les enseignants en méthodologie sont a priori surreprésentés dans les répondants, et on peut légitimement penser qu’ils se sont sentis plus particulièrement interpellés par l’objet de l’enquête. Il en est probablement de même pour les enseignants qui se sentent investis d’une mission pédagogique comprenant également l’apprentissage de compétences documentaires ;
  • qu’une population non négligeable de chargés de cours de méthodologie et d’enseignants préoccupés par les questions liées à la recherche par les étudiants est présente à Lyon-2, élément sur lequel nous n’avions pas à proprement parler de certitude. Ces enseignants seraient notamment en mesure de conseiller à leurs étudiants la consultation d’Accrodoc, s’ils le connaissaient 2
    X

    Il est à noter que les statistiques de consultation d’Accrodoc n’ont pas été substantiellement impactées par l’enquête. C’est étonnant dans la mesure où on aurait pu estimer que les répondants, ne connaissant pas l’outil, auraient eu massivement la curiosité d’aller voir le site à cette occasion.

    .

Néanmoins, les résultats de l’enquête mettent en relief le fait que si beaucoup d’enseignants sont, ou se sentent, investis d’une mission d’acculturation méthodologique, très peu en revanche connaissent suffisamment l’outil Accrodoc pour l’utiliser ou le conseiller en contexte.

Même parmi les répondants ayant connaissance d’Accrodoc, un grand nombre ne l’utilise pas, considérant essentiellement le site comme un outil d’autoformation (ce qu’il est au demeurant), déjà connu des étudiants et inadapté au contexte des cours.

Pistes d’évolutions

Les résultats de l’enquête ne pointent donc pas particulièrement de défaut dans le contenu de la plateforme Accrodoc, mais bien davantage deux points problématiques.

On sait, par les statistiques d’usages, que les étudiants utilisent bien la plateforme et ses supports, mais l’enquête nous confirme que c’est bel et bien dans une dynamique d’autoformation, et non parce que l’outil leur aurait été prescrit ou présenté par un enseignant.

Il nous semble qu’il s’agit, au moins actuellement, d’une limite de l’outil, car la faculté à s’informer de façon totalement autonome est inégalement partagée par nos lecteurs. Les supports Accrodoc sont conçus pour apporter des compétences, mais encore faut-il que les étudiants en aient connaissance. Or, le plus petit dénominateur commun entre étudiants reste l’enseignement, et donc les enseignants. Puisque les résultats de l’enquête établissent que la problématique de l’acquisition de connaissances en recherche d’information préoccupe un nombre important d’enseignants, nous pourrions considérer cette prescription d’Accrodoc par les enseignants comme possible, et même probable, à deux limites près :

  • La faible connaissance de cet outil par les enseignants : les bibliothécaires ont souvent l’occasion de le constater, les enseignants en université sont une population difficile à former et à informer. Accrodoc est un outil conçu en priorité pour les étudiants et, en tant que tel, ne fait pas partie de leur environnement familier et immédiat. L’effort de communication autour d’Accrodoc a beau être constant, il est surtout manifestement efficace sur les étudiants et extérieurs ; la communication ciblée (par présentation dans les conseils par exemple) ne touche qu’une faible partie de la communauté enseignante, et la communication par la Lettre aux personnels de Lyon-2 et l’intranet ne semble pas du tout toucher son but.
  • L’inadéquation formelle entre les supports, conçus pour l’autoformation des étudiants, et un usage en cours. Au-delà de ce constat, on remarque que la perspective qui suscite le plus d’approbation chez les répondants est celle de créer des supports plus spécialisés selon les disciplines, signe que, malgré l’intérêt marqué pour la méthodologie d’un grand nombre de répondants, les enseignants restent des spécialistes. Or Accrodoc ne traite actuellement pas d’exercices proprement disciplinaires.

Il n’existe pas de façon simple de résoudre le problème de la méconnaissance. Communiquer auprès des enseignants, c’est reprendre sans cesse le travail où on l’a laissé. Parce qu’une partie de cette population est volatile (chargés de cours et de TD, ATER), parce que beaucoup d’enseignants ne se sentent pas forcément ciblés par la communication institutionnelle, deux pistes sont à explorer : la recherche de partenariats et la rencontre d’interlocuteurs enseignants d’une part, l’inscription dans les cadres de l’enseignement à l’université (maquettes) d’autre part.

La relance de projets impliquant les composantes et les enseignants apparaît donc comme une nécessité. Alors même qu’Accrodoc a été conçu comme un outil indépendant, permettant l’autonomie, et émancipant les bibliothécaires formateurs vis-à-vis des enseignements en présentiel, on constate que ces caractéristiques s’opposent en partie à son appropriation par la communauté Lyon-2.

Ce paradoxe s’exprime, tout en offrant une piste de résolution, dans la question d’un accès par grandes disciplines d’enseignement aux supports d’autoformation. Aux origines d’Accrodoc, un accès thématique par discipline était prévu en complément des accès actuellement déployés (par niveau d’études et par objectif).

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Figure 3. Arbre de consultations d’Accrodoc

L’équipe Accrodoc s’est aperçue très rapidement que cela touchait aux limites de ses compétences : il était difficile de déterminer avec certitude ce qu’un enseignant de Lyon-2 préconiserait, par exemple, en termes de documentation pour un commentaire de texte littéraire. Cet accès a donc été désactivé. Nous sommes cependant bien conscients que pour l’autoformation, cet accès serait sans doute le plus efficace, la discipline représentant un point identitaire important pour les étudiants.

La logique d’autoformation elle-même nous ramène donc à la question des enseignements et du partenariat avec les enseignants.

La difficulté à mobiliser ces partenaires sur le long terme est une donnée bien connue des responsables de service de formation des lecteurs. À cet égard, il est important de noter que les outils d’autoformation ne permettent que partiellement de contourner cette difficulté.

Cependant, ce que nous retiendrons préférentiellement des résultats de l’enquête, c’est que les problématiques traitées par nos supports d’autoformation sont estimées pertinentes par les enseignants. Cet intérêt ne suffisant pas à ce que cet outil soit réellement connu des enseignants, il apparaît désormais qu’en sus de la fourniture de cet outil autonome, informel et pratique, la formation des usagers doit également passer par une forme de ré-institutionnalisation à l’intérieur de l’université.

La persistance de cet enjeu a conduit à proposer un projet qui, dérivant d’Accrodoc, relève toujours des problématiques de la formation à distance : le SCD souhaite soumettre à l’université, dans le cadre des maquettes de licence, un dispositif combinant autoformation et cours en présentiel qui permettrait d’inclure la formation aux compétences informationnelles à l’unité d’enseignement méthodologique imposée aux étudiants de licence. De cette façon, un travail plus étroit pourra être mené pour et avec les enseignants visant à « normaliser » la présence de la documentation dans les enseignements en s’appuyant sur les outils numériques pédagogiques.

Pour aller plus loin

Sur l’autoformation

  • DEBON, Claude. « L’autoformation, avec ou contre l’enseignement supérieur ? », Distances et savoirs. 2003, vol. 1 no 3. p. 435‑439. En ligne : https://doi.org/10.3166/ds.1.435-439

Sur les initiatives liées à l’autoformation aux compétences informationnelles en bibliothèque universitaire