« Bibliothèque et musée : notions et concepts communs »
Culture et Musées, n° 21
Cette livraison de la belle revue Culture et Musées (autrefois Publics et Musées) reprend à nouveaux frais l’analyse comparée de la bibliothèque et du musée – cette fois, comme le sous-titre le précise, sur les notions et concepts et non sur les histoires, objectifs, publics, usages ou images respectifs/communs comme cela a pu être fait ailleurs – citons, par exemple, La bibliothèque et le musée : vrais parents ou faux amis, BPI, 1997 ; ou Joëlle Le Marec : « Le fameux musée poussiéreux, refuge des dimanches pluvieux, la bibliothèque hantée par quelques érudits silencieux environnés de gros volumes spécialisés sont désormais des figures repoussoirs que s’évertuent à conjurer les établissements engagés dans des rénovations et des restructurations considérables 1. »
Une approche académique
Dirigé par Viviane Couzinet (université Toulouse 3), ce dossier traite le thème au travers du prisme des sciences de l’information et de la communication – sans que soient présentés les raisons et objectifs de ce parti. Ce sont, logiquement, majoritairement des universitaires qui y ont contribué. On n’y évite pas, ici ou là, un excès de jargon qui ne rend pas la lecture fluide (par exemple, cette « dimension relative aux activités de production et de diffusion de dispositifs médiaux, autrement dit d’assemblages techniques et sémiotiques qui assurent la médiation et la médiatisation des objets valorisés, tout en participant à la configuration de leur valeur par le processus même de leur valorisation », p. 47).
Mais il est clair qu’un regard distancié, exogène, présente des atouts importants par rapport à nos sempiternelles analyses narcissiques. La difficulté vient sans doute que de bibliothèque il n’est guère question, mais plutôt de collections – et d’ailleurs, dès le début du dossier, le couple « musée et bibliothèque » devient « musée et documentologie » (p. 14).
Donc, les collections. L’écart entre collections des musées et collections des bibliothèques est analysé à plusieurs reprises : tension entre le caractère documentaire des collections des bibliothèques et le caractère artistique des collections des musées (et comment il arrive que ces caractères s’échangent) (p. 43) ; documentarisation des musées (p. 80) ; patrimonialisation des collections des bibliothèques, qui valorisent leurs « trésors » (p. 92) ; médiation documentaire (p. 120) ; documents non imprimés détenus par les bibliothèques (p. 134),…
Revient aussi plusieurs fois la question, récurrente chez les chercheurs en sciences de l’information, de ce qu’est un document – la révérence à la figure emblématique de Paul Otlet traverse tout le dossier.
Pour tout dire (mais vous l’aviez compris), tout cet apparat théorique n’est pas, à mes yeux, le plus intéressant du dossier.
Notions et concepts
Revenons à la question initiale. Quelles notions communes ? Quels concepts communs ? Ici, ni la bibliothèque ni le musée, pourtant institutions diverses, ne sont définis – on comprend, au fil de la lecture, qu’il s’agit (surtout) du musée des beaux-arts et de la bibliothèque publique (quelquefois de la BnF). Le périmètre commun, c’est « les missions de conservation et de mise en visibilité » de la bibliothèque et du musée (p. 13), l’objectif, « faire émerger des concepts communs à la muséologie et à la documentologie » (p. 14).
Viviane Couzinet énumère ainsi « universalité, information scientifique et technique, document, mémoire, collection, conservation ». Propos prometteur, mais les contributions n’y répondent qu’imparfaitement, cherchant plutôt à analyser le statut des collections/institutions/propositions de la bibliothèque et du musée – patrimonial ? artistique ? documentaire ? public ? numérique ? Comme s’il s’agissait d’abord d’asseoir les caractéristiques de ce qui est analysé avant de l’analyser. Ainsi, aucune contribution ne porte sur « la mémoire », aucune sur le concept de « collection ». L’article peut-être le plus étroitement comparatiste (Isabelle Fabre et Gérard Régimbeau) analyse la mise en espace des savoirs et des collections et leurs usages – mais, là non plus, point de vrai comparatisme, alors même que l’idée de parcours (dans les expositions et les musées) pouvait en contrepoint appeler celle du séjour en bibliothèque.
Bref, ça résiste. Viviane Couzinet le reconnaît d’ailleurs, « il reste encore beaucoup à explorer ».
Démocratiser
Un dernier point d’analyse. Quelle place, quel rôle, quel succès dans les politiques de démocratisation culturelle : l’approche historique proposée par François Mairesse (université Paris 3) n’aborde pas ce registre de comparaison (pourtant productif, qu’on pense aux travaux de Frédéric Poulard).
L’analyse par l’objectif de démocratisation, relayé par le sentiment déceptif engendré par la stagnation de la fréquentation, explique pourtant une grande part de l’évolution contemporaine des musées et des bibliothèques : élargir le public, fidéliser, former, accueillir, diversifier les offres et les médiations… Dans son article, François Mairesse évoque plutôt des moments d’évolution parallèle (au début du XXe siècle, la création des associations professionnelles, l’internationalisation, la modernisation, p. 30-33) ou de divergence (le tournant commercial des musées dans les années 1980, p. 33). Puis, il conclut sur les facteurs de rapprochement, le numérique, les industries culturelles qui doivent amener « musées et bibliothèques, poucets économiques » à travailler ensemble et finit sur « les menaces liées à leur disparition potentielle » (p. 38) – facteur majeur de rapprochement, à l’en croire. Pauvres de nous…