Desports
La plume et les crampons
Présentation de la revue "Desports" par son rédacteur en chef.
The editor-in-chief of Desports presents the new magazine.
En 1960, Pier Paolo Pasolini, inconditionnel du Bologna Football Club 1909, affirmait : « Le sport est un phénomène de civilisation tellement important qu’il ne devrait être ni ignoré ni négligé par la classe dirigeante et les intellectuels 1. » Un an après le lancement de la revue Desports, nous restons convaincus de la pertinence de la réflexion du penseur italien.
L’ambition qui fut la nôtre au commencement de la revue reste intacte : réconcilier sport et littérature, battre en brèche l’a priori d’un clivage entre les deux domaines. En juin 1924, Albert Londres, après avoir décrit l’enfer des bagnes, entreprend de suivre le Tour de France et ceux qu’il appelle Les forçats de la route. De la dénonciation de ce « tour de souffrance », aucune rupture, mais l’évidente continuité d’un travail journalistique, chevillé à cette même ambition de « tremper la plume dans la plaie ». Père du grand reportage, Albert Londres abolit les frontières entre sujets dignes et futiles : seule l’histoire prime. Noblesse du journalisme de terrain, grand reportage par excellence, des liens indéfectibles unissent d’emblée le sport au journalisme.
Entre 1954 et 1958, Antoine Blondin avait « colonne ouverte » à L’Équipe ; sa chronique singulièrement différente du reste du journal portait le titre « La Semaine Buissonnière ». Des reportages à mi-chemin entre journalisme et littérature. Rigoureux dans les faits, l’écrivain s’ingéniait à décrire l’événement en lui offrant une dimension nouvelle, romanesque dirons-nous simplement. Ainsi de ce match de football au beau milieu du Finistère, sous la pluie, opposant des amateurs. Exercice de style, l’écrivain transfigurait le réel. D’abord réticent à cet esprit nouveau, l’ensemble de la rédaction s’engage dans cette voie et écrit les plus belles pages de l’histoire de ce journal. Depuis, nombreux sont les journalistes, les écrivains qui ont célébré le sport et l’ont extrait de ce no man’s land où l’intelligentsia l’avait parfois rangé avec dédain : Norman Mailer et son Combat du siècle, Jean Hatzfeld dans le quotidien Libération, Ryszard Kapusinski et sa Guerre du foot, plus récemment Bernard Chambaz dans Plonger ou Lola Lafon dans La petite communiste qui ne souriait jamais. Tous récuseraient sans nul doute le terme de « journaliste sportif », ou pire « écrivain sportif », rétifs aux cloisons si peu semblables à nos vies. Ils sont journalistes, écrivains, et le sport qui, parfois fait irruption dans leurs œuvres, est plus qu’un prétexte et un tremplin à raconter autre chose, à dépasser le simple fait. Voilà l’ambition première de la revue Desports telle que nous l’avons souhaitée dès le départ avec Victor Robert, le sport comme un tremplin à raconter tout autre chose : raconter le Yémen à travers un reportage sur le saute-chameau (et oui !) de Samuel Forey ; une autre histoire de l’Italie à travers les pages de la Gazzetta dello sport parcourues par Bernard Chambaz ; revenir sur le siège de Sarajevo en écoutant Élisa Mignot nous conter les jeux d’hiver de Sarajevo et le devenir des installations olympiques pendant et après le conflit, etc. La revue est née ainsi : après avoir publié dans la revue Feuilleton, que nous éditons également, un reportage de Philip Gourevitch sur l’équipe cycliste du Rwanda, « Les Grimpeurs », ainsi qu’un portrait de Mike Tyson, « Tyson en banlieue », nous avons reçu de nombreux témoignages enthousiastes, lecteurs, libraires, journalistes, nous laissant supposer qu’il y avait sans doute une nécessité de faire entendre le sport autrement, de créer cette revue « à lire avec marque-page ». Un an plus tard, notre enthousiasme est intact, la revue a su trouver sa place et les lecteurs nombreux nous ont permis de continuer l’aventure. Près de 8 000 lecteurs pour le premier numéro, presque autant pour le deuxième opus. Les nombreux courriers des lecteurs, les propositions de sujets qui affluent, le soutien des libraires et les échos dans la presse, ont accentué cette intuition première. Gageons que ce pari sera durable et que nous pourrons longtemps célébrer ces noces des plumes et des crampons.