Promouvoir les œuvres culturelles

Usages et efficacité de la publicité dans les filières culturelles

par Christelle Petit

Jean-Samuel Beuscart

Kevin Mellet

Ministère de la Culture et de la Communication, Département des études, de la prospective et des statistiques, collection « Questions de culture »
Paris, 2012, 228 p., 21 cm
ISBN 978-2-11-128149-3 : 12 €

Dans la collection « Questions de culture », dédiée à la publication des résultats des travaux d’études et de recherche réalisés par le Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture et de la Communication, en matière de sociologie et d’économie de la lecture, l’ouvrage Promouvoir les œuvres culturelles propose une étude empirique des pratiques de promotion du secteur culturel.

À partir de l’exploration d’une base de données des dépenses publicitaires sur la période 1999-2009, fournie par la société de pige publicitaire  1 Kantar Media, et d’entretiens semi-directifs avec des acteurs professionnels de la promotion culturelle, l’objectif premier est de documenter les pratiques de promotion des principales filières culturelles en France, en une description structurée par trois axes : quelle distribution des efforts de promotion ? Quelle appréhension de l’incertitude du succès spécifique aux produits culturels ? Quelle recomposition liée au développement d’internet ?

L’étude vient donc compléter un vide laissé à la fois par la sociologie, qui s’est bien davantage attardée à étudier l’opposition entre le monde de l’art et celui du commerce, et par l’économie de la culture, laquelle se focalise sur l’incertitude essentielle face au succès des produits culturels.

L’ensemble des secteurs culturels

Les premiers résultats d’ensemble montrent que l’évolution du marché publicitaire de la culture n’a pas suivi la même évolution que l’ensemble des dépenses publicitaires, ces dernières étant plus fortement corrélées au taux de croissance du PIB. Les auteurs expliquent ce phénomène par le fait que le secteur de la culture a connu un mouvement massif de conversion à la publicité entre 2001 et 2007, provoquant en quelque sorte une hausse de rattrapage. Par ailleurs, le secteur de la culture est marqué à partir de 2007 par une forte décroissance des dépenses publicitaires plurimédias qui précède la crise de l’économie, sans doute en raison de la crise des ventes dans les industries de la musique puis de la vidéo.

L’analyse comparée des investissements publicitaires des différentes filières culturelles montre que la publicité est présente dans toutes les filières, bien qu’à des degrés divers, et selon des logiques distinctes. Dans les filières du disque, du DVD, du jeu vidéo et dans une moindre mesure du livre, le degré d’intensité de la pression publicitaire est resté globalement stable proportionnellement à l’évolution du chiffre d’affaires. Dans les secteurs du musée et du spectacle vivant, en conversion rapide à la publicité, on assiste à une croissance rapide des dépenses, supérieure à celle du chiffre d’affaires. Par ailleurs, les données font apparaître de fortes affinités entre les types de produits et les supports de publicité : les livres imprimés sont promus essentiellement dans la presse imprimée ; la musique, les DVD ou jeux vidéos à la télévision et à la radio, etc. Enfin, le phénomène de concentration (« blockbusterisation ») touche l’ensemble des filières, à la fois en ce qui concerne l’affectation des investissements sur un petit nombre d’œuvres et en termes de choix publicitaire majoritairement tourné vers les médias de masse : télévision quand elle est autorisée, radio, affichage extérieur.

Du côté du livre

Ces traits généraux font ensuite l’objet d’études spécifiques, secteur par secteur.

En ce qui concerne le livre, les éditeurs concentrent leurs stratégies promotionnelles autour des relations avec les libraires et avec la presse, même s’ils mobilisent internet de manière expérimentale. Les différentes catégories de livres ne bénéficient pas tous de la même couverture promotionnelle : les romans et les essais, dans les thématiques arts, culture, loisirs, tourisme, bénéficient de l’essentiel des investissements plurimédias. De la même manière, les dépenses vont prioritairement aux auteurs de « best-sellers programmés » (selon l’expression de Pierre Nora), à la réputation déjà faite, ou dans un second temps pour un deuxième ouvrage ou une édition de poche, à ceux dont le succès s’est d’abord construit sans la publicité. Trois stratégies principales distinguent les éditeurs : une orientation mass market qui n’investit pas dans la presse mais plutôt à la radio, en affichage extérieur et sur internet ; un modèle « grande maison » qui consacre les deux tiers de son budget à la presse ; et des éditeurs « traditionnels », les plus nombreux, qui n’ont pas d’autres dépenses publicitaires que celles de la presse imprimée. L’ensemble du secteur, majoritairement traditionnel du point de vue de la publicité, privilégiant la presse, se convertit lentement à internet.

« Trois régimes de promotion »

Précédant la conclusion, un chapitre consacré à la promotion en ligne, « entre expérimentation et standardisation », fait le point avec les données disponibles. Les auteurs notent que les chiffres de 2009, excluant différents formats, sous-estiment largement l’importance de la place occupée par internet, qui a suscité de nouveaux acteurs et de nombreuses innovations en termes de marketing viral, de bouche-à-oreille, tout particulièrement dans le domaine de la culture : les plates-formes les plus importantes du web 2.0 sont en effet celles de la musique, de la vidéo, de la photographie. Par comparaison avec ces filières, celles qui n’ont pas de site de référence (livre, musées, spectacle vivant) ont des pratiques de promotion bien plus expérimentatrices et moins standardisées.

Les domaines d’investissement pour la promotion en ligne sont multiples : achat d’espace publicitaire, partenariats avec des sites web, marketing de l’influence qui prolonge les pratiques de relations avec la presse grâce aux blogueurs, et médias sociaux du web. Quant aux perspectives, les auteurs ne peuvent que donner des pistes incertaines, du fait de la rapidité des évolutions sur internet. Deux semblent coexister : d’un côté, internet permet une meilleure démocratisation de la promotion et contribue au succès d’œuvres ayant reçu peu de moyens promotionnels ; de l’autre, internet favorise les grands sites médias qui ne peuvent être atteints qu’avec des moyens très importants. En fonction des moyens promotionnels dont elles disposent, les œuvres culturelles dépendent donc de l’une ou l’autre de ces logiques, se répartissant dès lors en économie de blockbusters, économie de biens culturels de niche, ou économie des produits de taille intermédiaire.

« Trois régimes de promotion » (c’est le titre de la conclusion) sont donc à l’œuvre en ce qui concerne les biens culturels produits par des industries de plus en plus concurrentes les unes des autres. L’intensification des pratiques de promotion ne s’accompagne cependant pas nécessairement d’une standardisation, puisque les filières conservent de grandes disparités. Dans l’univers du « best-seller programmé », la culture apparaît comme un univers économique plutôt stable et prévisible, alors que pour les produits créatifs à budgets moyens, la stratégie promotionnelle vise surtout à accompagner le bouche-à-oreille. Quant aux produits culturels de niche, avec de plus faibles investissements pour la promotion, internet représente de nouvelles opportunités de se rapprocher des publics.

Cette étude très fouillée est solidement documentée par quantité de tableaux et graphiques, par de nombreuses citations tirées des entretiens, et encore par les annexes : des éléments de méthodologie précis, présentant les deux matériaux utilisés (base de donnée Kantar Media et entretiens semi-directifs), suivis d’une solide bibliographie. Même s’il est regrettable que les données chiffrées de l’étude s’arrêtent en 2009, les auteurs ont largement traité la question d’internet notamment grâce aux entretiens. Dans le secteur du livre, il serait néanmoins utile d’avoir une mise à jour – déjà ! – avec des données consacrées au livre numérique, afin d’analyser la promotion de ce nouveau support, et son impact (ou absence d’impact) sur celle du livre imprimé.

  1. (retour)↑   La pige publicitaire, relevé des investissements publicitaires dans les médias par un institut de mesure, constitue donc une source de connaissance riche des stratégies des annonceurs dans les différents secteurs. Kantar Media mesure l’ensemble des actions de communication publicitaire des annonceurs sur six supports principaux : presse, télévision, radio, publicité extérieure (affichage), cinéma, internet (uniquement la publicité display, c’est-à-dire les formes d’affichage publicitaire jouxtant un contenu éditorial).