Architectures de la connaissance au Québec
Préface de Lise Bissonnette
Québec, Les Publications du Québec, 2013, XII-250 p., 30,5 cm
ISBN 978-2-551-25214-5 : 44,95 $
De prime abord, l’ouvrage dirigé par l’architecte Jacques Plante se distingue par sa richesse et sa densité : 260 pages abondamment illustrées qui réunissent des textes d’auteurs (Essais, témoignages et nouvelle) et une sélection de projets architecturaux organisée par typologie (Archives et bibliothèques, Bibliothèques collégiales et universitaires, Bibliothèques municipales, Cinémathèques et maisons de la culture). La présentation de ces édifices s’accompagne de photographies, de plans et de notices qui, associés au texte descriptif, permettent d’en avoir une perception très complète, à la fois concrète (données chiffrées, matériaux, concepteur, budget, caractéristiques…), et plus intime (scénographie, jeux de lumière, insertion dans l’environnement, expérience sensible du visiteur…). Cette complémentarité confère tout son intérêt à ces présentations minutieuses, soulignant l’interdépendance entre les données objectives d’un projet architectural et la façon dont son « vécu » a été anticipé ou pris en compte par l’architecte. Derrière la rigueur des plans, on retrouve une projection à la fois sensible et intellectuelle des usages du lieu dans son contexte et son histoire (notamment dans les cas de réaménagements), et ce n’est pas seulement une construction qui sort de terre mais une certaine idée de la bibliothèque.
Parmi les nombreux projets évoqués dans cet ouvrage, mentionnons la bibliothèque Paul-Aimé-Paiement (anciennement bibliothèque de Charlesbourg), dont la présentation traduit bien à travers son implantation paysagère, la distribution des espaces et les choix de matériaux (notamment sa paroi vitrée recouverte de mots « brise-soleil »), la recherche d’un équilibre entre forme et fonction : « Au final, tout concourt à faire du lieu, au-dehors comme au dedans, une expérience architecturale et spatiale qui est prélude à l’expérience culturelle » (p. 179). Citons également l’architecture de la Grande Bibliothèque de BaNQ, dont les « chambres de bois » – inspirées du titre d’un roman de l’auteur québécoise Anne Hébert et accueillant les collections nationale et de prêt – sont une matérialisation patrimoniale et identitaire forte qui ont guidé l’ensemble du projet : « Les architectes y ont trouvé la métaphore nécessaire à la définition de leur proposition, à laquelle ils ont intégré le programme » (p. 105).
Les auteurs sollicités dans la première partie de l’ouvrage offrent une approche par facette des bibliothèques à travers leur histoire et leurs fonctions (l’atmosphère de Sainte-Geneviève, la modernité du British Museum, le mobilier de BAnQ), mais également comme lieu vécu et partagé (des rencontres avec des œuvres d’art, des lectures, des lecteurs). Se croisent ainsi des paroles d’architectes, d’historiens, de designer, d’écrivains, d’artistes engagés dans l’espace public… Autant de textes-témoins qui introduisent à la lecture des projets présentés dans la suite de l’ouvrage, et permettent de discerner les enjeux historiques et culturels liés à l’architecture des bibliothèques. Ainsi, dans son étude sur la bibliothèque du Parlement du Québec, François Dufaux souligne la fonction d’usage et la fonction sociale de ce bâtiment public : « la question de l’accès et de la participation à l’espace urbain est particulièrement importante puisqu’elle interpelle la bibliothèque comme institution capable de structurer spatialement le discours démocratique de participation à la “Res publica” » (p. 30).
Et, signe que l’architecture ne manque pas d’humour, c’est un texte du jongleur de mots Marc Favreau – dont une bibliothèque montréalaise porte le nom – qui clôt l’ouvrage d’un clin d’œil : « Ah !… si j’avais des sous ça traînerait pas. Tout de suite je ferais faire des plans par un archimec. »
Avec ce livre, Jacques Plante poursuit une entreprise déjà engagée avec la publication d’Architectures du spectacle en 2011. Il mène une recension richement documentée et illustrée des édifices culturels du Québec, associant au plaisir des images l’intérêt d’une réflexion sur les évolutions spatiales et fonctionnelles de ces lieux de création et de transmission du savoir au cours des dernières décennies : « Depuis les années 80, nos bibliothèques se sont allègrement transformées. D’espaces ternes et mornes qu’elles étaient, destinés principalement à l’entreposage de livres plutôt qu’au confort et à l’expérience du lecteur, elles se sont métamorphosées en espaces lumineux et animés […] » (p. XII). À travers une sélection de 33 bibliothèques québécoises (ou « lieux du livre ») – contemporaines ou même encore à venir – c’est aussi plus universellement la bibliothèque comme seuil culturel que salue l’auteur : « la porte d’entrée vers tous les autres mondes, puisque c’est le plus public des lieux de culture, le plus largement ouvert et le plus accessible à toutes les générations » (p. XI).
Que ce soit sous l’angle des constructions, de la programmation, des rénovations ou des aménagements, l’articulation entre architecture et bibliothèque est un sujet de réflexion actuel, comme en attestent les journées d’études qui y ont été récemment consacrées 1. Cet ouvrage s’adressera ainsi tout autant au lecteur curieux qui trouvera dans l’abondante iconographie l’occasion d’explorer les bibliothèques québécoises, qu’à celui qui voudrait alimenter sa réflexion dans l’optique d’un projet de construction ou de rénovation. Un lexique en fin d’ouvrage vient compléter la lecture, permettant au néophyte de s’appuyer sur ses définitions. On pourrait conclure en relevant cet incipit de Jacques Plante qui ouvre le livre : « Lire l’architecture, c’est comme lire un ouvrage. Il suffit d’en (re)connaître le vocabulaire, la grammaire et la syntaxe et d’être à la fois curieux et rêveur. » L’invitation est lancée, finissez d’entrer…