La culture de la convergence
Des médias au transmédia
Henry Jenkins
ISBN 978-2-200-27915-8 : 25 €
Avec La culture de la convergence, c’est l’œuvre d’une personnalité majeure des cultural studies – on serait presque tenté de dire un gourou – qui est rendue accessible au public français. Initialement publié en 2006, le livre d’Henry Jenkins fait désormais figure de classique. Il a notamment popularisé le concept de « transmédia », adopté comme un nouveau mot d’ordre par certaines branches des industries culturelles.
Il ne faut pas confondre multimédia et transmédia. Le propre d’un récit transmédia est de se déployer simultanément sur plusieurs plateformes médiatiques. Ce phénomène se distingue de la pratique ancestrale de l’adaptation car chaque fragment est relié par un lien organique à tous les autres : « chaque texte nouveau apport[e] à l’ensemble une contribution différente et précieuse […] un récit peut ainsi être introduit dans un film, puis se développer à travers la télévision, le roman, la bande dessinée […] Tout produit est un point d’entrée dans l’ensemble de la franchise » (p. 119-120).
Jenkins rattache l’émergence des récits transmédias à ce qu’il appelle la convergence – le fait que différents médias coexistent sans s’annuler et entrent de plus en plus facilement en résonance. Les smartphones, qui permettent à la fois de surfer sur le web, de voir des films, d’écouter de la musique, de jouer ou de prendre des photos, en sont un symbole frappant. Toutefois, le phénomène de la convergence est loin de se réduire à sa dimension technologique. Jenkins le décrit comme un processus culturel, qui implique la formation et le développement de communautés participatives. En même temps que les consommateurs sont invités à butiner d’un média à l’autre, ils peuvent aussi de plus en plus facilement intervenir sur les maillons de la chaîne, se les approprier, les échanger, les commenter, les sampler, les transformer et les rediffuser. Les limites se brouillent entre émetteur et récepteur.
Si le livre se concentre essentiellement sur les bouleversements induits par la démocratisation d’internet depuis les années 2000, Jenkins s’est illustré bien avant cette date dans l’étude des cultures participatives, en particulier les communautés de fans. Il s’est fait connaître au début des années 1990 avec un ouvrage de référence consacré aux fanfictions, ces récits amateurs rédigés par des fans (notamment de séries télévisées), qui mettent en scène leur univers favori 1. Depuis son apparition dans les années 1970, ce type de pratique est une source régulière de conflits entre amateurs et ayants droit officiels. Avec internet, les enjeux ont été démultipliés. Lorsqu’elles ne tentent pas d’étouffer ces formes de braconnage sur leur territoire, les industries culturelles essaient souvent de les canaliser ou bien de se les accaparer.
Le principal intérêt du livre de Jenkins est de se pencher sur les relations ambivalentes qui se nouent aujourd’hui entre les nouveaux fans, consommateurs-acteurs, et les majors des industries culturelles. Chaque chapitre est constitué d’une étude de cas détaillée consacrée à des communautés d’amateurs qui paraîtront bien folkloriques à plus d’un lecteur, qu’il s’agisse des spectateurs des jeux de téléréalité American Idol et Survivor (La Nouvelle Star et Koh-Lanta en France), des fans de Star Wars ou de Matrix, ou des auteurs de fanfictions inspirés d’Harry Potter.
Jenkins a la conviction que les pratiques qu’il analyse constituent une forme d’émancipation démocratique. Dans les derniers chapitres, il s’aventure au-delà du champ du divertissement pour évoquer leurs répercussions dans le domaine politique, à travers l’exemple des élections américaines de 2004.
Jenkins est loin d’être un observateur neutre. Il se définit lui-même comme un fan et son approche est généralement empathique et bienveillante. Il avoue également être partie prenante des phénomènes qu’il décrit : il a en effet conseillé plusieurs marques ou sociétés qu’il mentionne. C’est peut-être là que résident la force et la faiblesse de son livre.
Pour finir, un mot sur l’édition d’Armand Colin : les illustrations originales, pourtant mentionnées dans le corps du texte, ne sont pas reproduites. La traduction comporte également quelques anglicismes superflus (« gap » pour fossé, « VCR » pour magnétoscope). Il faut espérer que ces coquilles seront corrigées lors d’une prochaine réédition.