À propos des chefs-d’œuvre
Charles Dantzig
ISBN 978-2-246-80396-6 : 19,80 €
Dans son dernier essai, Charles Dantzig propose une tentative de définition des chefs-d’œuvre, dont le propos prolonge celui de Pourquoi lire ? publié chez le même éditeur en 2010.
Selon l’auteur, le chef-d’œuvre est universel (« Plus qu’en Dieu, sur l’existence de qui il y a des doutes, chaque être humain croit au chef-d’œuvre ») et communautariste (« Ils émanent de leur lieu, de leur temps, de nous »).
Ce qu’il n’est pas ? Non issu de processus ni de recette, non imité de modèles, il ne suit aucune progression ni méthode puisque « le chef-d’œuvre nous prend par surprise » : inimaginable, il provoque malgré tout un sentiment d’évidence. Et par-dessus tout, les chefs-d’œuvre suscitent au lecteur – à Charles Dantzig très certainement – de l’amour pour leurs auteurs : « Je suis amoureux de Proust, je suis amoureux d’Ovide, je suis amoureux de Shakespeare. »
Plutôt que ces successions de phrases assertives, avec accumulation de présents, de vérité générale et de verbes d’état – « le chef-d’œuvre est ou n’est pas » est sans nul doute la phrase la plus fréquente du texte –, de définition en définition, depuis celle, initiale, du Petit Robert, à celle finale, dans l’avant-dernier chapitre, de Charles Dantzig lui-même, ce qu’on retiendra c’est plutôt l’enthousiasme, la jouissance, qui emportent l’auteur à l’évocation des livres qu’il aime.
Parce qu’après tout, une notion, qui a été affirmée si haut et fort comme universelle, qu’est-il besoin de la définir ? C’est que l’auteur y trouve, entraînant avec lui son lecteur, prétexte à circuler dans les textes, les œuvres, à ranimer si besoin était Victor Hugo, Dante, Voltaire, Joyce, Cocteau, et tant d’autres.
On pardonnera donc aisément à Charles Dantzig l’agaçant effet de liste qui frise parfois l’étalage d’érudition (à titre d’exemple notons une liste, parmi d’autres, de chefs-d’œuvre oubliés et connus de lui seul – et d’ailleurs on eût apprécié que l’éditeur accompagne jusqu’au bout ces références nombreuses par un index des œuvres et auteurs cités), les mises à l’écart et autres jugements intempestifs, les classements d’écolier (« Il y a des chefs-d’œuvre de passion et d’autres d’application. Les seconds sont légèrement inférieurs »). Finalement, c’est aussi à cela qu’on prend goût en lisant cet essai : tout ce qui dessine le portrait d’un lecteur avide et brillant – parce que cela donne à juste titre une furieuse envie de se plonger dans la (re)lecture de ces chefs-d’œuvre.
Certes, Charles Dantzig joue de présupposés élitistes : tout un chapitre est intitulé « Chefs-d’œuvre à garder méconnus », et il multiplie les formules élégantes et acerbes dont l’intention semble être de le placer « au-dessus de la mêlée », en juge suprême de la grandeur des œuvres : « Quel ennui serait la vie sans chefs-d’œuvre. Seuls la plupart des hommes pourraient y vivre. » Néanmoins, ce que réussit le mieux cet essai, c’est finalement le partage des lectures, grâce auquel le lecteur se sent grandir avec l’auteur.
« Les lecteurs sont les sentinelles du chef-d’œuvre » ne sera pas une formule vaine.