L’impensé informatique

Critique du mode d’existence idéologique des technologies de l’information et de la communication – Volume I : les années 1970-1980

par Julia Morineau

Pascal Robert

Paris : Éditions des archives contemporaines, 2012, 234 p., 24 cm
ISBN 9782813000743 : 25 €

Ces quelques lignes ne s’adressent pas au lectorat des convaincus : pairs ou public savant. Elles pourraient être une introduction à la lecture de L’impensé informatique de Pascal Robert pour des étudiants en sciences de l’information ou des lecteurs curieux, séduits par un titre prometteur. En effet, si le sujet induit spontanément curiosité et enthousiasme, la rédaction scientifique assumée ne rend pas la lecture aisée.

Motifs d’appréhension avant la lecture

En premier lieu, l’éditeur : l’ouvrage est publié dans la collection « Études de sciences » aux Éditions des archives contemporaines. Or, cette collection réunit des ouvrages qui rendent compte de recherches récentes – à tout le moins vivantes – sans chercher à privilégier des ouvrages de synthèse pour le grand public. Ainsi cet ouvrage de Pascal Robert est-il la version remaniée et allégée de sa thèse soutenue en 1994. Mais l’intention de ce remaniement n’est pas de s’adapter au grand public.

Ensuite, le titre : s’il interroge et attise la curiosité, il annonce le déroulement d’une pensée sur l’impensé, qui plus est l’impensé d’une technique : l’informatique. Et le sous-titre n’arrive guère à nous rassurer : « Critique du mode d’existence idéologique des technologies de l’information et de la communication – volume I : les années 1970-1980 ».

Enfin, l’exposé de la problématique : « Travailler à produire l’informatique comme un impensé, c’est assumer le geste politique de la fabrication d’une image politique, celle d’une informatique qui se résorbe dans sa seule technicité, opérationnalité, fonctionnalité, une image qui donc se nie comme politique et comme geste politique » (p. 17).

Arguments pour ne pas se laisser décourager

L’analyse porte sur un corpus d’articles publiés par le journal Le Monde de 1972 à 1980. Ce corpus renvoie à de multiples discours qui se rejoignent sur un point : « l’empêchement de l’émergence d’un véritable questionnement des enjeux de société de l’informatique ». L’objet d’étude vient ainsi contrebalancer la distance scientifique initiale, en renvoyant chacun à son quotidien. Ainsi, quand bien même on ne posséderait pas tous les codes et références inhérents au développement de cette pensée scientifique, on est tenté de suivre Pascal Robert dans sa démonstration et de s’interroger avec lui sur l’existence dans notre société d’un principe idéologique qui consiste à positiver l’informatique en éludant tout questionnement sur les enjeux sociétaux. Pourquoi cette difficulté de la critique à émerger face à l’idéologie technicienne ? Quelles conditions de possibilité et quelles modalités de déploiement de ce dispositif de verrouillage ? Comment, par quels mécanismes sociétaux, en vient-on à bloquer le processus même du questionnement ?

La démonstration de Pascal Robert postule l’existence d’une idéologie – un macro-techno-discours dont l’intention est de poser de facto l’informatique comme un outil performant et bénéfique ; postulat qui induit inéluctablement l’échec critique : l’empêchement de la construction d’une critique.

La démonstration peut se résumer en trois axes :

  • Produire l’impensé contre la société : il s’agit d’éliminer toute référence au travail social qui donne naissance à l’informatique en l’exhibant dans sa seule technicité.
  • Produire l’impensé par l’oubli du formatage : un processus qui fonctionne en deux temps. Tout d’abord, l’installation d’un discours tendant au formatage généralisé de la société à la rationalisation informatique : une ostentation de la rationalisation informatique fondée sur une compatibilité a priori de chacun à l’informatique, sur le caractère fondamental de l’outil ordinateur et sur la médiation apparemment indispensable de l’expert. Ensuite, un techno-discours qui travaille à l’oubli du formatage en réduisant l’informatique à l’outil/l’objet et en le jugeant à l’aune de son efficacité.
  • Produire l’impensé par la promotion des leurres : pour triompher plus encore, le techno-discours convoque quatre leurres, quatre contre-images de substitution : la décentralisation (s’affranchir du politique), la sécurité technique, le droit, l’idéologie de la communication, qui ensemble sont en capacité de brouiller les clivages entre critique et non-critique, au détriment de la critique.

À l’issue de cette lecture, nous sommes tentés d’interroger Pascal Robert sur la publication des prochains volumes. Qu’en est-il en effet de ce macro-techno-discours en 2013 ? Comment a-t-il évolué ?