Le livre entre le commerce et l’histoire des idées

Les catalogues de libraires (XVe-XIXe siècle)

par Raphaële Mouren
Études réunies par Annie Charon, Claire Lesage et Ève Netchine
Paris, École des chartes, 2011
Coll. « Études et rencontres de l’École des chartes », no 33
280 p., ill., 24 cm
ISBN 978-2-35723-020-0 : 30 €

La journée d’étude dont les actes sont présentés ici a été co-organisée en mars 2008 par l’École des chartes et la Bibliothèque nationale de France, à l’occasion de la parution du livre Catalogues de libraires, 1473-1810. Dans son chapitre, Giles Mandelbrote fait une véritable recension de cet ouvrage dont il met en lumière les qualités et l’intérêt. Celui-ci a servi de source principale à plusieurs interventions mais, bien que le titre annonce que l’ouvrage couvre la même période, la plupart des communications portent sur les XVIIIe et XIXe siècles, les précédents étant peu présents. Partant d’approches très différentes entre elles mais complémentaires, les auteurs de cet ouvrage montrent la richesse de l’apport de l’étude de ces catalogues dans plusieurs domaines : l’histoire du livre et des médias, le commerce du livre, les bibliothèques, les pratiques des collectionneurs…

Les catalogues de libraires

Les catalogues de libraires – catalogues de ventes, de fonds, d’assortiments – ont fait l’objet depuis plusieurs années de travaux importants en France : en 1991, Françoise Bléchet publiait Les ventes publiques de livres en France, 1630-1750 : répertoire des catalogues conservés à la Bibliothèque nationale 1, et en 1998 deux journées d’étude y étaient consacrées (à l’École des chartes et à l’Enssib, éditées en un volume en 2000 par Élisabeth Parinet et Annie Charon). Ces manifestations ont donné lieu au projet de description en ligne Esprit des livres, disponible sur le site de l’École des chartes pour les catalogues conservés dans les bibliothèques parisiennes hors BnF, et sur celui de l’Institut d’histoire du livre pour les catalogues conservés dans les bibliothèques municipales de Lyon et de Grenoble  2. Parallèlement, la Bibliothèque nationale de France a poursuivi sa publication des inventaires rétrospectifs avec en 2003 les Catalogues de libraires et d’éditeurs, 1811-1924 3, puis en 2006 les Catalogues de libraires, 1473-1810 4.

Ce tableau historiographique, qui constitue au fond le point de départ de cette journée d’étude et montre que l’intérêt conjoint de plusieurs institutions françaises a permis le développement d’études importantes dans ce domaine, aurait pu être intégré dans l’introduction : les auteurs des textes que contient l’ouvrage s’appuient d’ailleurs sur ces travaux qu’ils citent dans leurs notes. N’oublions pas des initiatives étrangères comme le très complet Books Sales Catalogues of the Dutch Republic 5 ou Libri in vendita. Cataloghi librari nelle biblioteche padovane (1647-1850)  6, qui complètent les travaux mentionnés dans l’introduction. Les divers chapitres du livre signalent en outre de nombreuses autres publications et composent une riche bibliographie qui aurait pu être réunie à la fin de l’ouvrage.

Des études et des sources variées

Plusieurs participants ont repris des recherches déjà commencées précédemment, approfondissant leurs travaux à partir d’un ensemble de sources tout à fait exceptionnel. Otto Lankhorst, qui avait étudié en 1998 les catalogues de ventes des XVIIe et XVIIIe siècles, présente les catalogues de fonds et d’assortiment néerlandais, parfois envoyés en France par le fournisseur de la bibliothèque du roi. On a pu déterminer qu’on publie pendant ces deux siècles en Hollande entre 25 000 et 30 000 catalogues de ce type.

Une partie des chapitres sont des études monographiques consacrées à un seul libraire. C’est le cas de celle de Vladimir Somov travaillant sur Pierre François Fauche, imprimeur-libraire neuchâtelois de la fin du XVIIIe siècle ; de Virginie Meyer, qui, à partir des deux catalogues conservés à la BnF, retrace l’histoire de la maison Charpentier, faisant espérer une publication prochaine sur les Charpentier-Fasquelle. Anita Van Elferen étudie le plus gros catalogue publié à son époque : le Guinea catalogue d’Henry George Bohn (Londres, 1841), décrivant plus de trois cent mille volumes disponibles à la vente. Claire Lesage propose une chronologie de l’évolution des habitudes de catalogage des libraires. Elle étudie la manière dont les libraires composent et ordonnent les notices, permettant ainsi au lecteur de différencier les types de catalogue. Son chapitre aurait gagné à être placé en tout début de l’ouvrage, car il donne les clefs de lecture de ces sources pas si faciles d’accès et d’usage.

Des catalogues conservés ailleurs qu’à la BnF ont également été utilisés. Christian Peligry s’appuie sur ceux conservés à la bibliothèque Mazarine pour étudier les libraires qui, malgré les interdictions répétées du pouvoir royal, vendaient leurs livres à la foire de Saint-Germain au XVIIe siècle, et pour analyser leurs catalogues. Il rappelle en particulier que l’on ne vendait pas uniquement des nouveautés, mais également des livres publiés au siècle précédent. Véronique Sarrazin a inclus dans son travail, centré sur l’apparition et l’histoire de l’affichage du prix des livres au XVIIIe siècle, les annonces publiées dans les journaux. Giles Mandelbrote, qui avait présenté en 1998 sa monumentale entreprise de réédition du livre de G. Pollard et A. Ehrman, The Distribution of Books by Catalogue, se penche sur la collection privée de sir Hans Sloane (XVIIIe siècle), et sur les catalogues de libraires dans les bibliothèques des grands collectionneurs du temps. Catherine Faivre d’Arcier se consacre à la collection Lovenjoul (milieu du XIXe siècle), aujourd’hui à la bibliothèque de l’Institut de France, décrivant l’usage que fait le collectionneur des catalogues, ses rapports avec certains libraires et ses pratiques d’acquisition.

D’autres auteurs se sont éloignés du sujet initial (« les catalogues de libraires »), pour étudier les divers supports destinés à faire connaître le livre et assurer sa publicité : annonces dans les journaux (Véronique Sarrazin), ou prospectus (Jean-Daniel Candeaux). Jean-Daniel Candeaux ne propose pas une étude mais bien un catalogue de deux cent quarante prospectus environ, publiés en Europe entre 1684 et 1789, donnant des pistes pour continuer ce travail de localisation. Il faudrait y ajouter ceux de la collection Sloane également signalés par Giles Mandelbrote.

Perspective européenne

Un des intérêts de cet ouvrage est la perspective européenne. Si Otto Lankhorst dispose pour les Pays-Bas de sources qui ont fait l’objet d’une prospection nationale, il n’en est pas de même pour l’Italie où l’histoire ancienne de la péninsule influe aujourd’hui encore sur les recherches, souvent concentrées sur un lieu par manque d’une recension nationale qui serait difficile à mener en l’absence de lieux de conservation centralisée des documents. Maria Gioia Tavoni, par une suite de portraits rapides de libraires de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, s’intéresse aux Italiens mais aussi aux libraires français installés au nord et au centre de l’Italie.

Quelques articles auraient mérité davantage d’illustrations, comme celui de Véronique Sarrazin, où l’on aimerait être aidé à mieux visualiser les modifications typographiques qu’elle étudie. On peut enfin s’interroger sur certains choix typographiques : ainsi, on trouve dans le même paragraphe « in-8° », « in-folio » et « in-12 », comme si les deux adjectifs ordinaux octavo et duodecimo méritaient un traitement différencié et que l’abréviation « f° » pour folio ne soit pas d’usage courant (elle est pourtant recommandée par le Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale). Signalons toutefois que l’ouvrage est pour le reste d’une excellente tenue, enrichi d’un index et de résumés des chapitres.