« La bibliothèque est-elle un média ? »

Point d’actu à la bibliothèque municipale de Lyon

Anne Meyer

Cet article rappelle le contexte qui a permis la création de Point d’actu à la bibliothèque municipale de Lyon (la départementalisation, la création du Guichet du Savoir) et présente ce service, ses atouts et son évolution possible.

The article looks back at the context behind Point d’actu, a new project at the Lyon municipal library presenting resources on current affairs topics. It studies how the project was organised by the library’s various departments and how the idea for the Knowledge Booth came about, before looking at the project’s strong points and potential for future development.

Dieser Artikel erinnert an den Kontext, der die Schaffung von Point d’actu in der Stadtbibliothek Lyon ermöglicht hat (die Departementalisierung, die Einrichtung des Guichet du Savoir, Wissensschalters) und stellt diesen Dienst, seine Qualitäten und seine mögliche Weiterentwicklung vor.

Este artículo recuerda el contexto que ha permitido la creación de Point d’actu en la biblioteca municipal de Lyon (la departamentalización, la creación del Guichet du Savoir) y presenta este servicio, sus bazas y su evolución posible.

Point d’actu 1 est un blog créé en 2006 par la bibliothèque municipale de Lyon (BmL) et alimenté par ses bibliothécaires. Il comprend aujourd’hui plus de 2 000 articles, dossiers thématiques et coups de cœur. En 2012, il a compté 400 000 visiteurs.

Point d’actu est l’expression en ligne d’un recentrage des bibliothécaires sur les contenus, mené de 1991 à 1997, le plus abouti des résultats de ce qui fut la « départementalisation » de la bibliothèque centrale de la Part-Dieu.

Illustration
Le site « Point d'actu »

Bibliothécaires, nouveaux experts

En 1991, trois départements spécialisés existaient à la BmL : le Fonds ancien par la spécificité de ses collections – manuscrits, imprimés antérieurs à 1921, collections particulières –, la Documentation régionale par sa thématique géographique, et la bibliothèque-discothèque des enfants par son public. Chacun disposait de sa propre équipe, gérait de manière autonome ses acquisitions, accueillait ses publics dans sa propre salle, développait ses projets culturels. Les autres espaces de la bibliothèque étaient dévolus à des profils d’usagers – lecture publique, étude –, à des usages spécifiques – prêt, consultation sur place –, à des supports particuliers – discothèque, vidéothèque –, à des besoins documentaires ciblés – actualité, référence. Quant aux bibliothécaires, ils étaient tantôt techniquement spécialisés – centrés sur un support – soit généralistes – assurant à tour de rôle l’accueil et le renseignement dans tous les domaines de la connaissance.

La réorganisation mise en œuvre en 1995 par Patrick Bazin aboutit à la création de cinq nouveaux départements multisupports, multiservices, multiniveaux, multipratiques et spécialistes d’un ensemble de contenus, patrimoine contemporain compris. La « départementalisation » prit deux ans : les équipes furent constituées, le prêt centralisé au rez-de-chaussée, les collections réparties par grandes thématiques à partir des classes Dewey – Civilisation, Société, Sciences et techniques, Arts et loisirs, Langues et littératures. Elle fut un succès comparable à celui de l’ouverture de la bibliothèque de la Part-Dieu en 1972 avec une explosion de la fréquentation et du prêt. Si manifeste que, lorsqu’il fut question de repenser le réseau des bibliothèques d’arrondissement en 1997, il parut évident que les nouvelles médiathèques soient thématisées : la médiathèque de Vaise (9e arrondissement) sur le spectacle vivant, celle du Bachut (8e arrondissement) sur la santé et le bien-être.

Cette réorganisation fut suivie d’une période de stabilité, pendant laquelle les nouveaux départements s’approprièrent leurs territoires, puis commencèrent de développer tous azimuts les actions de valorisation.

Le Guichet du Savoir, nouvelles compétences

• la non-discrimination du public et de ses questions […] ;

la fourniture d’une réponse précise et argumentée […] ;

la publication de l’ensemble des questions et réponses […] ;

la garantie d’un délai maximal de réponse […] ;

la mobilisation de l’ensemble des bibliothécaires pour ce service […] 3. »

Sans la départementalisation, le Guichet n’aurait pu exister, car il s’appuie sur une équipe dédiée de 4 personnes, mais aussi sur environ 70 conservateurs, bibliothécaires, assistants et adjoints, issus des 9 départements et de l’espace numérique de la Part-Dieu, ainsi que des espaces thématiques des grandes médiathèques du réseau, Vaise et le Bachut. À la « non-discrimination du public et de ses questions » correspond une non-discrimination des experts et de leurs réponses, tous légitimes pour renseigner les publics, sur place ou à distance.

Pour Patrick Bazin, le Guichet ne devait pas être seulement un service de question-réponse : « Lyon souhaite préparer l’avenir en jouant délibérément la carte des réseaux du savoir, ces réseaux coopératifs d’échange de connaissances qui se développent aujourd’hui à travers Internet, dessinant de nouvelles pratiques intellectuelles, plus souples, plus interactives, plus décentralisées. C’est pourquoi le Guichet du Savoir, après une première phase de mise en route, va compléter son service de renseignement à distance par un dispositif de forums électroniques permettant à ses propres usagers et à tous ceux qui voudront s’y associer, experts ou non, d’échanger directement entre eux. Le rôle des bibliothécaires sera alors non seulement d’organiser et de modérer les échanges, mais aussi de valider la qualité des informations, de capitaliser les meilleures d’entre elles et de constituer progressivement une base de connaissances qui viendra enrichir l’offre documentaire déjà présente sur les rayons de la bibliothèque 4 . »

Ce second objectif ne sera jamais atteint et le Guichet du Savoir restera fermé à toute collaboration externe. La raison majeure est sans doute son succès : pendant de longs mois, les bibliothécaires furent si investis à simplement répondre dans les délais impartis, tout en gérant le quotidien des autres activités, qu’ils ne purent se consacrer à tisser ces partenariats avec d’autres experts. En revanche, un bénéfice collatéral du Guichet fut un développement considérable des compétences des bibliothécaires : recherche documentaire et connaissance approfondie des ouvrages de références, maîtrise du web, appropriation de l’outil informatique, compétences rédactionnelles, gestion du temps, réactivité…

« Point d’actu », nouvelles libertés

« La bibliothèque est-elle un média ? À ceux qui trouveraient cette question incongrue je suggère d’aller voir Point d’actu !… Ils y trouveront chaque semaine des points de repère sur quelques-uns des grands sujets du moment : titres de livres, références d’articles, sites internet… En un sens, Point d’actu prolonge le travail quotidien de renseignement et de conseil effectué habituellement par les bibliothécaires. Pourtant, l’innovation est de taille. En choisissant de réagir rapidement au tempo de l’actualité, en sélectionnant des sujets et en publiant des pistes de réflexion, la Bibliothèque change de registre. Elle sort du colloque singulier qu’elle entretient sur place avec le lecteur pour entrer dans l’univers d’une information largement partagée et y faire valoir ses compétences documentaires 5 . »

Point d’actu est structuré en cinq grandes thématiques : Société, Monde, Lyon et Rhône-Alpes, Sciences et santé, Culture. S’y ajoutent un « Point sur le net » réalisé par l’équipe dédiée au Guichet du Savoir, ainsi que des sélections parmi les dernières acquisitions, opérées par l’ensemble du réseau. À côté des articles qui mettent en perspective historique un fait d’actualité, les « dossiers repères » suivent une problématique sur plusieurs mois.

Les compétences acquises grâce au Guichet furent directement investies dans Point d’actu, un article du blog n’étant en définitive qu’une réponse plus longue, une synthèse bibliographique plus argumentée et plus structurée, riche en iconographie. Blog ? Oui, car Point d’actu ne fonctionna jamais comme un magazine en ligne, avec un comité de rédaction définissant une ligne éditoriale. Chaque équipe arrête son rythme de publication et chaque rédacteur garde le choix de son sujet. Autant l’organisation du Guichet est structurée, autant celle de Point d’actu est fluctuante. Ce fonctionnement est sans doute plus innovant, plus proche de celui d’un réseau social, avec de plus grandes chances de pouvoir s’ouvrir au collaboratif un jour.

Si Point d’actu est le plus abouti des résultats de la « départementalisation », c’est qu’il témoigne du plus haut niveau de confiance que l’on puisse accorder aux bibliothécaires pour valoriser les contenus qu’on leur a confiés. Au regard du travail accompli par chaque rédacteur pour produire son article, de la qualité de la production, de l’usage intensif qu’en font les étudiants, la fragilité du dispositif est paradoxale. Point d’actu est un OBNI  6. •

Mai 2013