Les mangados : lire des mangas à l’adolescence

par Julia Morineau

Christine Détrez

Olivier Vanhée

Paris, Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2012, 320 p., 22 cm
Coll. « Études et recherche »
ISBN 978-2-84246-154-6 : 25 €

Une enquête, qui au-delà du manga lui-même, met en lumière les pratiques de lecture adolescentes, voilà qui parle à nos âmes de bibliothécaires.

Si l’ouvrage n’avait pas été réalisé par la Bibliothèque publique d’information avec le soutien du Service du livre et de la lecture, on aurait pu craindre un opportunisme marchand. La lecture du premier chapitre efface définitivement toute suspicion tant il est évident que l’ouvrage richement documenté intéressera un large public aux compétences scientifiques sur le sujet, ou pas. Voici quelques raisons de lire ce livre.

Pour le non initié

Si comme moi, vous êtes un(e) bibliothécaire d’une trentaine d’années et que vous ne vous intéressez pas spécialement aux mangas, il est probable que vos souvenirs les plus spontanés de votre rapport aux mangas soient :

1) leur format est malcommode pour leur mise en rayon ;

2) « les enfants, changez de chaîne, les dessins animés de Gulli me fatiguent » ;

3) (ouf !) des réminiscences de Nabi de Yeon-Joo Kim et Pluto de Naoki Urasawa et Osamu Tezuka.

Il faut se rendre à l’évidence : si vous êtes dans mon cas, il faut absolument lire ce livre.

En assumant tout jusqu’au bout, j’avoue que la découverte – dans la partie 1 : Qu’est-ce que le manga ? – d’une incidence directe de la fin de la diffusion du Club Dorothée sur le déclin des ventes de mangas à la fin des années 1990 a contribué à rendre cet ouvrage sympathique. Entendons-nous bien, ce n’est pas la baisse des ventes qui me réjouit.

Plus sérieusement, en lisant ce premier chapitre, on a une vision efficace et synthétique des différences caractéristiques des mangas japonais et français et de leur contexte éditorial. « Cinq éditeurs de mangas sont désormais contrôlés par de grands groupes mondiaux d’édition et de multimédia […]. » On trouve également des indications sur le précalibrage du lectorat (catégorisation et séquençage du lectorat pour optimiser les ventes) : « Une partition plus fine fait apparaître six catégories : revues pour les enfants (kodomo manga), pour les jeunes garçons (shonen manga), pour les jeunes filles (shojo manga), pour les grands adolescents/jeunes adultes (seinen manga) pour les adolescentes et les jeunes femmes (sijin josei manga), pour les adultes (seijin manga). »

Pour une meilleure appréhension de la « culture jeune »

Les deuxième et troisième parties de l’ouvrage s’attachent à montrer les points de convergence entre les mangas et les adolescents. Ainsi, outre des sujets ciblés et séduisants pour les adulescent(e)s, l’univers du manga « s’encastre dans la constellation de la culture jeune ». Facile à lire dans des circonstances variées, le manga renvoie à une industrie culturelle globale en résonance avec l’univers des adolescents : télévision, magazines, musique, univers numérique. Par ailleurs, les témoignages des jeunes interviewés confirment que les mangas facilitent la sociabilité amicale. Par conséquent, le manga accompagne et nourrit ce besoin d’identification, primordial à l’adolescence, à un groupe de pairs : « […] la lecture de manga s’affirme ainsi [au] collège, et notamment à partir de la quatrième. » La caractéristique introspective de l’enquête permet d’analyser assez finement la réception de ces ouvrages par les adolescents. Ce qui en ressort majoritairement ce sont le divertissement et l’identification. La richesse de cette enquête est ici d’illustrer les diverses identifications offertes par la variété des univers des mangas – en fonction du sexe, du milieu et de l’âge – et les choix de lecture qui en découlent : « Les titres lus par les adolescents masculins interrogés sont très majoritairement des shonens, avec la présence de quelques seinens, alors que la réciproque n’est pas vérifiée : les filles lisent autant de shonens que de shojos. »

Pour renforcer la légitimité du genre

La dernière partie, « À la recherche de la légitimité perdue », souligne le sentiment d’exclusion réciproque qui perdure aujourd’hui entre le fan savant et le non initié méprisant.

La lecture de l’ouvrage incitera-t-elle à désamorcer ce conflit de légitimité qui se plaque bien souvent sur des conflits générationnels ou sociaux ?