Érik Desmazières : voyage au centre de la bibliothèque
Paris, Bibliothèque nationale de France / Hazan, 2012, 128 p., ill., 24 cm
ISBN 978-2-7541-0662-7 : 39 €
Tous ceux qui sont sensibles aux formes riches du livre et au charme des bibliothèques admireront les gravures d’Érik Desmazières qui a su traduire l’un et l’autre dans les traits savants de ses eaux-fortes impeccables et chaudes, nuancées de traces de roulettes ou d’aquatinte. Tous ceux qui ont gardé les souvenirs de ce lieu un peu fantastique qu’était la salle Labrouste de la Bibliothèque nationale, rue de Richelieu, en retrouveront l’étrange atmosphère, la lumière tamisée des verrières salies par le temps et les volumes excessifs des coupoles haut perchées sur des colonnettes presque invisibles. La grande planche (71,5 x 99 cm) qu’Érik Desmazières a gravée de la salle de lecture restera un chef-d’œuvre, si ce mot à un sens à la fois d’exploit technique et de source d’émotion. Il était temps. La salle Labrouste, en cours de rénovation, brillera bientôt de nouveaux feux. Mais aucune photographie ne pourra rivaliser en exactitude et en sensibilité avec ce témoignage gravé dans le cuivre où l’on croit entendre le pas des lecteurs et les pages que l’on feuillette.
Sur l’heureuse suggestion de Sylvie Aubenas, directrice du département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France, l’Association des amis de la Bibliothèque nationale a généreusement passé commande à Érik Desmazières de dix autres planches représentant diverses perspectives des magasins encore vides. Érik Desmazières a donc vécu des jours entiers, carnets de croquis en main, à choisir les angles de vue les plus riches en enchevêtrements métalliques, en rayonnages dévêtus et sonores et en claires-voies ouvrant sur l’infini, où les escaliers ne mènent plus nulle part, comme dans un temple dont les oracles ont cessé. Les tuyaux, qui naguère livraient les pneumatiques à chaque étage, trônent comme un buffet d’orgue réduit au silence.
Érik Desmazières aime ces prouesses. Familier des livres, il en a dessiné beaucoup, dans d’autres lieux évocateurs : grimoires fatigués que la pointe du graveur finit d’écharper, boutiques de libraires gorgées de reliures et de paperasses, jusqu’au bureau du conservateur de la réserve des Estampes, Maxime Préaud, chargé de recueils précieux et d’objets familiers. Il s’est affronté à l’illustration de la fameuse Bibliothèque de Babel de Borges, un sujet à sa mesure, comme il le fut à celle de l’écrivain.
L’album ici édité reproduit l’ensemble de ces œuvres en format réduit mais confortable, à l’italienne, augmenté des dessins préparatoires, où s’élabore l’échafaudage des traits soyeux du crayon que la pointe de l’eau-forte va durcir et qui font penser aux vertigineuses compositions des graveurs géomètres de la Renaissance. La planche de la salle Labrouste y figure en différents états, certains rehaussés de teintes délicates à l’aquarelle et à la gouache, pour éclairer les abat-jours d’opale verdâtre et animer la palette sourde des rangées de lecteurs penchés sur leur lecture.
L’ensemble, exposé dans la galerie des donateurs de la Bibliothèque nationale de France à la fin de 2012, méritait bien d’être reproduit dans un album accessible à des amateurs qui n’auraient pas la chance d’en conserver les gravures originales. Il a l’avantage d’être accompagné d’un catalogue et d’excellents commentaires : une présentation de Sylvie Aubenas, un beau texte d’Olivier Rolin, dont Érik Desmazières a illustré déjà quelques livres (et un sur les Globes de Coronelli commandé par la Bibliothèque nationale de France), un dialogue avec Céline Chicha-Castex qui éclaire la personnalité de l’artiste, et un parcours de sa carrière à travers ses œuvres retracé par Anne-Marie Garcia.
Le format oblong de cet ouvrage offre un autre avantage : il sera difficilement rangé dans un rayonnage, mais trouvera bien mieux sa place sur un présentoir pour se laisser feuilleter librement.