« Les bibliothèques »

Textes et documents pour la classe (TDC), n° 1041, octobre 2012

par Marie-Pierre Ermakoff
Scérén/CNDP, 52 p., 30 cm
ISSN 0395-6601 : 5,50 €

La revue TDC publiée par le Scérén/CNDP propose tous les quinze jours un dossier qui fait le tour d’une question et le point des connaissances liées à son sujet. Le numéro 1041 se penche sur les bibliothèques. Quelles sont-elles aujourd’hui et à quels défis doivent-elles faire face ? Pour le manifeste de l’Unesco, les bibliothèques jouent un rôle politique et éducatif, elles participent à la construction du citoyen, offrent l’accès à la culture, et donnent un espace de liberté et de lutte contre les censures. Plus largement, la revue TDC fait le point sur leurs missions et leur réalité aujourd’hui, alors que le numérique semble concurrencer ces honorables institutions. Sans tomber dans la « double impasse de la déploration nostalgique ou de l’adhésion béate » pour reprendre les mots du rédacteur en chef Guy Belzane, ce numéro dresse un portrait dynamique d’une institution qui a toujours su accompagner son temps, s’adapter, participer à la démocratisation des publics et accompagner, voire devancer, les innovations technologiques.

En ouverture, Anne-Marie Bertrand retrace à grands traits l’histoire des bibliothèques qui est, depuis la découverte de l’imprimerie, calquée sur celle de la lente démocratisation de l’accès aux savoirs. Du développement des bibliothèques privées, riches et dynamiques mais confidentielles, à la tardive naissance de bibliothèques publiques héritées de dons, legs et autres confiscations révolutionnaires, ces dernières, suite à la Révolution française, développent deux axes : le patrimoine, grâce à l’abbé Grégoire, et l’émancipation des citoyens par le savoir, grâce à Condorcet. Au XIXe siècle, alors qu’un personnel formé et qualifié a investi ce domaine, les bibliothèques se centrent sur des entreprises catalographiques chronophages et techniques en délaissant le grand public. Au début du XXe siècle, avec le développement de l’instruction publique et des bibliothèques populaires, le public redevient l’une des préoccupations des bibliothécaires. Le métier se professionnalise et un consensus est trouvé sur le modèle théorique suivant : des locaux fonctionnels, des collections utiles et diversifiées, et la médiation d’un personnel qualifié. Les exemples les plus spectaculaires en seront la BPI dans les années 1970 puis la BnF dans les années 2000 ; et, plus généralement, les projets de médiathèques portés par de nombreuses municipalités qui souhaiteront également marquer le paysage par un souci architectural fort, développant ainsi la convivialité des lieux, tout comme l’action culturelle, sans oublier la diversification des services due notamment à l’essor des nouvelles technologies numériques. Mais, pour Anne-Marie Bertrand, des lignes de fragilité persistent, les politiques publiques doutant – crise oblige – du bien-fondé d’un investissement financier dans ce domaine et les évolutions des pratiques culturelles rendant le rôle des médiateurs incertain.

Il y a pourtant une utilité et une légitimité des bibliothèques dans leur rôle social, culturel, voire politique, grâce à leur capacité d’accueil. Christophe Evans, sociologue des publics, dresse le portrait-robot des usagers des bibliothèques (majoritairement jeune ou féminin) ; il pointe la baisse des pratiques de lecture ainsi que celle des taux de consultation et d’emprunt, mais parallèlement relève l’augmentation du temps de présence en bibliothèque des publics qui, grâce à une réelle appropriation collective des lieux, jouissent de cadres non seulement accueillants, mais aussi structurants. Il plaide donc pour le développement de projets innovants du type des learning centers ou « troisième lieu ». Raphaëlle Bats, quant à elle, nous emmène faire un petit tour dans trois bibliothèques représentatives des tendances actuelles : la mythique Bibliothèque d’Alexandrie, avec son fonds documentaire sans frontières et son ouverture sur les cultures étrangères ; la Bibliothèque du Congrès à Washington, fondée au départ pour soutenir la démocratie, et devenue un modèle technique et un lieu d’expérimentation pour la bibliothéconomie, en pointe notamment pour la numérisation de ses collections ; enfin, l’Openbare Bibliotheek d’Amsterdam, pour son espace permettant à la fois un retour sur soi et une circulation et une rencontre avec l’autre.

La question du numérique est interrogée par Bertrand Calenge qui pointe le problème identitaire que cause ce dernier au monde des bibliothèques. Pour lui, la profession possède de nombreux atouts car elle est capable d’apporter une expertise technique, des compétences scientifiques et un réel savoir-faire dans l’élaboration des métadonnées, dans la collecte et l’archivage des contenus, autant de connaissances dont le web est demandeur. Ainsi, et grâce à cet invariant fondamental qu’est leur public et ses besoins, les bibliothèques et bibliothécaires s’adaptent, proposent des services ou des contenus innovants (services de questions/réponses, la bibliothèque numérique européenne Europeana…) et, malgré quelques tourments identitaires, savent imposer leur intemporalité tout en affichant une modernité comme soutien de la démocratie et comme lieu de découverte et de construction de l’individu.

Comme dans chaque numéro, la revue propose ensuite un grand nombre de documents iconographiques, littéraires, historiques qui sont décryptés et analysés, des ressources nombreuses sur le web (sites institutionnels, blogs, ressources numériques) et une riche bibliographie permettant de poursuivre les lectures sur ce sujet.

On l’aura compris, les bibliothèques ne sont pas seulement une accumulation raisonnée et classée de livres, et c’est cette complexité et cette richesse qui se doivent d’être encore et toujours interrogées.