Journée BiblioPat 2012

« Les objets conservés dans les bibliothèques, ou la tapisserie de Bayeux, les pipes de la Baronne, et autres curiosités problématiques »

Alexandra Gottely

Le 11 décembre dernier s’est tenue à la bibliothèque Buffon une journée d’étude organisée par l’association BiblioPat sur le riche thème des objets en bibliothèque. L’objectif était de s’attarder sur ces collections particulières, présentes dans de très nombreuses bibliothèques, que ce soit en nombre ou seulement par un ou deux items, et très rarement mises au centre des préoccupations. Il s’agissait donc avant tout de les mettre en lumière pour mieux pouvoir les questionner : quelles sont ces collections, leurs statuts, leur ampleur ? Comment sont-elles traitées et signalées ? Quelle est leur place, à côté ou avec les collections traditionnelles d’imprimés ? Sont-elles au centre ou à la périphérie des préoccupations des politiques des établissements ?

Cinq grandes séries de présentations-questions ont rythmé cette journée, chacune abordant la question posée selon un angle complémentaire.

Histoire et état des lieux

Les deux premières interventions ont été destinées à dresser un rapide historique et un état des lieux, tour à tour des bibliothèques relevant des collectivités territoriales, puis des bibliothèques relevant du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

Côté collectivités, Claire Chemel a notamment mis l’accent sur les confiscations révolutionnaires, les concessions ministérielles et les ouvrages prélevés au moment de la séparation de l’Église et de l’État. Elle a expliqué comment cette histoire avait entraîné la création de fonds publics constitués d’anciennes collections privées dont une des caractéristiques était de réunir en leur sein livres et objets de toutes sortes, chaque fois selon une logique particulière. Elle a tenu à souligner à quel point il était important de ne pas oublier cette logique, et même de la retrouver, pour le traitement actuel de ces collections.

Côté enseignement supérieur, Julie Ladant a exposé des chiffres et des données issus de l’enquête de 2008 sur le patrimoine des bibliothèques relevant du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Les résultats de cette enquête ne sont pas encore publiés, mais fournissent sur ce seul domaine des informations intéressantes. Ainsi, sur les 115 répondants, 41 établissements déclarent posséder des objets dans leurs collections, pour un total d’environ 70 000 unités.

Après cette évocation du paysage général des objets dans les collections des bibliothèques publiques, les différentes tables rondes ont été consacrées à l’examen de trois problématiques distinctes.

Signaler, valoriser, gérer les collections d’objets

Le premier de ces débats s’est focalisé sur la question du signalement des objets dans les bibliothèques et sur ses difficultés. Les exemples de la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, du département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France, de la base Cat’zArts de la bibliothèque de l’École nationale supérieure des beaux-arts, puis de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, soulignent les différentes approches mises en place par les établissements pour répondre à la nécessité d’inventorier et faire connaître ces collections particulières. Quatre choix de format sont ainsi évoqués : l’Unimarc adapté dans un système local, présenté par Agathe Sanjuan pour la Comédie-Française ; Micromusée, en local également, présenté par Anne-Solange Siret pour la bibliothèque de l’École nationale supérieure des beaux-arts ; l’EAD dans la base Archives et manuscrits et le catalogue général de la BnF, présenté par Marie-Odile Iliano pour la BnF ; et l’EAD dans Calames, présenté par Caroline Fieschi pour la BDIC. Interopérabilité, adaptation aux fonds conservés, habitudes de travail des établissements, ont été discutées. Il en est ressorti une situation presque paradoxale, avec tout à la fois un désir pour des outils communs, et en même temps la réaffirmation de solutions toujours uniques, en tous les cas lorsqu’il s’agit de collections spéciales comme les objets.

Dans une deuxième table ronde, il a ensuite été question de ces objets présents dans les collections par un hasard de l’histoire et qui imposent leur empreinte sur l’établissement. Le cas de la bibliothèque de Bayeux et de la « tapisserie » a d’abord été évoqué par sa directrice, Sylvette Lemagnen, avec le problème de la gestion des produits dérivés et des attentes du public. Dans une deuxième intervention, Mathilde Legendre, directrice du musée Alfred Canel à Pont-Audemer, a relaté l’histoire et le fonctionnement de son établissement, bibliothèque municipale muséifiée mais accueillant toujours des lecteurs, musée atypique. Enfin, Yves Cruchet a exposé le cas de la bibliothèque municipale de Grasse et de sa collection de pipes donnée par la baronne de Rothschild, en mettant en avant l’incongruité parfois ressentie de la présence d’une telle collection dans la bibliothèque, et l’importance des liens avec les chercheurs et les passionnés, sources d’informations précieuses.

Enfin, une dernière table ronde a porté sur la gestion de ces objets conservés dans des bibliothèques : François Lenell, qui représentait le ministère de la Culture, a présenté les différents programmes d’aides et de conseils disponibles et fait un rappel sur les cadres réglementaires et législatifs. Laurence Bobis a décrit son expérience à la tête de la bibliothèque de l’Observatoire de Paris, les collaborations indispensables avec les scientifiques pour la description d’objets spécialisés, les entreprises de valorisation par des expositions, virtuelles ou non. Elle a également insisté sur la difficulté à impliquer les premiers concernés que sont les membres de l’Observatoire dans la vie de la bibliothèque. Enfin, Élisabeth Maisonnier est revenue sur l’histoire de la bibliothèque municipale de Versailles et sur la question des collections héritées : faut-il récupérer les objets placés en dépôt dans d’autres établissements ? Faut-il conserver tous les objets présents dans les collections de nos bibliothèques ou les mettre en dépôt lorsque l’on considère qu’il existe des institutions qui seraient peut-être plus pertinentes ou mieux adaptées ? La bibliothèque de Versailles a choisi la dernière option.

Ainsi, la journée a réussi son pari en donnant un éclairage assez complet sur les collections d’objets en bibliothèque et sur les questions que leur présence peut soulever. Elle a révélé à la fois des réalisations nombreuses et des interrogations persistantes. Elle a surtout affirmé au passage l’importance pour leurs établissements de ces étranges objets. •