L’Université et les formations aux métiers de la culture
La diagonale du flou
Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2012, 162 p., 23 cm
Collection « U-culture(s) »
ISBN 978-2-36441-029-9 : 18 €
Un état des lieux ébouriffé
Cet ouvrage a pour ambition de faire le point sur les formations proposées à l’université dans les métiers de la culture. Les contributions nous intéressent à plus d’un titre : d’abord, parce qu’elles sont historiques ; ensuite, parce qu’elles sont transversales ; et enfin, parce qu’elles posent quelques principes de base qu’il n’est pas inutile de connaître, quel que soit le lieu où on se forme.
L’ouvrage est introduit par Philippe Poirrier et rédigé à plusieurs mains : des spécialistes de musée (Daniel Jacobi), du tourisme (Odette Balandraud), de la médiation scientifique (Olivier Laügt), des bibliothèques (Cécil Guitart), des universitaires qui se sont frottés aux réalités professionnelles et aux politiques publiques de la culture (Claude Patriat et Jean-Pierre Saez).
L’ouvrage consacre donc logiquement une part importante (et parfois redondante) aux dispositifs existants avant la réforme dite LMD (licence-master-doctorat), mise en place avec le sommet de Bologne en 1999. Il s’agissait de l’Atac (Association technique pour l’action culturelle), dès 1965, puis de l’Anfiac (en 1986), de l’ENSB (en 1963). Ces structures avaient des visées très professionnalisantes, et assuraient de la formation continue. Parallèlement, l’université a organisé des formations (IUT, IUP, DESS…) dont Gilles Bertrand, ancien président de l’université de Bourgogne et président du Comité national d’évaluation, souligne le manque de relation à la recherche.
Ce constat, comme celui de l’émiettement des formations de niveau master (Isabelle Mathieu revient longuement, chiffres à l’appui sur ce point) est partagé : Claude Patriat revient lui aussi sur la fausse bonne idée de la formation professionnalisante, appelant au contraire « à un double regard, fondé à la fois sur des connaissances solides dans un domaine artistique, et une capacité d’appréhension du champ culturel dans son ensemble ».
Prospective et un peu d’angoisse
La contribution de Daniel Jacobi nous semble être une des plus pertinentes : même si elle reprend les hypothèses de base déjà évoquées, elle se projette en prospective, tentant d’imaginer le musée du futur, à l’heure de la vitesse et de l’accélération. On pourrait reprendre terme à terme cette contribution, en la transposant au monde des bibliothèques, qui vit une mutation, une évolution à la fois placée sous le signe de la présence (physique, charnelle, du livre, du lieu) et de sa dispersion (on renvoie ici à l’excellente contribution de Marcel Gauchet dans le cadre de « Livre 2010 : l’avenir du livre »). De tout ceci, il reste un besoin permanent de formation dont ni l’État (ministère de la Culture et de la Communication) ni le CNFPT ne se soucient vraiment. Jean-Pierre Saez, directeur de l’Observatoire des politiques culturelles de Grenoble, dans son bel article, commet là une belle erreur : les bibliothécaires territoriaux ne sont plus formés à l’Enssib, d’ailleurs ils ne sont plus formés du tout, il ne reste ici que les conservateurs des deux filières, fort heureusement pour les devenirs des bibliothèques.
Cécil Guitart, que l’on a connu plus inspiré, et Dieu sait qu’il nous manque, semble, dans un article écrit peu de temps avant sa disparition en 2010, ignorer que les conservateurs d’État et les conservateurs territoriaux ne se regardent plus avec dédain, et qu’il est fini le temps où les bibliothécaires universitaires « regardent avec condescendance des catégories [NDLR : les bibliothécaires territoriaux], qui, circonstance aggravante, inscrivent leurs actions au sein des collectivités territoriales ou au sein des associations », mais enfin, où a-t-il été cherché tout ça ?
Isabelle Mathieu conclut sur l’émiettement de la formation, et sur l’effet, un moment « rationalisant » de la réforme LMD qui a, de fait, procédé à une explosion de maquettes de masters, rendant illisible toute offre construite de formation. Elle regrette, elle aussi, l’absence du ministère de la Culture et plaide pour une dissémination de la Culture dans les offres de formation proposées (sciences, économie, gestion-droit).
Ce panorama rend nos interrogations encore plus actuelles : la formation initiale que beaucoup voudraient professionnelle, la recherche vécue comme une sorte de grande absente, la formation continue qui reste souvent un vœu pieux (voir à ce sujet les rapports de l’Inspection générale des bibliothèques), les émiettements sans débouchés, bref, nous voilà au cœur des sujets actuels.