Pour des bibliothèques de qualité dans les prisons françaises

Reine Bürki

Le 25 octobre dernier, la médiathèque Marguerite-Duras (Paris 20e) représentée par sa directrice, Christine Péclard, accueillait une journée nationale organisée par l’Association des bibliothécaires de France (ABF) sur la situation des bibliothèques de prison. Ce sujet n’a pas manqué de réunir un public important, autour d’intervenants choisis parmi les différents acteurs impliqués dans la mise en œuvre et l’animation de ces établissements : ministère de la Culture, administration pénitentiaire, bibliothécaires, associations… Ce programme était introduit par Philippe Pineau, animateur du groupe de travail « Médiathèques/Bibliothèques d’établissements pénitentiaires » mis en place par le conseil national de l’ABF en janvier 2011, et auteur d’un texte de référence sur le sujet qui a donné son intitulé à la journée : « Pour des bibliothèques de qualité dans les prisons françaises  1 ».

L’accès à la culture : du droit au protocole Culture/Justice

En ouverture de cette journée, Nicolas Georges, directeur du Service du livre et de la lecture (SLL, ministère de la Culture), a rappelé les étapes de la législation dans la définition du droit d’accès à la culture : fondée sur l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme  2, l’égalité d’accès aux services culturels et à l’information est un droit fondamental des détenus. Il a également évoqué les engagements pris par le ministère de la Culture dans son Plan de développement pour la lecture (mars 2010), et rappelé que les bibliothèques – à l’extérieur comme à l’intérieur – sont des lieux essentiels de socialisation et d’apprentissage, mais également de lutte contre l’illettrisme qui concernerait plus de 15 % de la population carcérale.

Tout comme la formation professionnelle, la programmation d’actions culturelles en milieu carcéral est inscrite dans les axes de développement de l’administration pénitentiaire, et la circulaire du protocole Culture/Justice  3, présentée par Nathalie Faure (DAP – Direction de l’administration pénitentiaire), concrétise le partenariat entre le ministère de la Culture et le ministère de la Justice sur cette question. La fiche technique n° 4 de la circulaire d’application du 3 mai 2012  4, présentée par Vanessa Van Atten (SLL), donne ainsi des préconisations pour l’organisation des bibliothèques en détention (espaces, collections, accès) basées sur les normes de l’Ifla  5, et vise une offre de services qui se rapproche de celle proposée dans les établissements publics extérieurs.

États des lieux et objectifs

En 2005, le rapport établi par Claudine Lieber (Inspection générale des bibliothèques) et Dominique Chavigny  6 (Inspection générale de l’administration des affaires culturelles) avait permis de dresser un état des lieux détaillé concernant les bibliothèques des établissements pénitentiaires en France, soulignant les efforts à faire dans de nombreux domaines (partenariats, espaces, collections, accessibilité, formation…). En 2010, une enquête lancée par la DAP a recueilli des données auprès de 191 établissements pénitentiaires. Si elle reste avant tout quantitative, cette enquête accompagne la volonté de l’administration pénitentiaire de placer la lecture – et plus généralement la culture – au cœur des dispositifs de réinsertion et de prévention.

Nathalie Faure a souligné l’importance de repenser la bibliothèque comme « le cœur culturel de la prison », un lieu à partir duquel les autres unités peuvent rayonner. Le renforcement des partenariats avec les réseaux de lecture publique, et l’application des normes de l’Ifla font partie des étapes pour atteindre cet objectif, car ces préconisations sont encore loin d’être atteintes partout : espaces restreints et peu accueillants, temps d’accès par détenu insuffisant, équipements et moyens limités, budgets aléatoires d’une année sur l’autre… Cet objectif nécessite l’implication de tous les acteurs (administrations, collectivités locales, réseaux professionnels et associatifs) car, comme l’a conclu Nathalie Faure, « les bibliothèques en détention concernent tout le monde ».

Une bibliothèque (pas) comme les autres ?

Plusieurs intervenants ont été invités à partager leur propre expérience, autour de la question : « Les bibliothèques de prison sont-elles des bibliothèques comme les autres ? ». Une question vite dépassée par Patrick Rigolet (conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation de l’Yonne) qui a souligné la spécificité de ces établissements du point de vue du droit commun. Selon le type de peine, le public et les durées de détention varient d’un établissement à l’autre (maisons d’arrêt ou longues peines) et induisent des usages différents. Les bibliothèques doivent viser le double objectif de permettre au public déjà familier de ces lieux culturels d’en poursuivre la fréquentation, mais également de constituer au sein de la prison un lieu de vie et de convivialité, central et permanent.

Dans sa réponse, « Les bibliothèques de prison devraient être des bibliothèques comme les autres », Christine Locquet (chargée de mission Lecture/Prison de la région Bretagne) a défendu le principe d’une égalité de services en quantité et en qualité (collections, accès, espaces), mais elle a également souligné une singularité du milieu carcéral à ne pas oublier : contrairement aux bibliothèques publiques « ouvertes » très féminisées (largement fréquentées – et animées – par des femmes), les bibliothèques de prison sont à repenser comme un lieu non mixte, pour des hommes (environ 96 % de la population carcérale).

Dedans/dehors : partenariats et formation

Tout au long de cette journée, il a beaucoup été question de partenariats. Christine Locquet a ainsi présenté une expérience convaincante de conventionnement réunissant la Direction interrégionale des services pénitentiaires, la Direction régionale des affaires culturelles, et la structure Livre et Lecture en Bretagne (EPCC). Il en résulte un maillage réussi à l’échelle du territoire, associant le réseau de lecture publique (BM, BDP) aux sept établissements pénitentiaires de la région et se concrétisant par une desserte des établissements pénitentiaires, mais également par le suivi et la formation des personnels (avec le soutien de l’ABF), la mise en place de VAE (validation des acquis de l’expérience) pour les détenus-auxiliaires de bibliothèque en vue de leur réinsertion, et des actions culturelles faisant le lien avec l’extérieur (auteurs invités, festivals).

Éric Frigerio, directeur adjoint de la BDP de l’Essonne, a souligné qu’il n’y avait pas de modèles types de fonctionnement pour les bibliothèques de prison. Elles sont bien souvent tributaires d’initiatives locales et de partenariats qui ne sont pas toujours formalisés, d’où l’importance d’établir des conventions pérennes. Il a également insisté sur le fait que, pour les bibliothèques de lecture publique, la desserte des établissements pénitentiaires n’est pas une action facultative, mais doit être considérée comme une « mission de service public », rappelant notamment que la fonction d’une BDP est bien d’accompagner « toutes les bibliothèques ».

La question de la formation des personnels (celle des détenus-auxiliaires de bibliothèque, mais également la sensibilisation des surveillants aux actions culturelles) était en effet récurrente autour de la table ronde animée par l’écrivain Désirée Frappier. Car, au-delà d’un accompagnement des détenus dans leurs tâches de bibliothécaire dont a pu témoigner Christophe de la Condamine (auteur et ancien détenu auxiliaire de bibliothèque), c’est aussi la question de la réinsertion et de la reconnaissance des acquis professionnels qui est en jeu. Nelly Tieb (Association Lire c’est vivre, intervenante à Fleury-Mérogis) a évoqué l’accord passé avec le Cnam pour la mise en place d’une formation professionnalisante (250 heures/an), permettant aux détenus d’obtenir un « certificat de compétence en médiation culturelle », appui précieux pour les personnes en réinsertion.

La journée a également permis d’évoquer la question des collections et celle du passage au numérique. L’impératif sécuritaire semble l’un des principaux freins au développement des supports (tablettes, liseuses – sans wifi), malgré l’expérience très positive relatée par Marianne Terrusse à la maison d’arrêt de Gradignan. Plusieurs intervenants ont souligné les limites des collections exclusivement « papier » et le trop faible développement des supports audiovisuels.

Invités à conclure, les intervenants ont donné leur vision de la bibliothèque idéale : « Une bibliothèque dont on (se) parle » (Éric Frigerio). « Un lieu central, partagé, offrant des supports variés, et espace de rencontre entre les différents intervenants. Un lieu mixte où les hommes et les femmes se rencontrent » (Marianne Terrusse). « Un lieu de vie qui serait plus fréquenté. Une maison de lecture » (Nelly Tieb). « La même… en trois fois plus grand ! » (Valérie Briley)

Et, pour ne pas perdre le sens de ce long travail d’engagement et de persévérance mené par les différents acteurs sur le terrain, c’est à cette lettre d’un jeune détenu lue par Nelly Tieb, que pourrait revenir le mot de la fin : « Un petit mot pour vous dire combien je serais heureux de pouvoir lire les auteurs demandés. […] Le monde est un livre, une nation, l’un des chapitres… ». •