« Les jeux vidéo. Quand jouer, c'est communiquer »

par Julien Devriendt
Sous la direction de Dominique Wolton
Hermès, n° 62
Paris, CNRS éd., 2012, 232 p., 22 cm
ISBN 978-2-271-07396-9 : 25 €

La figure du joueur de jeu vidéo, adolescent, solitaire, rivé à son écran, a vécu. Ces dernières années, l’industrie du jeu vidéo a su se renouveler et s’imposer grâce à l’essor du jeu occasionnel (casual gaming) sur téléphone portable et tablette, ou encore des party games sur console avec l’arrivée du motion gaming (Wii, Kinect). Ces changements ont permis à l’industrie du jeu de toucher aussi bien des filles et des garçons et même de traverser les générations. Ainsi, selon l’étude GFK parue en février 2011  1, la moyenne d’âge du joueur progresse, se situant à 33 ans, et l’on compte 60 % de joueuses.

Cet essor a permis au jeu vidéo de dépasser l’industrie du cinéma, devenant ainsi la première industrie culturelle mondiale. Le jeu vidéo est également en relation étroite avec les autres industries culturelles : cinéma, bandes dessinées, musique, littérature, auxquelles il emprunte contenu et dispositifs techniques.

Ces dernières années, on assiste à une augmentation des publications en sciences humaines sur le sujet. En effet, le jeu vidéo interroge de nombreuses disciplines comme la sociologie, l’histoire, l’économie et, plus récemment, la philosophie  2. La revue Hermès se propose d’aborder les jeux vidéo sous l’angle de la communication.

Enjeux communicationnels

Le jeu vidéo est souvent perçu comme une activité solitaire, voire désocialisante. Étienne Armand Amato montre comment l’arrivée d’internet a permis de mieux cerner les enjeux communicationnels autour des jeux vidéo. En se connectant à internet, les jeux ont pu intégrer d’autres joueurs et créer de nouveaux espaces de communication. Mieux, cette analyse a permis par comparaison de montrer les aspects communicationnels présents dans les jeux vidéo classiques.

S’ensuit le développement des réseaux sociaux et avec eux l’apparition de jeux sociaux. Fanny Georges montre comment l’avatar intègre désormais l’identité numérique des joueurs. Les contacts devenant partenaires dans le jeu, la communication est au centre de ces jeux : « La vie du joueur et son activité fusionnent. » Cet effet est accentué par la montée en puissance du jeu sur mobile, accessible partout, tout le temps, avec des temps de jeu très courts.

Le jeu devient également avec les serious games et news games un moyen de se former, de communiquer. Pour Jacques Perriault, l’aspect ludique n’est pas incompatible avec l’apprentissage et peut venir en complément d’une pédagogie traditionnelle. L’exemple du serious game « Jeu Serai », présenté par Stéphane Natkin, insiste sur l’importance de mêler à la fois ludique et utile dans la vie réelle.

Enfin, Sébastien Genvo nous présente des pistes de réflexion pour comprendre le jeu vidéo en tant que moyen d’expression. À la différence du serious game, le jeu expressif défini par l’auteur ne doit pas transmettre un point de vue définitif mais faire partager « une expérience de vie problématique » tout en permettant une expérimentation non moralisante.

Enjeux économiques et sociaux

L’ouvrage ne s’arrête pas à l’aspect communicationnel et offre un tour d’horizon complet de l’industrie du jeu vidéo, de ses enjeux économiques. Le jeu sur console ne représente plus que 50 % du marché et se répartit maintenant sur différents supports : jeux sur téléphones portables, tablettes, jeux sociaux. La montée en puissance des nouveaux modes de distribution numérique fait entrer de nouveaux acteurs sur le marché comme Apple, Google et Amazon, tout en favorisant le développement de petits studios indépendants. Va-t-on assister à une redistribution des cartes ?

Les controverses autour du jeu vidéo sont également abordées, comme l’addiction et la dépendance. Les jeux à univers persistants massivement multijoueurs sont-ils des espaces de création de lien social comme le souligne Philippe Bonfils ? Philippe Lafrance analyse, à travers une série d’entretiens réalisés avec des joueurs de WoW (World of Warcraft), ce qui rend ce jeu si attractif et montre des cas où les joueurs entrent dans des pratiques excessives accompagnées de période de dépression. L’auteur souligne toutefois la difficulté à parler d’addiction (cette notion s’applique-t-elle à des objets qui ne sont pas des drogues ?). À partir de quel moment glisse-t-on de la passion à une pratique excessive ?

Hermès nous livre un ouvrage très complet sur le jeu vidéo aujourd’hui, que l’on peut conseiller aussi bien aux personnes découvrant cet univers (grâce à la présence d’un glossaire très complet et des encadrés pertinents comme celui sur le machinima ou la féminisation du jeu vidéo), qu’aux joueurs souhaitant prendre du recul sur leurs pratiques.

L’ouvrage n’apporte pas de réponse définitive aux questions posées mais fournit de nombreuses pistes de réflexion, évitant ainsi de tomber dans le piège des a priori et ouvre des portes intéressantes. Comme le souligne Aymeric d’Afflon, « nous n’en sommes qu’à l’an 40 de ce moyen de communication et de création, alors soyons en sûrs : le plus beau reste à venir ».