Édition et diffusion de L'Imitation de Jésus-Christ (1470 - 1800)

par Rémi Mathis
Sous la dir. de Martine Delaveau et Yann Sordet
Paris, Bibliothèque nationale de France / Bibliothèque Mazarine / Bibliothèque Sainte-Geneviève, 2012, 514 p., 31 cm
ISBN 978-2-7177-2489-9
ISBN 979-10-90853-00-3
ISBN 978-2-900307-09-0
190 €

L’Imitation de Jésus-Christ (Imitatio Christi) fait partie de ces livres que tout responsable de fonds anciens a vu passer en de multiples exemplaires sans toujours savoir qu’en faire. À peu près jamais lu ni consulté de nos jours, il a pourtant été l’un des livres majeurs de la spiritualité européenne pendant près de cinq siècles… et par conséquent un des textes religieux les plus diffusés et traduits dans le monde. L’ouvrage est de plus très intéressant pour les historiens du livre car les querelles autour de sa paternité (rédigé au milieu du XVe siècle et composé de quatre traités indépendants, il est anonyme et successivement attribué à un grand nombre d’auteurs religieux) ont nourri le développement des disciplines de l’érudition historique, bibliographique et codicologique.

Travail bibliographique…

C’est un fort beau projet, mené par Martine Delaveau et Yann Sordet, et réunissant en une fructueuse collaboration la Bibliothèque nationale de France, les bibliothèques Sainte-Geneviève et Mazarine, qui est à l’origine du présent ouvrage. Ce dernier n’est pas à proprement parler une bibliographie complète, mais un catalogue des fonds des trois bibliothèques qui publient l’ouvrage (Mazarine, Sainte-Geneviève et BnF, y compris la bibliothèque de l’Arsenal), ainsi que ceux de la bibliothèque de la Sorbonne.

De l’édition princeps d’Augsbourg (antérieure à 1470) à la veille de la deuxième révolution du livre, ce sont 933 notices qui sont proposées, issues de la description livre en main de plus de 1 500 exemplaires – un travail de titan. Une notice correspond à une émission, chacune possédant un numéro. Sans doute aurait-il été prudent d’adopter une numérotation non continue (par exemple année + code de langue ou de pays + numéro) afin de permettre que le travail soit complété (ou réutilisé dans une bibliographie générale de l’œuvre) sans avoir à utiliser des bis et autres ter.

Le plus surprenant pour le bibliographe est sans doute l’absence d’usage d’empreinte, au-delà même des habituelles polémiques entre partisans de la LOC ou du STCN. Cela est dommage pour la précision du catalogue puisqu’il ne fait aucun doute que leur emploi aurait fait surgir des éditions nouvelles, semblables par la formule de collation et la page de titre, et rendu certaines complexes situations bibliographiques plus faciles à appréhender (par exemple pour les nos 337-338, Rotterdam : Graswinckel, 1661). D’autre part, l’empreinte est fondamentale pour l’usage qui peut être fait d’un tel catalogue, qui est un excellent moyen de faciliter le travail des collègues responsables de fonds anciens : donner l’empreinte leur aurait permis de se rattacher à une de ces très bonnes notices de la manière la plus simple qui soit.

… et historique

Les données recueillies par les bibliographes ont permis de rédiger quelques études introductives fort intéressantes, convoquant pour l’occasion certains des meilleurs connaisseurs de la question. L’importance de l’œuvre est mise en perspective ; son histoire et sa géographie éditoriales explicitées, permettant de comprendre la diffusion de ses divers avatars en latin ou en langue vulgaire (F. Barbier). Véronique Meyer peut réaliser, grâce à la mise en série, une analyse des illustrations qui se sont succédé, où se mêlent de manière complexe créativité et traditions, copies, considérations économiques et de goût. Les usages ne sont pas oubliés, la diffusion exceptionnelle du livre étant corrélée à une lecture (ou une écoute) qui touche toutes les couches de la société ; et si jésuites et jansénistes polémiquent sur la justesse de la traduction des uns et des autres, chacun des deux camps s’accordent à reconnaître l’importance de la lecture.

En particulier, M. Delaveau offre à partir des marques de provenance une étude sur la présence de L’Imitation dans les bibliothèques ecclésiastiques – question très difficile à aborder autrement car l’ouvrage, de peu de valeur, est souvent négligé dans les inventaires. Yann Sordet va plus loin encore dans l’étude du singulier en étudiant les notes de lecture et autres marginalia permettant d’approcher l’appropriation du texte par ses lecteurs, au fil des générations. Enfin, la présence des exemplaires de L’Imitation dans les bibliothèques françaises est analysée à partir de la donation Delaunay à la bibliothèque Sainte-Geneviève, et de l’origine des 466 éditions présentes dans les collections de la BnF.

Huit index sont proposés. Nous en savons extrêmement gré aux auteurs tant ce type de travail est à la fois ingrat et utile. Mais peut-être aurait-il été aussi plus pratique de mettre en ligne la base de données qui a certainement été réalisée par les auteurs, ce qui aurait permis d’obtenir des informations de manière plus aisée, complète et rapide pour les chercheurs.

L’ouvrage est accompagné d’une exposition à la bibliothèque Mazarine. À cette occasion a également été publié aux éditions des Cendres un très joli catalogue d’exposition, beaucoup plus accessible (aussi bien financièrement qu’intellectuellement), qui permet de présenter un certain nombre d’éditions et d’exemplaires avec de très belles reproductions. Mais c’est bien le premier qui demeurera pour longtemps un ouvrage de référence non seulement en France mais dans l’ensemble des pays où L’Imitation a été publiée et diffusée. Il est agréable de constater que des bibliothèques s’abstiennent encore de sacrifier la qualité de leurs publications à une approche purement commerciale de l’édition et continuent à remplir leurs missions en procurant au public des ouvrages de référence, tels que celui-ci.