Journées Abes 2012

Yves Desrichard

On ne se lasse pas, à chaque édition des Journées Abes, de remercier l’Abes de la qualité de l’accueil et de l’organisation, et cette année ne dérogera pas à la sympathique antienne. De tradition aussi, les Journées Abes (cette année, les 19 et 20 juin 2012) sont ouvertes par un collègue étranger, en l’espèce Kurt de Belder, directeur des bibliothèques de l’université et des Presses de Leiden.

Trouver, c’est mieux que chercher

Écrire que l’exposé de K. de Belder fut l’occasion d’inattendues découvertes serait faux, mais il fit un point solide sans être catastrophiste, étayé sans être désespéré, de la « transformation des bibliothèques universitaires », qui doivent faire face à un nouveau monde – mais y participer aussi, autant que possible : Google, Google Books, les technologies mobiles, le print on demand, les « e » (sciences, humanities, research), le poids du commercial, les baisses de budget et, en corollaire plutôt fâcheux, l’augmentation des coûts de l’information, les « driven acquisitions », etc., imposent de repenser les modèles sur lesquels jusqu’alors les bibliothécaires universitaires prospéraient.

Les pistes, pour K. de Belder, sont aussi nombreuses que les problèmes, et certaines recouvraient les préoccupations plus ou moins souterraines de ces journées : sous-traiter le catalogage à un échelon national ou international, mutualiser, toujours à un échelon national, le stockage de collections papier désormais peu utilisées, mais aussi des collections électroniques, pour lesquelles on peut même envisager un stockage transnational (dans le fameux « cloud », le mot de l’année). Bref, sous-traiter tout ce qui peut l’être, et spécialiser bibliothèques et bibliothécaires sur le spécifique, le « just in time » au lieu du « just in case », et passer du « find it business » au « get it business » – trouver, c’est mieux que chercher, comme le disait, on s’en souvient, un ancien président de la République.

Pour faire tous ces changements, il faut renouveler le personnel, sans privilégier les personnes formées aux métiers des bibliothèques, qu’on peut toujours former sur le tas, s’ils ont, au préalable, les compétences indispensables à la survie dans ce nouveau monde. Et Kurt de Belder d’indiquer benoîtement que, en tant que directeur des bibliothèques de l’université, il avait renouvelé un tiers du personnel… en moins d’un an, ce qui ne manqua pas de faire passer un frisson (poli) dans l’assistance.

Une vraie révolution

Puis, là encore fidèle à la tradition, Raymond Bérard, directeur de l’Abes, proposa un bilan des activités de l’établissement sur l’année écoulée : le portail des thèses, theses.fr, celui des thèses en préparation, Step, le Sudoc en allemand, le Sudoc mobile, les Api Sudoc, et bien d’autres réussites, mais aussi quelques échecs : « feu le portail Sudoc », ou l’impossibilité de trouver une solution satisfaisante pour le signalement des ressources électroniques, lors même que c’est « l’activité de signalement qui fonde [la] mission [de l’Abes] ». Et puis, sans doute l’une des avancées majeures, la mise en place des licences nationales, qui proposent désormais, dans une gouvernance partagée avec l’Inist, l’accès à des ressources de Springer, aux bases EEBO et ECCO, aux Classiques Garnier numériques – d’autres devraient être accessibles prochainement.

Cette dernière actualité rejoignait l’un des enjeux majeurs liés à la création, encore en devenir, de la Bibliothèque scientifique numérique (BSN), dans l’objectif de mettre en cohérence l’information scientifique et technique de l’État. Celle-ci ne passerait-elle pas par une fusion des services proposés par l’Inist et l’Abes ? Le projet ne fut évoqué qu’indirectement, par l’effort de rapprocher les deux outils de fourniture de documents à distance proposés par les institutions, respectivement Refdoc et Supeb. Effort resté vain, tant la « philosophie » et le mode de fonctionnement de ces outils semblent incompatibles.

Autre préoccupation récurrente, les risques d’inféodation à OCLC, partenaire et prestataire du Sudoc et de l’Abes. Dans le souci de « faire un sort » à OCLC, Raymond Bérard, membre du « board of trustees » de l’organisme, et qui n’ignore évidemment pas les suspicions des bibliothèques françaises à cet égard, rappela que 112 des bibliothèques adhérentes (sur 132) sont présentes dans le catalogue mondial d’OCLC, Worldcat, avec des résultats mitigés : doublons, difficultés de mise à jour, etc.

Mais la vraie révolution prônée par l’Abes, présentée par Jean Bernon, chargé de ce projet, est celle du système de gestion de bibliothèque (SGB) mutualisé que l’Abes a charge de piloter  1. Le but : déporter dans le « cloud » toutes les applications courantes (SIGB locaux et Sudoc) et ne garder dans des bases locales ou nationales séparées, pour éviter la « monoculture », que les applications spécifiques comme les licences nationales, les thèses et les manuscrits (Calames), voire les annuaires de personnes, etc., de façon à disposer d’un outil adapté à la mutualisation des ressources électroniques, mais aussi à la gestion simultanée des ressources papier et électroniques, dont on sait qu’elle reste, à toutes les étapes, un achoppement de la gestion interne des établissements. Rien moins qu’une révolution : plus de catalogage local, plus de client WinIBW, plus de transferts réguliers vers des SIGB qui n’existeraient plus, adoption de RDA  2, « FRBrisation des catalogues », etc. Bref, une bibliothèque électronique totalement externalisée, dans un nuage si possible national – mais on sait ce qu’il en est des nuages.

Pour autant, et comme pour le Sudoc et le progiciel Pica, le choix est fait de partir d’un produit existant – et c’est là que le bât blesse, car le nombre de candidats potentiels pour un projet de cette importance est faible. Pour simplifier, Alma d’Ex-Libris et WMS… d’OCLC, tentation qui ne peut que raviver les craintes des adhérents du réseau quant à la mainmise de la firme, plutôt société commerciale de ce côté-ci de l’Atlantique, plutôt coopérative dans ses terres natales, sur le système et les données françaises. Ce qui entraîna par avance Raymond Bérard à rassurer les présents, en réaffirmant la volonté de l’État de « ne pas donner l’Abes à une officine extérieure », « c’est aller au suicide ».

Un peu de rêve

À ces préoccupations, l’élégante présentation de « The European Library » assurée par Aubéry Escande fit plus qu’écho  3. Il ne faut pas confondre, nous indiqua-t-il en préambule, « The European Library », un service, qui propose une nouvelle interface depuis le mois de juin, et Europeana, qui est « encore un projet ». Un service qui réunit 2 200 partenaires, venus de 33 pays (bien plus large donc que l’Union européenne proprement dite), bibliothèques, musées, archives, archives audiovisuelles. Un service qui détient, qui mutualise, les métadonnées permettant l’accès à 23 millions d’« objets » numériques conservés par les partenaires.

Dans le même élan de « mutualisation », Deborah Shorley, directrice des bibliothèques d’Imperial College à Londres, présenta le « UK Research Reserve », projet de conservation partagée de collections de périodiques papier désormais peu utilisées. Le but est de se débarrasser « écologiquement » de ces collections, dont D. Shorley nous apprit qu’elles pouvaient servir pour les enrobages d’autoroute, mais aussi pour les papiers de bonbons, sans parler des économies réalisées en termes d’espaces.

La place manque pour parler des autres interventions, souvent très techniques pour un public qui n’est plus composé seulement d’aficionados du catalogue en Unimarc (plus de 500 participants), desquelles on peut retenir, sans publicité exagérée, la présentation de la base « Early European Books », qui propose de magnifiques ouvrages des XVe et XVIe siècles, celle du Journal de la Reine Victoria (avec laquelle il fut possible, merveille de la technique, de tweeter), et surtout de « The Vogue Archive », qui offre à la consultation la quasi-intégralité de ce « must » chic et mode, avec, pour les amateurs et pour les autres, un thésaurus spécialisé à la conception duquel on aurait bien aimé participer. Un peu de rêve et d’apparente futilité dans un monde qui en semble parfois bien dépourvu. •