Le livre en Afrique francophone

Raphaël Thierry

La Bibliothèque nationale de France (BnF) accueillait, le 15 mai 2012, son 31e « atelier du livre », dans le cadre de la programmation de journées d’étude consacrées à « l’histoire du livre et son univers contemporain ». La rencontre avait pour thème « Le livre en Afrique francophone ». Gérald Grunberg (délégué aux relations internationales de la BnF) inaugurait la journée en rappelant le travail de valorisation des collections africaines mené par la BnF, et soulignait l’enjeu croissant du numérique pour la circulation de l’information et l’accès à des collections dématérialisées. Il présenta deux actions menées par la BnF : grâce à une loi récemment votée par le Parlement, la numérisation d’ouvrages africains présents à la Bibliothèque prendra effet à partir de 2013, pour une mise en ligne qui sera pleinement opérationnelle en 2014 ; la seconde action concerne le programme de conférences de lecture initié avec l’aide de l’Institut français et de plusieurs bibliothèques nationales de pays africains francophones : des lectures et conférences qui seront enregistrées et accessibles en ligne sur le Réseau francophone numérique  1, dont l’ambition est de constituer une galerie sonore des écrivains francophones contemporains.

L’essor de l’édition en Afrique francophone

Luc Pinhas (maître de conférences à l’université Paris 13 et vice-président de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants) ouvrait ensuite la session, en entretenant l’assistance sur la question des difficultés d’essor de l’édition en Afrique francophone depuis les indépendances. Si la moyenne des titres produits chaque année par million d’habitants n’a cessé de diminuer, la seconde moitié des années 1990 constitue une période où un frémissement se fait sentir et où s’opère une véritable éclosion de nouvelles structures éditoriales à travers l’Afrique, et ce en dépit des nombreuses entraves : au-delà de la concurrence des éditeurs du Nord, difficile de ne pas faire cas de l’exiguïté des marchés et de la faiblesse/ absence de soutiens étatiques à la filière du livre dans de nombreux pays. Dans un tel contexte, le numérique offrirait des pistes intéressantes pour la filière du livre en Afrique.

Parmi les structures nées au cours des deux dernières décennies, les éditeurs de jeunesse figurent en bonne position, comme l’évoqua Viviana Quiñones (La joie par les livres, BnF). « Quand on dit en Afrique “le livre de jeunesse” on pense surtout au livre scolaire », expliquait la bibliothécaire. Un secteur scolaire dans lequel les éditeurs africains parviennent progressivement à capter des marchés publics à travers des appels jusqu’à il y a peu intégralement monopolisés par des structures françaises. « Quels sont les livres de jeunesse que l’on trouve en Afrique ? » : si la majorité des ouvrages disponibles sont publiés en France (ces titres prédominent dans les librairies comme dans les bibliothèques), les éditeurs continentaux proposent aujourd’hui des ouvrages de grande qualité et une belle diversité de thèmes. Viviana Quiñones n’oublia pas de soulever la question de l’édition en langues africaines : « L’accès au plaisir de lecture, qui n’est pas aisé dans sa langue maternelle, l’est encore moins dans une langue que l’on ne connaît pas bien. » Une difficulté qui peut être surmontée grâce à la médiation du bibliothécaire.

Ce propos faisait écho à la communication de Marie-France Blanquet (maître de conférences en sciences de l’information, IUT Métiers du livre, Bordeaux) qui intervint sur les « lieux du livre en Afrique francophone : bibliothèques et librairies ». Dans une Afrique où le livre existe historiquement à travers des manuscrits aussi remarquables que les collections patrimoniales de Tombouctou, les espaces de consultation et de vente du livre demeurent encore trop rares, déplorait-elle. Pour autant, « les populations liront-elles davantage parce qu’elles auront des bibliothèques numériques plutôt que des bibliothèques physiques ? »

Pour clore la matinée, Alain Ricard (directeur de recherche au CNRS, Bordeaux) choisissait de s’intéresser au rapport entre oralité et écriture, dans le cadre d’une réflexion intitulée « Culture de la voix et chaîne du sens ». Selon lui, l’importance réside plus dans le discours que dans sa forme : un manuscrit peut très bien appartenir à l’univers de l’oralité, alors que certaines représentations orales peuvent, elles, répondre aux codes de la littérature « écrite ».

Écrivains africains, regards africains

C’est par visioconférence que Chantal Stoïchita de Granpré (Bibliothèque francophone multimédia de Limoges) intervenait depuis la Haute-Vienne sur le projet d’acquisition des manuscrits de l’écrivain congolais Sony Labou Tansi. Elle décrivit à l’assistance l’importance de la sauvegarde du fonds et les moyens mis en œuvre pour le rassembler afin « de le conserver dans de bonnes conditions », des conditions de préservation suffisantes n’étant pas encore présentes en République du Congo. À terme, il s’agira de numériser et de mettre les ressources à la disposition des chercheurs sur un site web en accès libre. Un tel accès offrira, selon elle, de nouvelles perspectives de recherche en Afrique, par exemple dans le cadre des études génétiques.

Les deux dernières interventions individuelles apportaient des regards africains sur les problématiques étudiées au cours de la journée. Alors que Viviana Quiñones avait abordé la question de la littérature d’enfance et de jeunesse, Méliane Kouakou Yao (directrice de la collection « Adoras » aux Nouvelles Éditions ivoiriennes) a apporté l’exemple d’un véritable succès d’édition populaire en Afrique, avec la collection « Adoras ». Cette collection de romans sentimentaux africains, où les personnages sont africains et où les intrigues se déroulent en Afrique, revendique sa dimension pédagogique en abordant de nombreux thèmes de société (le sida, la drogue en milieu scolaire, la prostitution, le problème des filles-mères, l’exode rural, la stérilité en Afrique, la tricherie en milieu scolaire, l’excision, la polygamie, le décapage de la peau, le calvaire des veuves en Afrique, etc.). Du haut de ses quatorze ans d’existence, « Adoras » revendique quelque 78 titres tirés entre 5 000 et 10 000 exemplaires, et vendus au prix de 1 500 francs CFA. « On a trop longtemps dépeint l’Afrique comme un continent de tous les maux, avec misérabilisme. Notre collection montre aussi l’autre face de l’Afrique : une Afrique riche, moderne, dynamique » termina-t-elle.

L’ultime intervention aura brillamment conclu la série d’exposés. Mamadou Aliou Sow (directeur général de Soprodiff en Guinée) est intervenu sur le thème de « L’édition africaine francophone aujourd’hui : contraintes et opportunités ». « Je ne suis pas sûr que l’on puisse vraiment parler de l’édition francophone africaine en tant que telle […]. On a souvent tendance à globaliser les problèmes lorsque l’on parle de l’Afrique. Il est évident que l’Afrique est un continent et un ensemble de pays, avec des réalités quelquefois extrêmement contrastées », commençait-il. L’éditeur construisit ensuite sa réflexion en décrivant les contraintes que rencontrent les éditeurs africains, avant d’évoquer certaines pistes existantes ou à envisager. En mettant l’accent sur la question des politiques nationales et internationales du livre et de leur influence sur la structuration du tissu éditorial africain, Mamadou Aliou Sow souligna l’absence de reconnaissance des textes existants, ou encore la faiblesse de l’accompagnement des législations en vigueur, des faiblesses qui n’aident pas à la constitution d’un environnement légal structurant pour les éditeurs.

Concernant les opportunités, il mit en avant les enjeux de l’édition dans les langues transfrontalières, dont certaines se situent à l’intersection de pays francophones, anglophones et lusophones. Enfin, M. Aliou Sow souligna le problème des réseaux de distribution : « Il y a beaucoup d’efforts qui sont faits par les organisations professionnelles, et si les États ne font rien, il faut savoir que des associations africaines, notamment l’APNET, Afrilivres, ou la Panafrican Booksellers Association, œuvrent au rapprochement des éditeurs à travers le continent. »

La journée s’acheva par une table ronde intitulée « Quel avenir pour le livre africain ? Comment venir à bout des obstacles et satisfaire un lectorat très demandeur ? » qui réunissait Bernard Magnier (directeur de la collection « Lettres Africaines » chez Actes Sud), Méliane Kouakou Yao et Mamadou Aliou Sow. La discussion aura donné lieu à un intéressant échange sur la question de l’orientation des catalogues, des normes et des publics cibles, mais aussi de la concurrence en Afrique entre éditeurs français et éditeurs africains, ou encore des enjeux des coéditions. Sur ce dernier point, c’est une intervention de Luc Pinhas qui clôturera la journée : « Je remercie un éditeur comme Actes Sud et Bernard Magnier de jouer le jeu de la cession de droits à des prix solidaires, pour que les éditeurs du Sud puissent réaliser ce type de coéditions. Malheureusement, les éditeurs français, parisiens, sont encore trop rares à jouer ce jeu qui constitue une amorce pour accoutumer les éditeurs africains à travailler ensemble et à susciter d’autres coéditions, et peut-être aussi des nouveautés et plus seulement des ouvrages d’auteurs africains qui ont été publiés à Paris. » •