Mutations de l’enseignement supérieur et internationalisation
Change in Higher Education and Globalization
Bruxelles : De Boeck, 2011. 311 p., 24 cm
Collection « Pédagogies en développement »
ISBN 978-2804165963 : 36 €
Quels sont les effets de l’environnement international sur les politiques de l’enseignement supérieur en Europe et sur l’émergence d’un modèle européen ? Telle est, au milieu d’une bibliographie de plus en plus pléthorique – livres mais surtout articles et innombrables rapports –, l’ambition de ce recueil de 19 contributions dont 12 en français et 5 en anglais, dues en majeure partie à des universitaires européens.
Quoiqu’organisé selon un plan assez clair, l’ouvrage mêle des contributions de portée et de niveaux disparates. La première partie, consacrée à l’effet des attractions internationales et du modèle européen sur les systèmes nationaux d’enseignement supérieur, est la plus homogène. Elle regroupe cependant des articles allant de contributions factuelles comme celles de Suzy Halimi décrivant les instances de l’Unesco relatives à l’enseignement supérieur et les recommandations de la Commission nationale française, ou celle de Michelle Lauton qui retrace le fonctionnement du CNESER, à des analyses théoriques mais assez convenues comme celle de Kathleen Lynch qui souligne combien les valeurs traditionnelles de l’université sont infléchies par les exigences professionnelles et par l’effet d’une économie concurrentielle et mondiale de type néolibéral, et enfin à des descriptions critiques centrées sur l’organisation de l’enseignement supérieur d’un pays et montrant leur plus ou moins grande ouverture à l’international. Ce sont sans doute ces articles concis, clairs et bien documentés qui retiendront d’autant plus l’attention des lecteurs français qu’ils permettent de fructueuses comparaisons.
Ainsi, l’évolution de l’enseignement supérieur en Irlande par Imelda Elliott retrace comment l’enseignement supérieur de ce pays est passé de la formation d’une élite sociale (5 % des jeunes en 1960) dans une société traditionnelle à un système de masse (49 % d’une classe d’âge en 1997). Outre son intérêt intrinsèque, cet article répond aux propos aussi de Kathleen Lynch en illustrant par un cas précis le fait que la notion de « valeurs traditionnelles » de l’université mérite d’être située historiquement et socialement. De même, la contribution de Carole Massey-Bertonèche, qui fournit une description approfondie de ce que l’on entend aujourd’hui par « commercialisation » dans les universités américaines, démontre les limites du recours aux financements privés, y compris pour les universités les plus prestigieuses, et la nécessité des financements publics même en économie libérale.
Ainsi encore, synthétisant à l’aide de chiffres bien choisis l’évolution des cinquante dernières années de l’enseignement supérieur français, Jean Richard Cytermann décrit la manière dont le rayonnement international s’est peu à peu imposé comme un des objectifs majeurs de nombre d’universités.
Aujourd’hui, sous des formes institutionnelles variées, la qualité de l’enseignement supérieur comme facteur de la compétitivité économique s’incarne dans des politiques de sites dont la visibilité et l’attractivité internationales sont perçues par les différents acteurs (établissements, État, collectivités territoriales) comme des éléments clés. Exemple à l’appui, Sonia Leverd illustre comment les établissements d’enseignement supérieur français, parfois repliés sur eux-mêmes, ont bénéficié de leur ouverture internationale. Ainsi, à l’IEP de Lille, la création de filières européennes intégrées avec les universités de Munster, de Salamanque et l’université du Kent s’est réalisée au profit des étudiants. On appréciera également le point de vue de Catherine Coron, qui propose une étude très documentée et chiffrée sur l’enseignement supérieur en Grande-Bretagne et un bilan des politiques mises en œuvre, n’oubliant pas de marquer l’influence de l’OCDE sur celles-ci. De même, le travail de Christine Soulas sur la mobilité en cours d’études, en particulier des filières courtes vers les filières longues, fait l’objet d’une comparaison remarquable entre le dispositif français et le dispositif mis en place depuis de nombreuses années par l’État de Californie, apportant au passage la démonstration du manque de cohérence de l’enseignement post-secondaire français.
Sur l’internationalisation encore, on lira avec intérêt l’exposé très critique de Sarah Croché sur les rapports de pouvoir au niveau européen. La Commission européenne s’est peu à peu approprié le processus de Bologne à partir du sommet de Prague en 2001, alors que les ministres l’avaient initialement exclue. Dénonçant le poids des groupes techniques et le rôle d’un nombre limité d’experts, l’auteure stigmatise l’influence des organisations corporatives sur l’avenir de l’enseignement supérieur européen. Elle met en doute le processus de Lisbonne comme harmonisation européenne, y voyant plutôt un prétexte pour les États pour régler leurs problèmes nationaux. On regrettera néanmoins que la parole n’ait pas été donnée à la défense, et en particulier à Éric Froment qui suit le processus depuis ses débuts.
De même, sous un titre que l’on pourra trouver artificiel (« La montée d’exigences nouvelles »), on regrettera le manque d’équilibre et le côté fourre-tout de la seconde partie de l’ouvrage, qui aborde d’un seul point de vue des sujets aussi différents que l’enseignement des langues, la valorisation des acquis de l’expérience, la place des femmes dans la recherche (étudiée notamment à partir de quelques données relatives à une université du Nord – Pas-de-Calais), l’insertion des handicapés dans l’enseignement supérieur au Royaume-Uni, le conseil psychologique aux étudiants, l’insertion professionnelle, et le métier d’enseignant-chercheur ! Ce dernier point, central pour les universités, aurait mérité mieux.
Le lecteur a un peu l’impression que l’on a voulu couvrir tout le champ de l’enseignement supérieur et n’oublier aucun sujet, fut-ce au prix d’une certaine perte de cohérence et de profondeur. De ce point de vue, cet ouvrage collectif n’évite malheureusement pas les écueils du genre, au point que l’on peut se demander si cette publication aurait vu le jour telle quelle sans le concours du conseil régional et du conseil général du Nord – Pas-de-Calais ainsi que de l’université du Littoral.
En conclusion, on soulignera cependant que l’ouvrage répond assez largement aux objectifs proposés par les directeurs de cette publication : offrir une vision transversale des évolutions en cours dans nombre d’universités européennes. Il fournira des informations et des points de vue utiles à ceux qui s’intéressent au devenir de l’enseignement supérieur. Sans doute est-il opportun de préciser aux lecteurs du BBF qu’il s’agit d’un livre que l’on recherchera d’abord en bibliothèque, tant il est vrai que ce type de recueil par sa nature même se prête davantage à une consultation plutôt qu’à une lecture exhaustive.