« Faut-il encore des bibliothécaires ?
Cécile Fauconnet
« Faut-il encore des bibliothécaires ? » Cette interrogation teintée d’un soupçon de provocation, posée à l’occasion du Salon du livre de Paris, le 19 mars dernier, a réuni autour d’une table ronde modérée par Christophe Pavlidès, directeur de Médiadix, Anne-Marie Bertrand, directrice de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, Dominique Arot, doyen de l’Inspection générale des bibliothèques, et Marie-Christine Pascal, chargée de mission au Service du livre et de la lecture, au ministère de la Culture et de la Communication.
Devant un public véritablement entassé dans « l’agora de Biblidoc », les intervenants devaient questionner des sujets tels que : « Qu’est ce qui fait aujourd’hui la spécificité du métier de bibliothécaire alors que ses compétences techniques traditionnelles peuvent sembler être de moins en moins sollicitées ? Les bibliothèques ont-elles besoin de mobiliser d’autres corps de métier ? Quelles alliances nouer ? Quelle place le bénévolat peut-il occuper ? Dans un environnement nouveau, comment mettre à jour les compétences traditionnelles ou en acquérir de nouvelles ? »
Compétences nouvelles vs compétences traditionnelles ?
Pour Anne-Marie Bertrand, il n’y a pas de hiatus entre compétences traditionnelles et nouvelles mais une longue et unique liste de compétences à avoir qui rend le métier de bibliothécaire difficile à définir, contrairement à celui de médecin ! Elle fait d’ailleurs allusion au « métier incertain » évoqué par Michel Melot. Les compétences requises sont d’ordre : technique (politique documentaire, gestion des collections, acquisition, services à distance), relationnel, managérial, stratégique (savoir analyser et évaluer son environnement, comprendre les enjeux en terme de politique publique).
Cette diversité de compétences nécessite une mise à jour perpétuelle de ses connaissances et la nécessité d’un véritable programme de formation tout au long de la vie.
Interrogé sur ce même sujet, Dominique Arot met l’accent sur le fait que les tâches « mécaniques » sont de plus en plus prises en charge par des automates (prêt/retour, récupération de notices de catalogage), et ainsi ne plus prendre en charge ce type d’activité (ne plus effectuer de taches chronophages et répétitives) permet de se centrer sur l’accueil (parce que la signalétique ne suffit pas !) et sur l’accompagnement. Pour lui, la médiation sur place et à distance est fondamentale. Elle se fonde d’ailleurs sur des compétences qui ont toujours existé mais qui s’expriment aujourd’hui différemment. Parmi les compétences à acquérir ou renforcer, il cite notamment la communication, l’action culturelle, la formation des usagers.
Il ajoute à cela que les bibliothécaires ont des compétences qui peuvent être réinvesties dans d’autres services que les bibliothèques. La fonction publique territoriale tend toujours à être vue comme « inférieure » à la fonction publique d’État, c’est pourquoi il faudrait favoriser la mobilité et rendre moins rigide le cadre statutaire, ce qui permettrait de décloisonner les différentes fonctions publiques.
La place du bénévolat dans les bibliothèques
Marie-Christine Pascal a dressé un état des lieux de la place du bénévolat dans les bibliothèques. D’après ses sources, les bénévoles y occupent une place de choix (52 000 bénévoles dans les réseaux des bibliothèques départementales de prêt, ce qui représente 54 % des personnels de ces réseaux, parmi lesquels 30 % sont qualifiés). Elle précise qu’il n’y a pas de bénévoles dans les grosses communes, mais que le bénévolat associatif concerne plus de 19 000 personnes actives au sein d’associations comme l’« Association de la fondation étudiante pour la ville » (AFEV) ou « ATD Quart Monde » ou encore « Lire et faire lire », pour n’en citer que quelques-unes dont les réseaux sont très étendus. Au total, les bénévoles sont plus de 73 000 en France. Elle met d’ailleurs en balance ce chiffre avec les 36 300 agents territoriaux employés dans des bibliothèques.
Elle remarque également que les bénévoles ont des rôles différents selon les structures pour lesquelles ils œuvrent. Dans les réseaux des bibliothèques départementales de prêt, les bénévoles font de la gestion de bibliothèque (plus de 3 000 bénévoles sont directement responsables d’une bibliothèque), alors que les bénévoles associatifs font plutôt de la médiation et de la lecture hors les murs.
Pour poursuivre sur le sujet du bénévolat, Christophe Pavlidès a posé la question de la préparation des cadres à la cohabitation des bénévoles et des statutaires dans les bibliothèques.
Marie-Christine Pascal affirme qu’il y a une méconnaissance importante entre bénévoles des grandes associations et bibliothèques d’accueil. Elle se pose également la question de la formation, car, selon elle, les bénévoles vont au-devant de publics non pris en charge par les bibliothécaires, comme les publics empêchés. Elle propose également quelques pistes d’évolution des grandes associations de bénévoles : un plus grand maillage territorial, une meilleure connaissance des structures, plus de partenariat, plus de reconnaissance professionnelle (par le biais de défraiements), et enfin revisiter la charte des bibliothécaires.
Ce à quoi Anne-Marie Bertrand a rétorqué que les élèves conservateurs sont tous sensibilisés à la nécessité de faire coexister des métiers différents dans une bibliothèque. Elle poursuit non sans une pointe d’impertinence : « Les bibliothèques ont besoin de médiathécaires, de discothécaires, de vidéothécaires… bref, de machins-thécaires ! »
Dominique Arot souligne que l’Inspection générale des bibliothèques s’intéresse à la formation des professionnels et à leur recrutement, mais s’interroge sur le devenir des emplois en bibliothèque (évolution des catégories, etc.). À ce sujet, une enquête sur « Le devenir des emplois en bibliothèque » devrait être livrée fin 2012.
La bibliothèque est sans doute obligée de réinventer ses métiers. Dominique Arot fait ainsi allusion à un mémoire d’étudiant sur une expérimentation en cours à la Bibliothèque nationale de France, qui « grâce aux réseaux sociaux instaure une nouvelle relation aux usagers 1 ».
En France, le regard porté par les bibliothèques sur les bénévoles est frileux. Ceux-ci permettent pourtant de faire rentrer dans ses murs « une partie de son environnement social ». Dominique Arot indique enfin que les bibliothécaires ne doivent pas fonctionner comme certains enseignants, qui fixent des rendez-vous aux parents à 17 heures pour être sûrs que ces derniers ne pourront pas venir : il faut agir exactement à l’inverse.
Ainsi s’achevait ce débat, qui s’est avéré plutôt consensuel et qui a répondu de façon extrêmement mesurée à la provocation contenue dans l’intitulé de la rencontre. La conclusion pourrait être laissée à « la salle » qui s’interroge et suggère : « Ne serait-il pas temps de placer le lecteur au cœur du métier de bibliothécaire ? » •