Dix ans d'histoire culturelle
Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2011, 314 p., 23 cm
Collection « Papiers »
ISBN 978-2-910227-94-4 : 39 €
Une décennie après la création de l’Association pour le développement de l’histoire culturelle (ADHC), les Presses de l’Enssib publient un bel ouvrage rassemblant les textes des conférences et débats qui ont chaque année animé le congrès de l’association et qui pour la plupart ont déjà été publiés dans le Bulletin de ladite association. Ainsi rassemblés et présentés, ces textes ont valeur d’anthologie ou de florilège, voire de Reader, pour utiliser un terme anglo-saxon plus proche de l’idée mise en œuvre ici d’une sélection de textes représentatifs des interrogations et des objets de l’histoire culturelle francophone depuis le début du vingt et unième siècle.
Les trois cents pages de l’ouvrage illustrent le chemin parcouru par l’histoire culturelle dans le monde universitaire et au-delà : la décennie a été conquérante, mais a aussi vu un déplacement des questionnements (L. Vadelorge, p. 12), sans que les débats ne s’épuisent, loin de là. C’est d’ailleurs ce que tend à montrer le mouvement de l’ouvrage, structuré en quatre parties qui évoquent successivement des questions de définitions, de méthodes et d’objets, avant de présenter divers « regards » culturalistes et des transferts, pour terminer sur l’évocation de quelques débats fondamentaux.
Une anthologie
Comment définir l’histoire culturelle ? En la situant, d’abord. Elle est, exposait J.-F. Sirinelli en 2001, au croisement de deux champs historiographiques, l’histoire des représentations et l’histoire des productions de l’esprit. En la distinguant, ensuite, de disciplines voisines comme la médiologie (R. Debray), des études littéraires (P. Aron, D. Saint-Jacques), de l’histoire sociale (C. Chevandier), de l’histoire des médias (A.-C. Ambroise Rendu). Et en la mettant en œuvre par des études de cas qui montrent ce que signifie faire l’histoire des sensations (G. Vigarello), des couleurs (M. Pastoureau), ou encore du temps qu’il fait (A. Corbin). Apparaissent divers points de vue sur les frontières de la discipline – le « contre, tout contre » de l’histoire culturelle – qui rendent manifestes à la fois la plasticité des étiquettes et les convergences épistémologiques. Car l’historien est dans l’histoire (A. Farge, p. 106), et à ce titre le culturaliste n’échappe ni aux effets de modes ni aux évolutions des outils de l’histoire (depuis ses mots jusqu’à ses méthodes). C’est ce qu’illustre la présentation d’une multitude de positions (« regards ») et de rapprochements (« transferts ») qui ont caractérisé l’historiographie des années 2000. Parmi ceux-ci figurent les liens de l’histoire culturelle avec les colonial studies (E. Sibeud) et les cultural studies (E. Neveu), l’exportation italienne et allemande du concept de « lieux de mémoire » (É. François, M. Isnenghi) ou encore la question des échelles (L. Tournès) et notamment l’européanisation et la mondialisation de l’histoire (C. Charle, C. Maurel) : autant de nouveautés historiographiques qui dépassent le cadre de la seule histoire culturelle pour toucher l’ensemble de la discipline historique, et que l’ouvrage ne fait qu’aborder.
Plus essentiels semblent les débats qui clôturent l’ouvrage : ils permettent à la fois un retour sur les acquis de la décennie et l’esquisse du travail à mener, dans un dialogue avec notre époque, autour notamment de la problématique notion de « culture » et de ses non moins problématiques déclinaisons en « populaire », « élitiste », « de masse » ou encore « médiatique ». Le livre se clôt d’ailleurs sur une invitation à la collaboration avec les autres sciences humaines, comme la sociologie (L. Jeanpierre), et un appel en filigrane à poursuivre les déconstructions/reconstructions déjà engagées – en premier lieu celles des catégories et des hiérarchies.
Dix ans d’histoire culturelle fournit un panorama de qualité des problématiques abordées par l’histoire culturelle au cours de la décennie passée, dont le bilan devrait intéresser étudiants, enseignants et lecteurs désireux de connaître l’état des questionnements historiques. L’ouvrage fonctionnera peut-être aussi, comme l’appelle de ses vœux J.-Y. Mollier en conclusion, comme un « aiguillon pour la recherche future [sur] un continent encore vierge ». Rendez-vous est pris, pour dans dix ans.