Architectures des bibliothèques : les nouveaux territoires de la lecture

Yves Desrichard

S’il est une antienne bien connue de nos professions, c’est celle-ci : « A-t-on encore besoin de bâtiments de bibliothèque ? » Dans le cadre du dernier Salon du livre de Paris, du 16 au 19 mars 2012, le Service du livre et de la lecture (SLL) du ministère de la Culture et de la Communication avait choisi la meilleure des réponses. Non pas seulement : « Oui. » Mais aussi : « Regardez ! » Car l’exposition, hélas éphémère  1, présentée dans ce cadre et intitulée « Architectures des bibliothèques : les nouveaux territoires de la lecture » proposait d’explorer neuf projets récents, pour certains achevés, de bibliothèques publiques, de toutes tailles et de toutes situations, mais partageant une haute ambition, celle d’allier une réussite architecturale et un projet culturel et politique fort. En quelque sorte, et pour faire vite, fini le « geste architectural » signé d’un grand nom, qu’on inaugure juste avant les élections, pour l’abandonner en rase campagne avec des crédits de fonctionnement insuffisants. Et place à des équipements de long terme, pensés pour durer – fonctionnellement, mais aussi, mais surtout, intellectuellement, socialement.

Le concours particulier

Cela faisant, le SLL valorise certes les initiatives locales, mais on n’aurait garde d’oublier que, par le biais du concours particulier, techniquement géré par le ministère de l’Intérieur, mais piloté par le ministère de la Culture et les conseillers pour le livre et la lecture des directions régionales des affaires culturelles, ce sont des centaines de milliers de mètres carrés de bibliothèques qui ont été subventionnés depuis 1986. Et quel meilleur moyen de montrer ce discret travail qu’en mettant en lumière ce qu’il permet de construire ?

Aujourd’hui, si les bibliothèques continuent à travailler sur leur image, architecturale ou autre, c’est, dans un paradoxe qui n’est qu’apparent, d’une part pour « casser » une image parfois peu glorieuse (austérité, silence, immobilisme…), d’autre part pour valoriser services et collections souvent peu ou mal connus du public. Cela ne produit pas forcément, on l’a dit, des bâtiments spectaculaires, mais des bâtiments qui s’adaptent au mieux aux lieux, aux habitus des publics, aux volontés politiques (dans cet ordre ?). Ainsi, la magnifique médiathèque du Piémont Oloronais, signée Pascale Guédot, a reçu pour l’occasion la prestigieuse Équerre d’argent. Pourtant, le bâtiment, faussement engoncé dans une confluence, peut donner une apparence de rigueur extérieure, que contredisent la subtilité des circulations, intérieures comme extérieures, et la beauté limpide des agencements. De même, dans un tout autre genre, la médiathèque Marguerite Duras, signée Roland Castro et Sophie Denissof, s’intègre dans un ensemble qui inclut aussi un hôtel (plutôt chic et dispendieux reconnaissons-le), des logements et un parking public. Le tout sur un dénivelé important dont les architectes ont su faire un atout plus qu’une contrainte, dans un ensemble coloré de couleurs primaires qui met l’accent sur l’accueil.

L’exposition est divisée en trois parties, qui permettent de présenter, en plus des deux réalisations déjà évoquées, sept projets plus ou moins avancés et un autre bâtiment terminé. Dans la première partie, « Sphère de l’intime et ouverture au monde », les lieux privilégient, sinon les cloisonnements, du moins des appropriations distinctes selon les documents, les publics, les comportements. Dans la seconde, « L’inscription au sein du territoire », et comme l’intitulé l’indique, la bibliothèque s’assigne comme point nodal de flux qui la dépassent (gares par exemple) mais qu’elle invite et enrichit. Enfin, « L’essor des industries culturelles » privilégie la cohabitation entre produits et services matériels et immatériels… pour des publics qui restent, en tout cas dans le ressort des projets ici présentés, physiques…

Le souci décisif des communications et l’inscription au territoire

Il est difficile, et donc injuste, de taire ou de mettre en avant tel ou tel projet  2. Mais quelle meilleure illustration du souci décisif des communications, des circulations, que le projet de la médiathèque de Saint-Malo (AS.Architecture-Studio), au centre géographique de la ville, et sur l’axe historique qui relie la nouvelle gare – dans le prolongement de laquelle elle se situe – à la ville « close » (c’est ainsi qu’on appelle, à Saint-Malo, la ville intra-muros) et, au-delà, à la mer. Dans la même intention, la médiathèque du Grand Angoulême sera reliée à la gare par une passerelle, tandis qu’un jardin intérieur desservira les cinq « boîtes empilées, correspondant à cinq univers », qui sont au cœur du projet. La médiathèque ne se veut plus imposante, intimidante, secrète, préservée, elle s’offre aux flux « communs » du public, qui peuvent la traverser sans effort. Au risque de la dissolution ?

L’inscription au territoire, elle, est souvent porteuse de redoutables enjeux, certes stimulants, mais qui font porter sur la médiathèque d’imposantes attentes, quand il s’agit par exemple, comme pour la bibliothèque multimédia à vocation régionale de la communauté d’agglomération Caen la Mer (Rem Koolhaas et Clément Blanchet), de porter un quartier en rénovation, et de le relier à la « vieille » ville, même si, s’agissant de Caen, le terme semble impropre. L’ambition semble plus éclatante encore, car ô combien emblématique, dans le splendide projet de la médiathèque de Vitrolles (Jean-Pierre Lott), puisque, personne n’aura pu l’oublier, il s’agit de faire renaître tout à la fois la bibliothèque, symbole bien malgré elle de dérives extrémistes, et la ville, partie elle aussi à l’encan. Que, à Vitrolles, la bibliothèque soit proclamée comme « une nouvelle centralité à l’échelle de la commune » est une bien lourde tâche – mais si exaltante !

Enfin, le « troisième lieu » n’est pas oublié, comme représenté par la médiathèque de Thionville  3, projet déjà bien connu. Et il ne semble pas absent du « Pavillon Blanc », médiathèque et centre d’art de Colomiers, même s’il se décline dans d’autres avatars, au croisement de l’image et de l’écriture, avec la tenue annuelle d’un festival de bande dessinée. Au concept fait aussi écho la médiathèque de l’éco-quartier de la marine à Colombes qui (façon Bibliothèque publique d’information ?) a choisi de très nettement séparer les collections des usagers, placés dans des bulles. Cela faisant, on a décliné, presque sans s’en apercevoir, neuf riches projets, pour lesquels le dispositif scénographique (conçu par Matthieu Lebot et Freddy Bernard, Agence Metalobil) déploie les fastes numériques aujourd’hui à disposition des architectes et des designers : les reconstitutions numériques sont saisissantes de réalisme et, quand elles inscrivent la médiathèque dans un cadre réel, on n’est pas sûr de distinguer le vrai du faux.

Ces neuf bâtiments ont été choisis avec discernement et sont présentés avec pertinence. Ils offrent un ramassement d’une vitalité en matière de construction de bibliothèques publiques peut-être discrète hors les cercles professionnels, mais qui, à l’échelle d’un territoire, sait s’affirmer dans des ambitions renouvelées par le numérique, et où les inspirations issues de l’étranger sont acculturées sans complexe aux caractères et aux attentes des publics français. Puissent les années à venir conforter les choix affirmés, mais on fait de toute façon confiance aux professionnels, aux politiques, aux architectes et aux autres techniciens, pour trouver les moyens de leur adaptation aux tentations nouvelles et aux usages inédits. •

* Remerciements tous particuliers à René Phalippou et à Monique Pujol, du Service du livre et de la lecture, pour leur aide.