Les métiers de la documentation : état des lieux et perspectives d’emploi
Olivier Morand
En ouverture de l’année de ses vingt ans, l’Enssib co-organisait, le 19 janvier 2012, une journée d’études sur « les métiers de la documentation : état des lieux et perspectives d’emploi ». Dans cette aventure, elle était secondée par l’Association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS) et, pour la première fois, par la jeune Association des anciens élèves de l’Enssib (2A2E) dont c’était la première manifestation publique 1.
Mettant en perspective les évolutions récentes des métiers de bibliothécaire et de documentaliste, Georges Perrin 2 a exposé les très importantes mutations du métier de bibliothécaire depuis les années 1980 : de nombreux bâtiments ont été construits ou modernisés en peu d’années et l’informatisation a changé la face du métier. Le poids croissant des autorités locales (décentralisation, autonomie des universités) a aussi influé sur l’exercice de cette profession. À présent, la dématérialisation croissante de l’information réduit l’importance du catalogue et conduit à de nouvelles mutations dans les rapports du public à sa bibliothèque et à ceux qui y travaillent.
Les évolutions du métier de documentaliste ont été présentées par Hélène Piment 3. Apparu dans l’entre-deux-guerres 4, ce métier plutôt jeune revendique à la fois une certaine filiation avec celui de bibliothécaire, mais aussi une forme d’opposition, à la fois quant aux supports et quant aux missions. Les années 1980 ont aussi marqué un tournant avec l’automatisation et la tendance vers le « zéro papier », évolution dont la généralisation apparaît malgré tout, petit à petit, comme utopiste. Les profils changent aussi, avec ces dernières années une domination relative mais inédite du secteur public comme employeur des documentalistes. En 2005, l’enquête de l’ADBS 5 recense quatre profils de répondants : technicistes, animateurs, pédagogues et « classiques ».
L’enquête emplois/salaires organisée par l’ADBS en 2010, et à laquelle 2 820 personnes – dont 95 % effectivement en poste – ont répondu, a été présentée par Marie-Pascale Krumnow 6. Par certains côtés, le métier de documentaliste ressemble à bien d’autres : les plus diplômés sont aussi les mieux payés, mais, hélas, le salaire des hommes reste plus élevé que celui des femmes. Si le statut cadre est reconnu à 55 % des documentalistes interrogés, certains cadres n’ont aucune fonction d’encadrement, tandis que 11 % des non-cadres sont chargés de diriger du personnel.
Les documentalistes en poste sont souvent très polyvalents : les activités traditionnelles du métier restent les plus souvent citées, mais les postes intègrent souvent une activité de formation et de diffusion d’information sur un site internet ou un intranet. De nouvelles tâches apparaissent également, notamment la dématérialisation des courriers entrants et sortants. Ceux qui ont répondu à l’enquête sont en majorité satisfaits professionnellement, mais ils déplorent de manquer de perspectives d’évolution. Ils sont nombreux à regretter un manque de reconnaissance de leur métier, et à ne pas se sentir suivis dans leur recherche de vision stratégique de la fonction documentaire.
Liliane Miremont 7 a ensuite présenté les résultats d’une enquête, réalisée cette fois auprès des diplômés de masters de l’Enssib. Portant essentiellement sur quatre cohortes des deux masters « sciences de l’information et des bibliothèques » (SIB) et « cultures de l’écrit et de l’image » (CEI), elle a permis d’interroger 105 diplômés sur 170. Le taux d’insertion (regroupant emploi et poursuite d’études) va de 94 à 100 % selon les filières et les promotions, mais après quatre ans la quasi-totalité des diplômés a trouvé un emploi stable (fonctionnaire ou salarié en CDI). Le délai moyen d’obtention du premier emploi est de quatre mois après la réussite au diplôme. Entre 30 et 80 % des diplômés tentent les concours des bibliothèques. Les titulaires d’un master CEI travaillent pour une large majorité dans les bibliothèques publiques (majoritairement en catégorie A, mais aussi en B, voire en C). Inversement, ceux qui ont eu le master SIB travaillent à 70 % pour le privé, dans des structures extrêmement variées.
La table ronde de l’après-midi réunissait trois documentalistes professionnelles, Nathalie Sanlaville (réseau national des documentalistes hospitaliers), Pascale Bouton (région Rhône-Alpes) et Isabelle Sellier (Compagnie nationale du Rhône), ainsi qu’un consultant en ressources humaines, Jean-Marie Baur (Pearl Management Support). Dans un secteur spécifique comme le milieu hospitalier, avoir un réseau sur lequel s’appuyer aussi bien pour les outils que pour les conseils représente un atout important, qui permet aussi de défendre au mieux les intérêts des documentalistes d’hôpitaux, qui ont souvent un statut sous-évalué par rapport à leurs missions. Les présentations faites par Pascale Bouton et Isabelle Sellier de leurs services respectifs ont permis d’illustrer concrètement des éléments présentés le matin dans les enquêtes, comme le manque de visibilité des services de documentation. Sur ce point, Pascale Bouton a toutefois expliqué que l’installation des services de la région dans un nouveau bâtiment avait été l’occasion de créer un service documentaire unique, reconnu par les élus, et qui a acquis une plus large notoriété interne. Jean-Marie Baur a, de son côté, rappelé que, dans l’entreprise, les fonctions de documentation connaissaient un sort souvent commun aux autres fonctions support.
À l’issue de cette journée, la discussion portait sur ce qui différenciait le plus les deux métiers. Peut-être leur public, surtout externe pour les bibliothécaires, interne pour les documentalistes ; mais que dire alors du public dans une bibliothèque universitaire ? Il serait intéressant d’avoir le point de vue d’une troisième profession proche, celle des archivistes. •