Fight Club

Yves Desrichard

Plaçons d’emblée le présent numéro sous le triple patronage de Pierre Dac, d’Arthur Schopenhauer et d’Edgar Faure, trois grands philosophes – à des titres divers, je vous l’accorde. Puisqu’il s’agit ici de débattre sur des sujets que le comité de rédaction, que je salue, qualifierait de « structurants », de ces marronniers qui agitent, de temps à autre, la profession, mais des marronniers qui sont de vrais débats, de vraies préoccupations, et qui, dans les bons moments, dressent les collègues les uns contre les autres.

Au premier cité, Pierre Dac, nous emprunterons la devise la plus définitive de tous les temps : « Pour tout ce qui est contre, contre tout ce qui pour », et inversement, poil… (les admirateurs de Pierre Dac sauront de quoi je parle). Car, quel que soit le sujet abordé, il peut creuser, cliver, fâcher – définitivement parfois : tout doit-il être gratuit en bibliothèque ? Les collections sont-elles encore notre légitimité, ou celle-ci se trouve-­t‑elle désormais dans les services ? Le numérique, avenir ou malédiction des bibliothèques ? Et même, faut-il encore, ou non, des bibliothèques ? Sans oublier bien sûr Google, qui manquerait à un bon débat comme, disons, un paris-brest (et pourquoi pas ?) à un bon repas.

Mais prenez-y garde. Nous avons décidé, pour cela faire, de réhabiliter un art ancien, la disputatio. Autrement dit, chaque contributeur et contributrice a accepté, sur le sujet abordé, d’être tout pour, ou tout contre. Il était même autorisé, voire recommandé, de saboter la pensée du futur adversaire. C’est ce que Schopenhauer recommande dans ce chef-d’œuvre éternel et toujours largement utilisé, L’art d’avoir toujours raison, stratagème XIII : « Faire rejeter l’antithèse  1 . »

La vérité oblige à dire, mais aussi à cacher, que certains se sont prêtés à l’exercice avec enthousiasme ; d’autres, moins (qu’ils soient tous remerciés). Il est vrai que, en une époque où le consensus semble une ligne de vie, l’art de la polémique se perd, tout comme la mauvaise foi – c’est pourtant si drôle, parfois.

Face à ceux qui préfèrent livrer à leurs lecteurs, spectateurs, auditeurs, téléspectateurs – je n’épuise pas les figures – un clair-obscur commode, le Bulletin des bibliothèques de France choisit, comme toujours, de faire confiance à la sagacité de ses lecteurs, pour trouver dans l’entrelacs des textes la vérité ou, plutôt, leur vérité.

Filant le paradoxe, ce numéro épousera, lui, la forme classique de la dissertation : thèses, antithèses, synthèse. Pour s’apercevoir au final que « L’art d’avoir toujours raison » (un dernier pour la route, stratagème XII : « Choisir des métaphores favorables ») est chose bien dangereuse puisque, comme le disait Edgar Faure, « avoir toujours raison, c’est un grand tort ». Ce qui, je vous l’accorde encore, peut aussi prêter à controverses.

Ce numéro est largement illustré grâce à l’obligeance du Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture et de la Communication, que nous remercions.