Manuel de la numérisation
Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2011, 317 p., 24 cm
ISBN 978-2-7654-0983-0 : 40 €
Cet ouvrage constitue une remarquable synthèse, bien écrite, bien structurée, apportant l’essentiel des réponses à toute personne souhaitant entamer un projet de numérisation. Il permet de faire un point sur ce en quoi consiste la politique de numérisation en France, en particulier dans le domaine du patrimoine écrit. Mais il va bien au-delà ; en effet, il s’agit avant toute chose d’un manuel technique qui détaille avec une grande précision les étapes d’un projet de numérisation, l’ensemble des caractéristiques techniques des données numériques à produire ainsi que la question des métadonnées et de leur interopérabilité.
La politique de numérisation en France
Thierry Claerr expose avec une rare finesse les choix faits par l’État depuis le démarrage du plan national de numérisation ; ces derniers ont permis de structurer une politique nationale claire et bien définie. La numérisation des biens culturels, et en particulier du patrimoine écrit et graphique, est devenue l’une des priorités du ministère de la Culture et de la Communication. Depuis plus de quatorze ans, le plan national accompagne la numérisation du patrimoine culturel, et cela débouche sur la constitution de collections numériques de grande ampleur auxquelles il a fallu donner une organisation d’ensemble. En effet, ce plan a conduit les ministères, les établissements publics, les collectivités mais également des associations à engager des opérations de numérisation, l’objectif premier était la communication au plus grand nombre de ce patrimoine numérisé.
La Bibliothèque nationale de France dans le domaine du livre a été chargée de développer une bibliothèque numérique de grande ampleur, Gallica.
En réponse à Google et à son projet de bibliothèque numérique mondiale, les opérations de numérisation en France conduites par le ministère et ses opérateurs se sont accélérées. À une première phase de numérisation des pièces les plus emblématiques du patrimoine national et local, a succédé la phase de numérisation de masse de corpus entiers afin d’atteindre une taille critique.
Cette accélération a nécessité la mise en œuvre de moyens financiers et organisationnels conséquents. La BnF a ainsi été chargée de constituer une bibliothèque numérique nationale, portail d’entrée vers les collections numérisées dispersées sur le territoire. Et Gallica a changé de dimension après 2005 pour devenir le portail qu’il est actuellement. Les pôles associés de la BnF ont permis de numériser des collections patrimoniales en région et ils prennent désormais une dimension régionale, la numérisation devenant l’objectif principal des nouvelles conventions de coopération signées.
La fin des années 2000 a vu une nouvelle accélération des opérations de numérisation encouragée à la fois par l’État et par l’Union européenne. Gallica est ainsi devenu le principal contributeur du portail européen de la numérisation, Europeana.
Les années 2010 et 2011 voient un investissement tout particulier de l’État dans le domaine de la numérisation patrimoniale au travers des enveloppes affectées aux emprunts d’avenir, la BnF étant là chargée de piloter l’ensemble des programmes de numérisation.
La France mène donc une politique affirmée, structurée, dans ce domaine, reposant sur des acteurs indiscutables. Et l’Europe souhaite que ces chantiers ouverts s’accélèrent encore.
Comment conduire un projet de numérisation ?
Le Manuel expose les grandes étapes d’un projet de numérisation et insiste également sur les aspects et les contraintes juridiques et techniques qu’implique une opération de numérisation. Mener à bien un tel projet repose sur les étapes suivantes :
- la connaissance préalable du contexte de la numérisation ainsi que les sources de financement possibles ;
- le choix d’un corpus précis à numériser ;
- les contraintes juridiques liées au corpus choisi (s’il est libre de droits ou non) ;
- les éléments techniques liés au projet : choix du format des images pour la communication et pour la conservation, choix de la définition et du taux de compression des images, choix du nommage des fichiers produits, choix ou non du recours à l’océrisation, les coûts des choix techniques effectués ;
- les choix techniques préalables faits pour la diffusion et le stockage des images (externalisation ou non, choix des logiciels de publication) qui détermineront la manière de rédiger le cahier des charges ;
- la rédaction du cahier des charges, le choix de la procédure de marché public, celui du prestataire dans le cas d’une opération externalisée ;
- le choix du matériel de numérisation dans le cas d’une opération réalisée en interne ;
- la question de l’assurance des documents à numériser, de leur transport et des manipulations dont ils peuvent faire l’objet ;
- le calendrier des opérations de numérisation proprement dites ;
- la mise en œuvre du contrôle-qualité tout au long de la production des données numériques ;
- la production des métadonnées nécessaires à la publication des données numériques produites ;
- la publication des images.
Le Manuel revient longuement sur la question des formats et des normes, qui est cruciale. Il rappelle également la différence essentielle existant entre la construction d’un système de stockage des données numérisées et la mise en œuvre d’un système de conservation des données numérisées ; l’exemple du système SPAR 1 de la BnF s’appuyant sur la norme OAIS 2 en est la plus parfaite illustration.
Les métadonnées et les formats d’échange : vers une numérisation « durable » ?
Le Manuel se clôt sur un chapitre rédigé par Emmanuel Bermès de très grande qualité. Il porte sur la gestion des collections numériques. Celle-ci est d’une réelle complexité car elle implique de repenser la culture professionnelle. Les métadonnées, les identifiants pérennes des données produites, ne font pas systématiquement partie du bagage des professionnels des bibliothèques. La formation doit donc être revue en ce sens. Et la gestion de la collection numérique constitue finalement une nouvelle branche du métier en cours de construction, pour laquelle les outils techniques existants sont parfois insuffisants. De ce point de vue, l’adhésion des professionnels à cette nouvelle discipline n’est pas encore clairement acquise.
L’éparpillement dont souffre encore la numérisation patrimoniale est également une difficulté. L’objectif est donc de donner davantage de cohérence aux politiques conduites et de mieux équilibrer les usages réels et l’offre de numérisation.