Images et bibliothèques
Paris, Éd. du Cercle de la librairie, 2011, 240 p., 24 cm
Collection « Bibliothèques »
ISBN 978-2-7654-1001-0 : 42 €
La précédente édition d’Images et bibliothèques s’appelait Images en bibliothèques 1, et traitait à la fois de « l’image fixe » – de l’image – et de « l’image animée » – du cinéma, de la télévision, de la vidéo. Outre, bien évidemment, que cet ouvrage où le terme « numérique » était à peine mentionné était, pour une large part de ses contenus, obsolète, Michel Melot, qu’on ne présente plus, rappelle dans son introduction qu’il n’y aurait, désormais, plus grand sens à faire cohabiter dans un même ouvrage deux ensembles aussi différents, et qui ne sont pas réductibles l’un à l’autre, puisque, « l’image fixe n’a… pas disparu avec cet immense progrès que constituait l’animation qui semble lui donner vie » et que, « à l’inverse de l’image animée qui a partie liée au temps et à la parole, l’image fixe a conservé deux vertus essentielles : l’immobilité et le silence ». Cette dichotomie s’exerce dans une antinomie fondamentale, celle « qui existe entre les arts liés au langage, qui se déroulent dans le temps, et les arts plastiques, qui se déroulent dans l’espace ».
Quelques ontologies
Dans une préface qui, comme souvent avec Michel Melot, offre en dix pages denses et brillantes autant de matière que dans plusieurs ouvrages, l’auteur rappelle quelques ontologies sur le sujet, n’hésitant pas en frontispice à marquer que « l’image pose problème aux bibliothèques » qui, étymologiquement mais aussi fonctionnellement, sont « faites pour les livres » et souhaitent dans tous les cas y revenir : dans la partie consacrée aux usages, le même Michel Melot soulignera justement que, dans les années 70, si on consentit à favoriser la diffusion des images, « beaucoup de bibliothécaires considéraient que l’image… [n’avait sa] place en bibliothèque que pour accéder au livre ».
Et pourtant, « l’écriture – sans laquelle il n’y a pas le livre – visuelle, est une sorte d’image » et « les deux domaines, l’écrit et l’image, ne sont donc pas étanches l’un à l’autre ». Mais « l’imprimerie de Gutenberg a consommé, en Occident, la rupture entre l’écrit et l’image » – l’auteur, qui le suggère, aurait pu justement noter que, par exemple en Chine, cette rupture est d’évidence beaucoup moins nette, ou l’a été.
« Les caractères mobiles étaient le triomphe de l’écrit. La numérisation est le triomphe de l’image. » Avec cette formule choc, et après beaucoup (mais mieux), Michel Melot considère que la « révolution numérique » est à l’aune, à l’égal, de l’invention suscitée. On lui fera mérite, contrairement à beaucoup d’autres, d’une part de l’argumenter longuement dans le reste de son introduction, d’autre part de ne pas se laisser circonvenir, dans le reste de l’ouvrage, par cette « rupture » en en faisant une tabula rasa du passé matériel en matière d’images – bien au contraire.
Les images étaient déjà largement présentes avant leur numérisation. Elles sont désormais « partout ». Et, surtout, on peut désormais les trouver, leur numérisation et les moteurs de recherche permettant d’y accéder avec un confort et une facilité qui, a contrario, font déserter les établissements qui ne proposent pas l’accès numérisé à leurs collections, ou à une part significative de leurs collections. « Il ne faut pas s’en priver [de la numérisation et de la diffusion des images sur internet] et il est nécessaire de prévoir cette fonction dans l’accès aux bibliothèques numériques. » D’autant plus que, même si Michel Melot ne le précise pas, la société G. ne semble pas avoir encore décidé de proposer l’accès à toutes les images du monde et que, même très importants, les fonds privés (Corbis Images, Getty Images) ne sont pas – pas encore – hégémoniques.
De plus, les images sont un support idéal pour favoriser les échanges et les collaborations entre les bibliothèques et d’autres équipements culturels qui, eux aussi, conservent, gèrent et diffusent d’importantes collections d’images, comme les musées ou les archives, mais aussi les centres de documentation, avec lesquels « la distinction… est… de plus en plus poreuse ». Quelles que soient les réticences ou les préventions, ces rapprochements sont d’autant plus vitaux que « la quantité des fonds en péril est telle que la question d’une attribution est souvent secondaire au regard de l’urgence », et qu’« une politique de coopération et de réseaux est indispensable au traitement des fonds d’images ». Ce pourquoi d’ailleurs l’ouvrage fait une large place à des préoccupations archivistiques ou muséales – ou plutôt montre que les préoccupations, en matière d’images, sont les mêmes quel que soit le type d’établissement de conservation concerné.
On l’a compris aux nombreux verbatims, l’introduction de Michel Melot, si elle ne replace pas chacune des dix parties de l’ouvrage dans un contexte cohérent, rappelle quelques présupposés indispensables à leur compréhension (et parfois nous les apprend, il n’y a aucune honte à l’avouer), et insère cet ensemble solide et parfaitement documenté dans une succession si parfaitement justifiée qu’elle n’implique pas toujours, sans mettre en cause la qualité des contributions, qu’on s’attarde sur chacune d’entre elles.
La question des usages et des comportements
On saura cependant gré aux coordinateurs d’aborder en premier lieu la question des usages et des comportements des usagers qui, de fait, et pour ces collections comme pour toutes les autres, devrait être l’alpha de la réflexion. On l’a souligné plus haut, les images, d’abord présentes dans les livres, ont eu bien du mal, en bibliothèque, puis en médiathèque, à conquérir leur indépendance ou, plutôt, à affirmer leurs spécificités. Mais l’« unimédia », c’est-à-dire la possibilité, sur un même écran, de consulter tous les types de documents, textes, films, et aussi images, « modifie profondément leurs [des images] usages », même si elle ne dispense pas d’une description (textuelle) précise des images et de leurs contenus, rendue en fait plus cruciale encore de ce que « la reproduction numérique ignore les données de l’original » – quand le document n’est pas nativement numérique bien entendu. On regrettera avec les auteurs, Caroline Rives et… Michel Melot, que, depuis la fondamentale contribution de Jean-Claude Passeron en 1981, L’œil à la page 2, peu d’études aient été complètement ou partiellement consacrées aux utilisateurs d’images, sur place ou à distance, dans les bibliothèques.
Les deux coordinateurs s’octroient le chapitre consacré à la présentation de l’histoire des supports et des techniques de l’image. On s’était promis de ne pas le faire, compréhensif des contraintes propres à l’édition d’ouvrages professionnels, mais l’absence d’illustrations est, dans cette partie, plutôt gênante, qui traduit en fait un élément qu’on regrette, parfois, de ne pas voir plus souligné dans l’ouvrage, celui des coûts, souvent très lourds, liés à l’utilisation d’images dans des contextes publics, coûts qui sont liés désormais non pas aux contraintes techniques (presque disparues) d’obtention de reproductions, mais, on l’aura compris, aux droits et ayants droit attachés à chaque image.
On leur saura gré cependant d’avoir reproduit (après autorisation ?) les typologies d’images extraites de la norme Afnor Z 44-077 sur la description des images fixes, pure poésie qu’on verrait bien tournée en happening sonore – ou en rap ?
La place manque hélas pour développer plus avant la présentation des autres parties sur les modes de constitution des collections d’estampes et de photographies, les modes de conservation, de traitement documentaire, de numérisation (le chapitre est particulièrement détaillé) des images, ainsi que celle, déjà évoquée, consacrée au « droit et l’image » et celle sur la valorisation, qui combine apports théoriques et retours d’expérience.
Never say never
On pourra juste s’étonner de ce que « l’offre numérique » et « les grandes collections d’estampes et de photographies en France » fassent l’objet de chapitres séparés, là où l’évidence de la construction autant que la conviction des coordinateurs et du préfacier montrent que, si le numérique est, pour l’image, l’occasion d’un « grand bond en avant », il faut espérer que celui-ci, contrairement à son prédécesseur, ne se bâtira pas sur l’éradication plus ou moins systématique des acquis du passé.
En témoigne et pour conclure la dernière phrase de la contribution de Dominique Maillet sur la « numérisation d’un fonds d’images fixes », qui indique que « certaines institutions… après un passage au stockage informatique de leurs données numériques, reviennent au stockage classique argentique, moins coûteux ». Subtile ironie ou scrupule involontaire, « l’affaire » laisse songeur, qui oblige à écrire, comme le soulignait James Bond, qu’il ne faut never say never et que, comme le souligne Michel Melot, « les bibliothèques gardent pour elles les portes de l’intemporel ».