Journée professionnelle « Revues en bibliothèques »
Antoine Prunier
À l’initiative de l’association « Bibliothèques en Seine Saint-Denis 1 » et en partenariat avec l’association Ent’revues 2, s’est tenue le 24 novembre 2011, à la médiathèque Marguerite Duras à Paris, une journée professionnelle intitulée « Revues en bibliothèques ». Les intervenants, bibliothécaires et membres de revues, ont cherché à définir la place de ces « objets » en bibliothèque. Question pertinente, car si des revues sont effectivement présentes au sein des collections des bibliothèques, leur rôle est plus que problématique. Confrontées à ces objets collectifs, multiples et mouvants, les bibliothèques peinent à leur assigner une place adaptée à leurs contenus variés, et aux usages multiples qu’ils permettent. La tentation est forte de les ranger sous l’étiquette « périodiques », ou « abonnements », et de les empiler entre deux magazines, d’y penser une fois par an, lorsqu’on renouvelle ou non l’abonnement, et de s’en désintéresser le reste du temps.
Un exercice de définition
Inaugurant la journée, Jean-Baptiste Para s’est livré à un exercice de définition de la revue qui, traçant le parallèle entre « revue » et « bibliothèque », ancrait les qualités de la première au sein des missions de la seconde. Rappelant tout d’abord l’importance des revues au sein des grands mouvements artistiques, culturels et politiques du XXe siècle, le rédacteur en chef de la revue Europe a situé la force des revues dans ce rapport au temps et à l’histoire. La revue, dixit Para, est en avance et fait trace vers le passé. Elle s’inscrit dans les luttes de son temps avec plus d’actualité que n’importe quel autre document, et subsiste pour en porter le témoignage.
De là s’ensuit qu’elle est, selon le mot de Caroline Hoctan, une « tête chercheuse ». À cela s’ajoute son aspect collectif : rares sont les revues qui procèdent d’un seul auteur. Elles se font donc les reflets de la diversité des discours, de la « biodiversité intellectuelle » d’une époque. Diversité, actualité, modernité, ajoutons encore : spécificité. Dans bien des cas, sur un sujet spécifique, il n’existe qu’une revue, mais dont le travail égale ou surpasse certaines monographies. L’exemple du travail des Cahiers critiques de poésie, présenté par Emmanuel Ponsard, est éloquent : leurs bibliographies sur certains auteurs sont inégalées. On voit par là que les revues trouvent aussi leur valeur auprès des bibliothécaires comme outils professionnels. Et puis, et pour certaines, où les trouver, sinon en bibliothèque ? Les lieux où les revues sont, ne serait-ce que visibles, sont très rares. Encore que, de ce point de vue, internet change quelque peu la donne.
À la question « pourquoi prolonger Cassandre sur internet ? », Samuel Wahl répond : « À cause de Facebook. » En effet, la majorité des revues se dotent d’un site web afin d’accroître leur visibilité dans l’espace public. Pourtant, l’exemple de quelques titres particuliers prouve qu’on peut dépasser la simple vitrine, et faire des revues un objet d’un genre nouveau : si la plasticité et l’actualité sont les points forts d’une revue, que dire alors d’un site web ? Pour ce qui est de l’encyclopédisme et de la diversité des sujets abordés, comment ne pas penser aux outils qu’offre internet ? Une revue comme Africultures 3, spécialisée dans la culture africaine francophone contemporaine, trouve là des outils de rayonnement vers le public susceptible d’être intéressé par les domaines qu’elle couvre, mais aussi irrigue un réseau d’acteurs déjà mobilisés (agendas, newsletter, etc.). Par le biais d’une multitude de sites web spécialisés, Africultures joue le rôle d’un « entonnoir », selon le mot d’Olivier Barlet. Dans le même ordre d’idées, Cassandre Hors-Champs 4 prolonge les débats qu’elle suscite par le biais de son blog et permet à la controverse de se développer en aval de la revue. Rien que de très courant toutefois. Qui n’a pas aujourd’hui son site web doté de multiples fonctionnalités ?
Un palier est franchi avec une revue comme D’ici là, entièrement numérique, dirigée par Pierre Ménard 5. L’enjeu est ici de se saisir, en écrivain, des possibilités offertes par les nouveaux outils et de les exploiter à plein dans la création littéraire. On tente, dans la tradition des revues de création littéraire, d’inventer du nouveau texte – liens, photos, vidéos, sons et mises à jour régulières à l’appui.
Des actions de valorisation en bibliothèque
Pourtant, on ne peut pas parler de positionnement esthétique clair, comme le fait remarquer Pascal Boulanger. L’époque n’offre pas, comme par le passé, de clivages évidents entre tenants du lyrisme ou de la modernité formelle. Les revues ne se font pas les championnes d’une école, d’une chapelle. Une telle remarque ne vaut évidemment que pour les revues de création, et ne s’applique pas à des revues militantes comme Vacarme ou Cassandre, qui nourrissent des polémiques qui n’ont rien à envier à leurs aînées : témoin le récent débat entre Cassandre et la défunte Revue internationale des livres et des idées. Sylvain Wahl insiste toutefois sur l’importance, pour ces échanges, d’avoir lieu « dans la vraie vie » et dans l’espace public, et pas uniquement sur internet. Les formes des revues évoluent, et ces évolutions sont autant de points d’accroche pour des actions de valorisation en bibliothèque.
Quelques idées ont été avancées tout au long de la journée pour aménager une place aux revues en bibliothèque : cesser de les cantonner aux espaces périodiques, où elles souffrent de la comparaison avec la presse plus périssable, les intégrer au contraire aux fonds documentaires dont elles sont proches ou les en rapprocher, leur donner une place dans les bibliographies ou sur les présentoirs. Autant d’idées simples et pourtant peu mises en pratique.
La collaboration avec les équipes de revues est facile à envisager également : une revue peut être accueillie en résidence dans un établissement et participer à la vie culturelle du lieu. Elle peut être choisie comme conseiller artistique d’une manifestation 6. Plus simplement, elle peut être mise en avant dans sa spécificité artistique au cours d’une rencontre, comme le prouve l’exemple de la revue Fusées, revue d’art et objet artistique à part entière, dont les auteurs ont été invités à lire leurs textes dans une exposition d’œuvres d’art également publiées par la revue.
Dans le cas d’une revue numérique comme D’ici là, la valorisation est moins évidente et pose la question plus vaste des ressources numériques en bibliothèque publique, par laquelle s’est conclue cette journée, dans un temps trop limité. On regrettera peut-être que la question de la formation et de la sensibilisation des professionnels aux revues n’ait été que brièvement évoquée, question dont l’importance est pourtant manifeste si l’on veut bien admettre pour conclure que, si les revues sont présentes en bibliothèque, il appartient aux bibliothécaires de leur accorder une vraie place. •