Faire plus avec moins

Journée d’étude à la bibliothèque municipale de Dijon

Brigitte Lévêque

Pascal Schmitt

Les bibliothèques ont à faire face à des exigences de développement de leur activité : plus de supports différents, plus d’inscrits, plus de services, plus d’heures d’ouverture… Autant ces objectifs semblent justifiés – sauf à concevoir la bibliothèque comme une entité isolée de son environnement technique, culturel et social –, autant ils semblent impossibles à atteindre dans un contexte contraint. La journée d’étude organisée par le groupe Bourgogne de l’ABF, en partenariat avec Bibliest  1, lundi 21 novembre 2011 à la bibliothèque municipale de Dijon, avait pour but d’apporter des outils théoriques, mais aussi des témoignages concrets de changements dans un contexte de rationalisation et de restructuration budgétaire.

Améliorer la connaissance des publics et construire un dialogue élus/bibliothécaires, pour proposer aux élus un projet qui soit un vrai choix, sont les préconisations de Vincent Doulain, consultant et formateur, en s’inspirant de l’analyse de Claude Poissenot et en utilisant les outils de la démarche du marketing culturel. La connaissance du public résulte de l’analyse des données du SIGB rapportées aux statistiques de l’Insee (âge, niveau d’étude…) et complétées par des comptages, des questionnaires à proposer aux personnes qui assistent aux activités de la bibliothèque. Il s’agit de réaliser un état des lieux et d’adapter l’offre de services. Le dialogue élus/bibliothécaires se construit en s’interrogeant sur les missions, en utilisant les ressources apportées par les élus – documents d’urbanisme qui déterminent un projet de territoire, orientations de la mandature et publics cibles –, en présentant aux élus un projet qui soit un vrai choix avec des répercussions sur la qualité de vie, la cohésion sociale, le niveau de formation et l’attractivité territoriale. Cette démarche conduit, avec l’adhésion de toute l’équipe, à « changer de paradigme » pour la bibliothèque et à considérer, comme le dit Daniel Le Goff, que « notre métier, c’est les gens ».

Fermer une bibliothèque peut-il faire évoluer positivement un réseau municipal ? La question était posée par Cécile Thierry, directrice adjointe des bibliothèques de Saint-Brieuc  2. Y a-t-il de bonnes raisons pour fermer une bibliothèque ? Après une enquête auprès de quinze directeurs de bibliothèque, on peut citer de bonnes raisons : fréquentation insuffisante, bâtiment vétuste, peu visible ou trop petit, bibliothèque onéreuse par rapport au service rendu à la population, proximité avec une autre bibliothèque, évolution du quartier… et deux « mauvaises » raisons : restrictions budgétaires, réduction d’effectifs. Une fermeture doit être accompagnée d’un vrai projet de lecture publique pour le réseau qui propose des services en compensation : navette documentaire, enrichissement de la surface et de l’offre documentaire d’autres bibliothèques du réseau, ouverture d’une nouvelle bibliothèque, médiation. Les exemples récents des villes de Rennes et d’Angers montrent l’importance d’une communication très en amont et de l’inscription dans un projet explicite.

Jean-Jacques Dazy, directeur de l’action culturelle à Saint-Vallier (Saône-et-Loire) 3 a partagé son expérience des relations avec les élus. Certains d’entre eux ont du mal à identifier la lecture publique dans la sphère culturelle, voire à définir une politique culturelle. Les collectivités locales évaluent principalement leur action avec des données quantitatives : audit, études, bilans financiers… L’activité d’une bibliothèque se mesure en grande partie sur le plan qualitatif. Pour autant, c’est au bibliothécaire d’accompagner les élus dans leurs choix, par exemple en matière de nouvelles technologies, de mutualisation des actions, ou d’évolutions dans l’offre de service. Mais une évolution est-elle possible sans moyens ? J.-J. Dazy voit trois scénarios possibles pour répondre à la question : ne rien faire, affirmer que la bibliothèque est une priorité, s’interroger réellement et réorganiser les services culturels en n’ayant pas peur de tout changer, en se mobilisant et en se motivant, en ayant une démarche de communication.

Tony Di Mascio, bibliothécaire jeunesse à la médiathèque de Bagneux et formateur, a abordé la question en préconisant de remodéliser nos pratiques pour s’adapter aux changements de la société. Il a donné plusieurs pistes de réflexion concernant les publics, les collections et les services. En ce qui concerne les publics, aller chercher les gens qui ne viennent pas en bibliothèque malgré les efforts consentis relève de l’idéologie, comme de croire que nous avons la même culture du service que les pays du Nord. Certaines personnes utilisent le lieu bibliothèque mais ne s’intéressent pas aux collections, d’autres ne se reconnaissent pas dans les modalités mises en place (ils n’empruntent pas de livres par peur de les abîmer). Le principe d’encyclopédisme ne s’applique plus aux collections depuis l’arrivée d’internet. La structuration de nos espaces est-elle toujours d’actualité ? Est-ce vraiment le rôle du bibliothécaire de faire des animations qui n’attirent que les gens convaincus et qui sont passées d’un moyen de médiatiser les collections à une fin ? Ne doit-il pas plutôt rendre un service qui corresponde à un besoin réel, comme proposer un catalogue sur le modèle de Culture Wok  4, introduire des points d’accès wi-fi dans les salles d’usuels ?

Il faut faire plus avec moins de moyens en fonction des projets ou faire mieux avec juste ce qu’il faut, mais il est difficile de passer de l’ancien au nouveau modèle. Au-delà du titre volontairement provocateur de la journée, les interventions ont toutes mis en lumière la nécessité de revoir le modèle de la bibliothèque publique au sein de la société. La réflexion sur les publics et leurs attentes doit conduire le bibliothécaire à définir avec son équipe de nouvelles priorités d’actions. Ce travail préalable doit être la base du dialogue avec les élus, en attente d’éléments qui fondent leurs choix politiques. •