Le réseau de lecture publique du Pays Morcenais

Comme les grands et meme un peu plus…

Jérôme Baylac-Domengetroy

Le réseau de lecture publique de la communauté de communes du Pays Morcenais est un réseau de bibliothèques situé en milieu rural. Intervenant sur un territoire étendu doté d’une faible densité de population, il a fait de ses contraintes locales la source d’une réflexion permanente sur l’adaptation de ses services. Sa polyvalence, adaptée à un fonctionnement de proximité indispensable aux petites structures, est un choix politique fort. La lecture publique devient ainsi un outil de médiation sociale et culturelle qui, s’éloignant du simple cadre de la promotion du livre et de la lecture, pose la question du rôle spécifique d’une bibliothèque dans la politique culturelle des petites collectivités territoriales.

The reading promotion network run jointly by a number of municipalities in and around Morcenx in south-western France is a grouping of rural libraries. The libraries cover a large, sparsely inhabited area: the librarians have chosen to see this not as a handicap but rather as an opportunity to constantly adapt services to local needs. The network’s flexibility, suited to a system geared towards local needs, as such small structures must be, is a potent political choice, making reading promotion a tool for social and cultural outreach which goes beyond the basic remit of promoting books and reading to explore the specific role of libraries in the cultural policies of small, rural local authorities.

Der Verbund öffentlicher Bibliotheken des Gemeindeverbands des Pays Morcenais ist ein Verbund von Bibliotheken, der sich in ländlichem Raum befindet. Er hat aus seinen räumlichen Belastungen die Quelle einer dauerhaften Reflexion über die Anpassung seiner Dienste gemacht, indem er auf weitläufigem Gebiet, das eine niedrige Bevölkerungsdichte aufweist, interveniert. Seine Vielseitigkeit, angepasst an ein wohnortnahes, für kleine Strukturen unerlässliches, Funktionieren, ist eine bedeutende politische Wahl. Das öffentliche Bibliothekswesen wird so zum Hilfsmittel der sozialen und kulturellen Mediation, welches, indem es sich vom einfachen Rahmen der Buch- und Leseförderung entfernt, die Frage nach der spezifischen Rolle einer Bibliothek in der Kulturpolitik der kleinen Gebietskörperschaften stellt.

La red de lectura pública de la comunidad de comunas del País Morcenés es una red de bibliotecas situada en medio rural. Interviniendo en un territorio extendido dotado de una débil intensidad de población, ha hecho de sus límites locales la fuente de una reflexión permanente sobre la adaptación de sus servicios. Su polivalencia, adaptada a un funcionamiento de proximidad indispensable a las pequeñas estructuras, es una opción política fuerte. La lectura pública se vuelve de esta manera una herramienta de mediación social y cultural que, alejándose del simple marco de la promoción del libro y de la lectura, plantea la cuestión del papel especifico de una biblioteca en la política cultural de las pequeñas colectividades territoriales.

Le dernier recensement  1 montre qu’un français sur deux vit dans une commune de moins de 10 000 habitants et serait donc, si l’on en croit Bertrand Calenge  2, potentiellement concerné par l’action d’une « petite bibliothèque publique ».

Certes, il faut bien admettre que ce constat est le résultat d’un raccourci audacieux sur l’évaluation de l’action réelle des bibliothèques, mais il pointe l’importance et le rôle qu’ont à jouer les petites structures dans l’évolution de la lecture publique au sein de nos territoires.

Les bibliothèques urbaines, colosses de la lecture publique, sont fréquemment sous les feux des projecteurs : architectures aussi superbes qu’audacieuses, services modernes et innovants, toujours à la pointe de la révolution numérique, elles sont les vitrines de l’action des bibliothèques. Mais, au-dessous de ces figures tutélaires, il existe une foule de petits établissements, implantés dans des communes périurbaines ou en milieu rural, qui observent les évolutions de ces mastodontes et se posent une question simple : pourquoi pas nous ? Alors oui, une bibliothèque de 6 000 m² est bien plus grande qu’une bibliothèque de 800 m², possède plus de documents, de personnel, de budget et d’usagers. Pourtant, les services proposés sont-ils si différents ? Les objectifs et les outils mis en œuvre sont-ils caractéristiques ? Existe-t-il une spécificité des « petites bibliothèques publiques », qui en font un monde à part, un monde vieillot, en retard ou sans moyens ?

Les enjeux des petites structures ne sont pas différents de ceux des bibliothèques plus importantes, mais celles-ci sont confrontées à un positionnement culturel et social particulier sur leur territoire. Le réseau de lecture publique de la communauté de communes du Pays Morcenais  3 se confronte à ces problématiques depuis dix ans, avec la même ambition et les mêmes objectifs que les établissements de centres urbains plus conséquents. Situé en milieu rural, hors du champ d’influence des métropoles départementales ou régionales, sans spécificité économique ou démographique, il a fait des contraintes locales la source d’une réflexion permanente sur l’adaptation de ses services.

Tout d’abord, le projet morcenais est le fruit d’une volonté politique, d’une réflexion associant les différents acteurs du territoire. La mutualisation des moyens mis à disposition par son organisation intercommunale a permis la création d’un établissement au fonctionnement original et aux perspectives élargies. Grâce à cette logique de réseau et cette dimension intercommunale, ce territoire aux moyens restreints (moins de 10 000 habitants) a pu créer un ensemble dont l’efficacité dépasse la simple addition des ressources locales.

Son implantation territoriale forte offre à ce réseau un socle de choix, propice à l’expérimentation. Pour répondre aux missions traditionnelles des bibliothèques, sa structure intercommunale lui permet de dépasser le seuil de fonctionnement nécessaire pour offrir des services efficaces et ambitieux. Toujours animée par la volonté de proposer des services nouveaux, de suivre les évolutions technologiques, la médiathèque du Pays Morcenais conserve toutefois une polyvalence adaptée à un fonctionnement de proximité indispensable aux petites structures.

Si la collectivité a investi massivement dans son réseau de lecture publique, elle attend de ce dernier qu’il soit un acteur majeur de la vie intercommunale. La médiathèque devient un partenaire incontournable des diverses actions locales, dépassant son rôle culturel traditionnel. La lecture publique devient un outil de médiation sociale et culturelle s’éloignant du simple cadre de la promotion du livre et de la lecture. Cette schizophrénie assumée, si elle est un fort marqueur de légitimité territoriale, n’est pas sans conséquence et pose la question du rôle spécifique d’un établissement de lecture publique dans la politique culturelle des petites collectivités territoriales.

Un projet aux dimensions intercommunales valorisant la proximité

La communauté de communes du Pays Morcenais est un regroupement de neuf communes établi dans le département des Landes. Situé en milieu rural avec une faible densité de population (18 habitants par kilomètre carré) 4, ce territoire a été fortement marqué économiquement et démographiquement au début des années quatre-vingt-dix par la fermeture d’une mine de lignite et de sa centrale EDF, avec pour conséquences une chute économique et démographique. Communauté de communes très étendue – plus de 40 km d’est en ouest –, marquée par une forte problématique de déplacement, elle compte aujourd’hui 9 340 habitants, avec une pyramide des âges vieillissante.

Dès la mise en place de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) en 1994, la question de la création d’un établissement de lecture publique est portée par les élus communautaires. Le paysage des bibliothèques sur le territoire est alors très disparate, entre bibliothèque municipale avec un agent à temps partiel et des bibliothèques associatives, mais de toute façon largement insuffisant. Le cabinet d’étude ArtéSud est chargé de dresser le bilan de l’existant et de proposer plusieurs scénarios de modernisation.

Trois axes sont alors soumis aux élus communautaires. Le premier propose un fonctionnement et un investissement communal, le deuxième est une formule mixte dans laquelle l’investissement serait pris en charge par la communauté de communes et le fonctionnement par les communes ; enfin, le dernier scénario propose une solution entièrement communautaire. C’est ce dernier choix qui va être investi politiquement, car le projet de médiathèque va devenir un programme structurant de l’action communautaire, et l’organisation intercommunale va lui donner une dimension nouvelle.

Après avoir consulté les différents acteurs culturels et associatifs locaux, la communauté de communes, accompagnée et aidée par les différents acteurs institutionnels (direction régionale des affaires culturelles, médiathèque départementale de prêt des Landes, Pays Landes de Gascogne, Région Aquitaine), crée un réseau de quatre médiathèques entre 2000 et 2003. La médiathèque centrale  5 est configurée pour satisfaire à elle seule à l’ensemble des besoins de la population, mais, pour répondre à la problématique de distance posée par la situation géographique, le réseau est complété par trois antennes situées dans les trois communes périphériques du territoire  6.

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Médiathèque François Mitterrand à Morcenx. Photo : Communauté de communes du Pays Morcenais

L’ensemble propose catalogue informatisé, carte d’usager et collection uniques, et tous les services et supports que l’on peut attendre d’une bibliothèque contemporaine. Ainsi, la médiathèque du Pays Morcenais est pensée comme une médiathèque de territoire, ses murs sont les limites géographiques de la communauté de communes. Plus que la simple addition de plusieurs établissements coopérant, c’est un tout proposant un service identique en n’importe quel point de son réseau  7. L’élan ainsi conféré au réseau lui permet de s’affranchir des contraintes des petites structures pour offrir des services plus ambitieux.

Le fonctionnement quotidien fait coexister une équipe professionnelle forte (8,5 ETP en 2011) et une équipe bénévole particulièrement étoffée (61 bénévoles actifs en 2011). La présence des bénévoles, héritée du fonctionnement des bibliothèques associatives ou municipales préexistantes, a été souhaitée dès le début du projet pour faire un lien entre territoire, population et établissements. Dans un établissement plus important, au nom de l’indispensable et réelle technicité du métier, la cohabitation de personnel professionnel et de personnel bénévole aurait été plus complexe. Ici, le choix a été différent, et l’implication des bénévoles a tout de suite été valorisée. Comme le projet a permis la mise en place d’une équipe de professionnels conséquente, l’apport d’une équipe bénévole a été perçu comme une volonté de la population de s’investir directement dans la vie de l’établissement et non comme un palliatif à un manque de recrutement. Les bénévoles assurent l’ensemble des ouvertures aux publics des antennes du réseau, assurent seuls les prêts/retours et le rangement. De plus, ils participent à la réflexion sur les différentes animations culturelles et à leur réalisation, accompagnés par les professionnels. Pour cela, ils suivent une formation de base assez exigeante, puisqu’ils doivent être capables d’utiliser le logiciel documentaire, conseiller et diriger les usagers sur les informations de premier niveau ainsi qu’utiliser internet. Si les bibliothécaires professionnels, tous basés à la médiathèque centrale, veillent sur les collections, le temps dégagé par les tâches d’accueil réalisées par les bénévoles permet la mise en œuvre d’autres services.

Cette coopération trouve tout de même des limites. La médiathèque centrale accueille un très petit nombre de bénévoles. La cohabitation quotidienne avec le monde des bibliothécaires professionnels semble plus inhibante, alors que l’accompagnement plus lointain offert aux bénévoles des antennes offre un cadre plus épanouissant sans renier l’apport technique indispensable.

L’ambition de ces créations et de ce fonctionnement a une conséquence budgétaire évidente : la médiathèque pèse lourd dans le budget intercommunal. La communauté de communes du Pays Morcenais consacre 13,81 % de son budget de fonctionnement à son réseau de lecture publique en 2010, alors que, à la même période, la communauté d’agglomération de La Rochelle par exemple consacre à sa très belle BMVR 2,65 % de son budget global  8.

Cependant, ces modalités atypiques, si elles imposent un management particulier, offrent à la médiathèque du Pays Morcenais un fort ancrage local et une latitude d’action qui lui permettent la mise en œuvre de services à l’image dans des établissements plus importants, et aussi de faire le choix de l’expérimentation. Cette volonté d’innovation s’intègre dans un contexte porteur, où l’ensemble des collectivités cherche à créer de nouvelles stratégies de développement. La commune de Morcenx a ainsi mis en œuvre son propre réseau de fibre optique, fait remarquable pour une commune de 5 000 habitants. Plus de mille foyers ont ainsi accès au très haut débit, tout comme la médiathèque centrale.

Proposer, diversifier, expérimenter

Souhaitant « attiser » la philosophie du projet d’un réseau de lecture publique maillant le territoire, les élus communautaires ont voté la création du dernier échelon de l’ensemble avec la création systématique d’un relais dans les communes non encore desservies, pour que l’ensemble de la population accède au réseau sans avoir à se déplacer. Ce projet, conjointement réfléchi avec la médiathèque départementale de prêt des Landes, a abouti à la création des e-média. Porté à un échelon intercommunal, il a une nouvelle fois obtenu le soutien financier du conseil général des Landes et du Pays Landes de Gascogne.

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Carte du réseau de lecture publique du Pays Morcenais.

Situés dans des locaux dédiés d’en moyenne 25 m², ces relais e-média ne proposent que très peu de documents, mais ils offrent un accès au catalogue ainsi que plusieurs accès gratuits à internet, et la possibilité de commander un document à distance et de se l’y faire livrer, s’il est disponible, dans un délai d’une semaine. Leur amplitude d’ouverture au public est de quatre heures par semaine, ouverture assurée par de nouveaux bénévoles recrutés et formés à cette occasion. L’évaluation de cette tentative de maillage total du territoire est mitigée : il ne semble pas opportun de créer un relais en deçà d’un certain seuil de population. Si une partie de ces équipements n’est pas pérennisée, l’ensemble des investissements réalisés pourra être absorbé par le réseau, permettant ainsi une expérimentation sans perte. C’est bien la taille du réseau qui permet cette souplesse. Sa configuration rend l’expérience pertinente sans pour autant nécessiter des investissements considérables.

Toujours dans le souci de « coller » au plus près des pratiques modernes, et pour offrir de nouveaux services à ses usagers, le réseau morcenais a lancé le projet « Culture numérique ». Trois tablettes tactiles et quinze liseuses électroniques seront mises à disposition du public dès février 2012, et quatre consoles de jeux vidéo viennent compléter ce dispositif. Ce projet s’inscrit dans une démarche initiée par la médiathèque départementale de prêt des Landes que la communauté de communes du Pays Morcenais a choisi d’accompagner et d’amplifier. Cet accompagnement d’une démarche départementale permet un travail et une évaluation communs. Il est en effet essentiel de pouvoir confronter les autres pratiques professionnelles hors du cadre limité du territoire communautaire. Cependant, ce partenariat avec la médiathèque des Landes, s’il est primordial, est aujourd’hui en pleine évolution. Être un réseau intercommunal intégré dans un réseau départemental implique des attentes nouvelles et un fonctionnement particulier.

Comme toutes les structures, la médiathèque du Pays Morcenais se pose la question de la diversification des publics et de leur renouvellement. Plus encore en milieu rural, cette problématique devient incontournable. Il n’y a pas ici de public étudiant qui fournirait une base de fréquentation stable. Le public n’est jamais acquis, et il convient de sans cesse renouveler offre et services.

Pour tenter d’apporter une réponse aux risques de désaffection du public, a été privilégiée une politique forte en direction des jeunes, pour construire les publics de demain. Cette action commence… à la naissance (opération « Une naissance un livre ») 9, avec une étape aux accueils mensuels de bébé-lecteurs, en passant par le Prix des petits lecteurs du Pays Morcenais, qui a impliqué 200 enfants en 2011, jusqu’au « Club’ados » (le comité de lecture des adolescents). Le jeune public est donc une cible majeure. Les partenariats au long court menés avec l’ensemble des établissements scolaires (de la maternelle au lycée professionnel) et des structures destinées aux jeunes (comme le Point Info Jeune, le centre de loisirs ou encore le Relais assistantes maternelles) permettent au réseau d’être un élément important de toute action en direction de ce public spécifique. Plus encore, la médiathèque se veut la passerelle entre ses différents partenaires et la vie des communes en accueillant expositions, travaux, conférences avec une grande adaptabilité.

Cette proximité est un atout essentiel. Elle entraîne une connaissance fine des usagers et permet d’adapter la politique de l’établissement au plus près du territoire. Sans céder aux sirènes de la simple satisfaction de la demande, elle permet de cibler un public spécifique, de développer des moyens dédiés, et ceci même pour un nombre restreint d’usagers. Cette culture de la proximité n’est permise que par un engagement important des bibliothécaires. L’équipe professionnelle doit être polyvalente et réactive, et la collectivité encourage et favorise les formations pour permettre le perfectionnement ou l’acquisition de compétences nouvelles. Cependant, cette polyvalence n’est pas sans conséquence.

Entre action culturelle et rôle social

Où doit s’arrêter l’action de la bibliothèque ? Voilà la question qui taraude le réseau morcenais depuis de nombreuses années. En effet, il ne faut pas imaginer ce réseau comme s’inscrivant dans un désert culturel. Les collectivités locales ont en ce sens un rôle prépondérant, mais le monde associatif a investi le champ culturel de manière importante. Spectacle vivant, musique, théâtre, pratiques amateurs, troupes professionnelles, patrimoine, sont bien représentés dans le paysage landais. C’est donc au sein d’un milieu culturel vivace que s’inscrit la médiathèque du Pays Morcenais. Classiquement, elle accompagne les diverses actions culturelles menées sur le territoire. Dans un dynamisme commun avec les services culturels municipaux par exemple, l’accueil d’une pièce de théâtre est l’occasion d’organiser une rencontre avec l’auteur. Un partenariat avec l’école de musique permet la réalisation des auditions au sein de la médiathèque. Rien d’original dans le cadre des missions de médiation d’une médiathèque… mais, c’est ce qui est notable, favorisé par une forte réactivité.

Cependant, le rôle d’équipement structurant du réseau, son importance budgétaire pour la collectivité, ont pour effet une attente qui dépasse le simple cadre des objectifs confiés à un établissement de lecture publique. Dotée d’une forte équipe professionnelle rodée à la conduite de projet, d’équipements variés et modernes (vidéoprojecteur, caméras numériques…), d’une aura d’efficacité et de convivialité, la bibliothèque est un interlocuteur de choix pour toutes sortes d’actions menées sur le territoire.

Les médiathèques sont un lieu de rencontre, un lieu d’échange, pour les divers acteurs locaux. Le réseau des médiathèques est un partenaire incontournable dès que l’on parle de petite enfance, de patrimoine, de multimédia. Travailler en partenariat avec lui est un plus indéniable, une réelle valeur ajoutée pour les projets, et les élus sont très satisfaits que cet outil communautaire soit au service du plus grand nombre. Accueillant une conférence dans un établissement, une exposition rétrospective dans l’autre, sur des sujets aussi variés que l’histoire industrielle d’une commune ou le centenaire d’un club de rugby ; accompagnant une association du troisième âge dans une commune pour une collecte de témoignages filmés autour des souvenirs d’enfance, aidant à la réalisation d’un livret de présentation d’une autre ou initiant un projet de numérisation de plus d’un millier de cartes postales anciennes pour une mise à disposition du public, l’ensemble des actions demande une écoute constante. Les attentes sont hétérogènes, et multipliées par le nombre de communes.

Cette pluralité des interventions donne une forte légitimité politique à l’action de la médiathèque. Certes, cette dernière pèse lourd dans le budget communautaire, mais son action est visible, au service de tous et sur l’ensemble du territoire, jusqu’à devenir un atout valorisé par l’office du tourisme. La taille du réseau favorise cette proximité et cette disponibilité, et il semblerait difficile à une bibliothèque d’une agglomération conséquente de répondre à l’ensemble des sollicitations. De plus, doté d’une forte visibilité, le rôle de la médiathèque évolue : elle peut être simple partenaire mais aussi être un catalyseur mettant en relation les différents acteurs, agir comme un « facilitateur » de projet en mobilisant son réseau de relations.

Les médiathèques morcenaises sont un lieu de rencontre et d’échange entre les citoyens, mais il arrive que les bibliothécaires se demandent s’ils sont en train de réellement faire leur métier. Ils ont parfois le sentiment, tout à fait justifié, de dépasser le cadre de la lecture publique pour jouer un rôle plus large. Un rôle pour lequel ils ne sont pas nécessairement formés, qui les expose à des sollicitations parfois hors de propos (« non, madame, nous ne pouvons pas venir chez vous numériser vos films VHS »), et qui est phagocyteur de temps.

Être polyvalent dans son propre métier est déjà une qualité appréciable et même indispensable pour un bibliothécaire évoluant dans une petite structure. Mais la polyvalence est ici poussée à l’extrême : il faut alterner entre la gestion des collections, l’accompagnement des usagers, la gestion de projet, s’ouvrir aux sollicitations extérieures pour les intégrer aux programmes de la médiathèque, etc. Sans cesse, il faut remettre la lecture publique au centre des débats et créer des passerelles entre ces nouvelles activités. Cette volonté de s’intégrer dans la vie locale est exaltante, car elle apporte une profonde reconnaissance et répond aux attentes des citoyens, mais elle est aussi déstabilisante et peut brouiller la perception de l’identité de l’établissement, au risque que ce dernier devienne une sorte de « couteau suisse » de l’action culturelle locale. Pourtant, cette intégration au cœur même de la vie locale, au cœur des communes, est un symbole fort de l’action de la bibliothèque qui, si elle lui impose une remise en question permanente, lui confère en même temps une grande légitimité.

Conclusion

Les intercommunalités rurales et périurbaines ont largement pris en compte la question culturelle  10. Pour les petits territoires, l’intercommunalité semble être le cadre de choix du développement de projets de lecture publique ambitieux. Les enjeux des petites bibliothèques publiques ne sont pas différents des grands principes généraux qui animent les grands établissements urbains, mais « elles tiennent à ce jour un rôle qui va bien au-delà de la fourniture documentaire 11 ». À l’heure où les réflexions professionnelles se tournent vers la notion de « troisième lieu », le réseau de la médiathèque du Pays Morcenais, comme nombre d’autres structures équivalentes, a déjà commencé à arpenter ce chemin de manière naturelle. Et si les petites bibliothèques publiques devenaient source d’inspiration pour les plus grandes ? •

Janvier 2012

  1. (retour)↑  Source Insee, populations légales 2009.
  2. (retour)↑  Bertrand Calenge, Les petites bibliothèques publiques, Éd. du Cercle de la librairie, 2006. Les petites bibliothèques sont définies comme les « bibliothèques des communes de moins de 10 000 habitants ».
  3. (retour)↑  http://www.paysmorcenais.fr
  4. (retour)↑  En France, la densité moyenne est de 94 hab./km². À titre de comparaison, la densité de population du département de la Creuse est de 22 hab./km².
  5. (retour)↑  Médiathèque François Mitterrand à Morcenx, chef-lieu de canton et commune occupant une position centrale sur le territoire (4 600 habitants).
  6. (retour)↑  Lesperon, Onesse et Laharie, Ygos-Saint-Saturnin.
  7. (retour)↑  Les antennes proposent la même configuration de service que la médiathèque centrale : collections présentant l’ensemble des supports, espace multimédia avec accès à internet gratuit, salle d’animation indépendante.
  8. (retour)↑  Compte administratif Communauté d’agglomération de La Rochelle 2010.
  9. (retour)↑  Pour chaque nouvelle naissance, les familles reçoivent une invitation à venir visiter une médiathèque du réseau ; on remet à l’enfant un sac en toile de jute siglé contenant un livre tissu et l’ensemble des informations concernant le réseau, en particulier les accueils de bébé-lecteurs.
  10. (retour)↑  Emmanuel Négrier, Philippe Teillet, Julien Préau, Intercommunalités : le temps de la culture, éditions de l’OPC, 2008. Dans leur chapitre introductif, les auteurs rendent compte du dynamisme des intercommunalités périurbaines et rurales.
  11. (retour)↑  Corinne Sonnier, « De l’avenir des bibliothèques départementales de prêt : le point de vue de l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt », BBF, 2010, n° 2, p. 26-29. En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-02-0026-005