La bibliothèque minimale vue de la Corrèze

Gaetano Manfredonia

Les petites bibliothèques ne sauraient être considérées comme une exception, car elles restent la norme, notamment dans les départements ruraux comme celui de la Corrèze. Ces bibliothèques ne sont pas des bibliothèques au rabais. Dans une majorité de cas, elles permettent de satisfaire une demande de services de proximité. La manière de concevoir ces services n’en gagnerait pas moins à être repensée en profondeur. À l’heure d’internet et du livre numérique, il faut savoir répondre à des demandes ciblées des publics dans des délais raisonnables. Le développement des nouveaux outils d’information et de communication, loin de les condamner irrémédiablement, leur ouvre toute une série de possibilités nouvelles.

Small libraries should not be seen as the exception: rather, they are the rule, particularly in rural regions such as Corrèze (southern France). Nor are they any lesser than larger libraries. In most cases, they meet a need for local services. However, the way such services are planned could benefit from a rethink. With the dawn of the digital era, libraries need to be able to meet specific requests from readers in a timely fashion. The development of new information and communication tools does not necessarily mean the closure of such services: rather, it opens up a whole new range of possibilities for them.

Die kleinen Bibliotheken könnten nicht als eine Ausnahme betrachtet werden, da sie die Norm bilden, insbesondere in den ländlichen Départements wie jenem des Corrèze. Diese Bibliotheken sind keine zweitklassigen Bibliotheken. In den meisten Fällen ermöglichen sie eine Zufriedenstellung einer Nachfrage nach nahgelegenen Diensten. Der Art und Weise der Erstellung dieser Dienste würde ein tiefgründiges Überdenken nichts schaden. Im Zeitalter des Internets und digitalen Buches muss man auf gezielte Benutzerfragen innerhalb angemessener Frist antworten können. Die Entwicklung neuer Informations- und Kommunikationswerkzeuge eröffnen den Bibliotheken eine ganze Reihe von neuen Möglichkeiten, weit davon entfernt sie endgültig aufzugeben.

Las pequeñas bibliotecas no podrían ser consideradas como una excepción, puesto que éstas son la norma, particularmente en los departamentos rurales como el de la Correze. Estas bibliotecas no son bibliotecas rebajadas. En una mayoría de los casos, ellas permiten satisfacer una demanda de servicios de proximidad. La manera de concebir estos servicios ganaría por lo menos en ser repensada en profundidad. En la era de internet y del libro digital, hay que saber responder a las demandas determinadas de públicos en plazos razonables. El desarrollo de nuevas herramientas de información y de comunicación, lejos de condenarlas irremediablemente, les abre toda una serie de nuevas posibilidades.

Le nombre des petites bibliothèques en France est très important et ne cesse de grandir. Si l’on prend pour base la définition de Bertrand Calenge, qui assimile les petites bibliothèques à des établissements de lecture publique installés dans des communes de moins de 10 000 habitants, la quasi-totalité du réseau de lecture publique des départements ruraux rentre dans cette catégorie  1.

Les petites bibliothèques ne sauraient de ce fait être considérées comme une exception ou comme une simple survivance d’une étape désormais dépassée de la lecture publique à l’heure de la concentration des équipements. Bien au contraire, elles constituent plutôt la norme, même si, jusqu’à une date très récente, leur apport à la lecture publique était rarement pris en compte par les statistiques nationales faute d’outils de collecte centralisés  2.

Certes, cette situation est destinée à évoluer rapidement, notamment compte tenu des réformes actuelles du « millefeuille » administratif français, qui devrait conduire à renforcer les intercommunalités et par là même à favoriser la concentration de ce type d’équipements au sein d’ensembles plus vastes. La carte de l’implantation de la lecture publique devrait donc, à terme, se trouver profondément redessinée. En attendant, les petites bibliothèques constituent une donnée de fait incontournable avec laquelle il faut composer et dont l’existence est la conséquence directe du nombre considérable de toutes petites communes dans les départements ruraux.

La Corrèze : un cas d’école

Le département de la Corrèze constitue à cet égard un véritable cas d’école. Mis à part les villes de Tulle, de Brive et d’Ussel, les autres communes du département comptent moins de 10 000 habitants, ce qui veut dire que toutes les bibliothèques implantées sur le reste du territoire pourraient être considérées comme des « petites bibliothèques » d’après la définition de Bertrand Calenge.

Mais, surtout, c’est le nombre extrêmement élevé de petites, voire de toutes petites communes, qui est frappant. Ainsi, sur les 286 communes que compte ce département, 188 enregistrent moins de 500 habitants et 52 entre 500 et 1 000. Autant dire que 84 % d’entre elles, exception faite de leur bassin de chalandise, ne disposent pas, en théorie, de la taille critique pour pouvoir fournir correctement les services essentiels que les usagers peuvent attendre d’une bibliothèque aujourd’hui  3. Ajoutons à cela qu’il n’y a sur le département que deux autres communes à compter plus de 5 000 habitants (Malemort et Égletons), ce qui réduit encore le champ des possibilités pour le développement d’équipements performants, ne fût-ce qu’à l’échelle d’une petite bibliothèque.

Jusqu’à une date très récente, enfin, les intercommunalités se sont très peu investies en Corrèze dans le domaine de la lecture publique. Contrairement à la Haute-Vienne où existent des équipements intercommunaux conséquents, on ne compte à ce jour dans le département que trois bibliothèques de ce type, situées à Lubersac, Tulle et Ussel. La population desservie par Lubersac, toutefois, atteint à peine le chiffre de 3 700 usagers potentiels. La médiathèque d’Ussel, de son côté, ne prend pas en charge les habitants des autres communes de l’intercommunalité qui continuent à être desservies par la bibliothèque départementale.

Le cas de la médiathèque Éric Rohmer de Tulle et Cœur de Corrèze  4 est fondamentalement différent. Ouverte depuis 2010, elle a mis en place, dès le début, un système d’inscription unique pour les 43 000 usagers des 36 communes qu’elle est amenée à desservir. Mais, compte tenu de leur nombre élevé, la compétence lecture publique n’a pas encore été transférée à l’intercommunalité, ce qui se traduit par le maintien de l’intervention de la bibliothèque départementale sur l’ensemble de ce territoire, mis à part pour la ville de Tulle.

Pour compléter ce tableau, il faut mentionner l’ouverture prochaine de deux nouvelles médiathèques intercommunales, l’une sur le canton d’Argentat et l’autre sur la communauté de communes de Vézère-Monédières. Dans les deux cas cependant, la population directement concernée atteint à peine 5 000 habitants. Autant dire qu’en Corrèze, en dépit de la politique volontariste menée par le conseil général, les petites bibliothèques ont encore de beaux jours devant elles.

Small is not (toujours) beautiful

L’analyse des données du réseau de la lecture publique de la Corrèze montre très clairement, en outre, l’existence d’une corrélation étroite entre la taille de la commune et l’importance des équipements de lecture publique à disposition des usagers. Ainsi, parmi les communes de moins de 1 000 habitants, seulement deux sont en mesure d’offrir des bibliothèques municipales de niveau 1 ou 2  5, 14 des bibliothèques relais, tandis que 81 se limitent à proposer des points-lecture ou des dépôts-mairie. Inversement, parmi les communes de plus de 1 000 habitants, on ne trouve que 8 points-lecture et dépôts-mairie, mais 13 bibliothèques relais et surtout 17 bibliothèques municipales de niveau 1 et une bibliothèque municipale de niveau 2.

Rappelons à cet égard que, comme leur nom l’indique, ni les points-lecture, ni les dépôts-mairie ne peuvent être considérés comme de véritables « petites bibliothèques ». Quant aux bibliothèques relais, la typologie retenue par l’ADBDP (voir encadré ci-après) place dans cette catégorie des équipements dont le budget d’acquisition est au moins égal à 0,50 € par habitant, qui ouvrent au moins 4 heures par semaine et qui disposent d’un local réservé exclusivement aux activités de la bibliothèque d’au moins 25 m². Les services que ces relais proposent à leurs usagers ne peuvent être, de ce fait, que très limités. Dans ce cas de figure, la bibliothèque minimale s’apparente bel et bien à une sorte de bibliothèque minimaliste.

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Typologie des établissements ouverts à tous publics

Les indicateurs habituellement retenus pour mesurer la fréquentation des bibliothèques (inscrits emprunteurs, prêts) sont particulièrement parlants dans ce cas de figure, et montrent d’une manière irréfutable l’existence d’un rapport direct entre la qualité de l’offre et le niveau de fréquentation d’un équipement de lecture publique (tableau 1).

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Tableau 1 Principaux indicateurs de la lecture publique en Corrèze (typologie ADBDP)

Plus le nombre d’heures d’ouverture, les budgets d’acquisition ou les surfaces mises à disposition des usagers sont importants et plus la fréquentation de ces équipements est importante – mais l’inverse aussi est vrai... Et comment pourrait-il en être autrement, lorsqu’on sait que les services fournis par la majorité des relais dans les toutes petites communes se limitent à quelques centaines de livres rangés dans des placards de la mairie et renouvelés par la bibliothèque départementale deux fois par an ?

Certes, la multiplication des dépôts tous publics et scolaires, rendue possible par la création des bibliothèques centrales de prêt, puis des bibliothèques départementales de prêt, a permis en son temps de mettre directement à la disposition du plus grand nombre des habitants des communes les plus reculées un minimum de produits culturels. De ce point de vue, la multiplication de toutes petites bibliothèques à l’échelle d’un département comme la Corrèze a correspondu à un besoin réel visant à réduire ce que l’on pourrait appeler la « fracture culturelle » entre les villes et les campagnes. Elle a donc permis de réaliser, fut-ce partiellement, l’objectif que le Conseil supérieur des bibliothèques réaffirmait encore dans la Charte des bibliothèques en 1991 : rendre leurs collections accessibles au plus grand nombre, « par tous les moyens appropriés » sans exclure personne à cause de sa situation personnelle  6.

Pourtant, à l’ère d’internet, des ressources électroniques et du web 2.0, le développement de la lecture publique en milieu rural ne passe plus nécessairement et/ou exclusivement par la mise à disposition coûte que coûte et par tous les moyens de documents imprimés. Le maintien de telles structures minimales en l’état ne saurait de ce fait être considéré comme un objectif souhaitable en soi. Cependant, il serait également erroné d’envisager ces petites structures sous un angle exclusivement négatif, comme la manifestation d’un retard regrettable en matière de lecture publique qu’il faudrait résorber au plus vite. Non seulement l’existence de ces petites bibliothèques continue à se justifier, mais encore elles peuvent continuer à jouer un rôle non négligeable à l’avenir, à condition de faire évoluer les services à destination des usagers pour les adapter à leurs besoins actuels.

Une offre de services de proximité irremplaçable

En dépit des limites qui viennent d’être soulignées, il faut bien se rendre à l’évidence que, dans une majorité de cas, le maintien de tels équipements de lecture publique a bel et bien sa raison d’être, car il permet de satisfaire une demande de services de proximité que personne d’autre ne serait en mesure de fournir à un coût si faible.

Les données du réseau de la lecture publique de la Corrèze montrent clairement comment même de toutes petites structures sont en mesure de répondre, ne fut-ce que très partiellement, à une demande potentiellement importante de la part de leurs usagers. Dans les communes de moins de 10 000 habitants, le taux des inscrits emprunteurs et des prêts au sein des bibliothèques relais, par exemple, est sensiblement le même que celui des bibliothèques de niveau 1 et 2, soit 17 % environ de la population desservie. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ces résultats, qui sont loin d’être négligeables.

Dans bien des cas, ces petites bibliothèques constituent la seule institution culturelle présente sur le territoire de la commune, voire de la communauté de communes. Les habitants y sont fortement attachés, même si les moyens financiers et humains mis à sa disposition peuvent paraître dérisoires. La bibliothèque est un peu la vitrine de la municipalité. Elle dispose d’une attractivité d’autant plus importante que les communes environnantes en sont dépourvues, ce qui ne va pas sans poser, à l’occasion, quelques problèmes de rivalité. On comprend alors pourquoi, devant les craintes réelles ou supposées de désengagement des pouvoirs publics (État, département), la fermeture d’un dépôt-mairie ou la simple suppression d’un passage de bibliobus de prêt direct soient, en général, rejetées en bloc par la population.

Il ne faut pas oublier non plus que la présence d’une structure de lecture publique peut favoriser le maintien d’autres services de proximité et se prêter, à l’occasion, à une mutualisation du personnel et des équipements. C’est ainsi qu’en Corrèze, à la satisfaction générale, plusieurs points-lecture partagent leurs locaux avec des agences postales, comme dans les petites communes de Saint-Robert (350 habitants), Brivezac (200 habitants) et Gros-Chastang (174 habitants). Certes, les collections mises à disposition des usagers sont forcément limitées. Mais, compte tenu du nombre relativement élevé d’heures d’ouverture rendu possible par la présence d’un personnel salarié, le service rendu est bien réel et apprécié par l’ensemble de la population, avec un taux de fréquentation comparable à celui de véritables « petites bibliothèques ».

Les atouts principaux de ces petites structures sont principalement de deux types : la connaissance fine de leurs publics potentiels et la possibilité de fournir des services personnalisés à destination de publics ciblés. Dans le premier cas, cela permet, quand la bibliothèque est animée par des professionnels salariés de la filière culturelle ou par des bénévoles qualifiés, de se doter de fonds en adéquation avec les attentes des usagers, ce qui va bien au-delà du choix des romans de terroir ou des textes à gros caractères pour les personnes âgées. Dans le second cas, le service le plus courant concerne le portage à domicile de documents pour les personnes isolées ou qui ont des difficultés à se déplacer.

Parfois même ce service est rendu, comme sur la communauté de communes des Gorges de la Haute-Dordogne, en liaison avec les instances gérontologiques départementales. Celles-ci apportent dans des établissements spécialisés et au domicile des particuliers les livres proposés par le personnel de la bibliothèque municipale de Liginiac. Cette commune compte environ 650 habitants mais dispose d’un équipement de près de 200 m² ainsi que d’un budget d’acquisition de 9 euros par habitant, ce qui lui permet de jouer un rôle de tête de réseau vis-à-vis des toutes petites communes environnantes. Ce cas de figure n’est pas isolé : outre la petite bibliothèque intercommunale de Lubersac dont nous avons déjà parlé, il faut mentionner également la médiathèque d’Ayen (680 habitants) ou bien celle de Donzenac (2 400 habitants) qui, tout en n’étant pas des établissements intercommunaux, prennent en charge, avec l’aide de la bibliothèque départementale, la desserte en documents de plusieurs communes limitrophes.

Il faut aussi dénoncer le lieu commun selon lequel les petites bibliothèques ne pourraient pas proposer des animations culturelles de qualité faute de moyens ou d’infrastructures appropriées. Depuis 1997, le Centre régional du livre en Limousin  7 organise conjointement avec les trois bibliothèques départementales de cette région (qui sont aussi les principaux financeurs de cette manifestation) un festival de contes itinérant : « Coquelicontes ». Cette manifestation se tient tous les ans au printemps et rencontre un succès renouvelé, notamment en milieu rural. En quinze éditions, près de 30 % des communes limousines ont participé au moins une fois à cette manifestation. Pour la seule Corrèze, leur nombre s’élève à 67 pour un total de 289 spectacles (tableau 2). L’analyse de ces données montre que pratiquement toutes les communes les plus peuplées du département et disposant d’équipements performants de lecture publique se sont associées au moins une fois à cette manifestation. Ce qui frappe le plus, néanmoins, c’est le nombre de spectacles qui ont été donnés dans de petites ou de toutes petites communes, ce qui prouve bien que la taille ou le niveau de l’équipement ne constituent guère un handicap infranchissable à condition de pouvoir s’associer ou de disposer d’une aide appropriée, financière et technique, au niveau local.

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Tableau 2 Participation des communes et bibliothèques au festival Coquelicontes

Ces résultats ne sont guère surprenants, mais ils correspondent bel et bien à une demande d’animation culturelle latente qui est prête à se manifester dès que l’occasion se présente, comme l’atteste également le franc succès rencontré depuis deux ans par l’organisation, sous l’égide de la bibliothèque départementale, de la manifestation « Bibliothèques en Fêtes » (BEF) à laquelle ont déjà participé une trentaine de petites bibliothèques du département. Contrairement à la formule du festival Coquelicontes qui se limite à proposer aux bibliothèques un catalogue de conteurs et de spectacles au sein duquel elles doivent choisir, la préparation de BEF est précédée par des réunions de secteur animées par la bibliothèque départementale. Tous les responsables des équipements de lecture publique présents sur un territoire donné y sont conviés, sur un pied d’égalité, le but étant d’inciter un maximum de petites structures à coopérer afin de proposer des animations pouvant porter, en fonction du thème annuel choisi, sur l’organisation d’ateliers, d’expositions, de spectacles, de conférences, de rencontres d’auteurs, etc.

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Affiche de l’édition 2011 de « Bibliothèques en fête ». © Conseil général de Corrèze

S’adapter pour aller de l’avant : une fracture numérique ?

L’image qui se dégage de la bibliothèque minimale vue de la verte Corrèze est, on le voit, loin d’être entièrement négative ou ridicule. La manière de concevoir ces services de proximité n’en gagnerait pas moins à être repensée en profondeur. Il faut bien se rendre compte qu’à l’ère d’internet et du livre numérique, ce qui compte ce n’est plus tellement de multiplier la mise à disposition des collections matérielles mais de savoir répondre à des demandes ciblées des publics dans des délais raisonnables. Or, cela passe nécessairement par l’informatisation des collections et la mise en ligne du catalogue, mais également par la mise à disposition des usagers de services multimédias et de ressources numériques dans et hors les murs, ce qui est encore loin d’être le cas dans la majorité des petites bibliothèques corréziennes (tableau 3).

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Tableau 3 Informatisation et accès à internet dans le réseau de lecture publique de la Corrèze

L’analyse des données du réseau de lecture publique est, une nouvelle fois, particulièrement éclairante. Si l’informatisation des bibliothèques relais et de niveau supérieur est quasiment achevée, on constate en revanche l’existence d’une véritable fracture numérique en ce qui concerne l’accès à internet entre les bibliothèques les plus performantes et les toutes petites structures. Parmi les bibliothèques relais et les points-lecture, seulement 44 % disposent d’une connexion internet et à peine 30 % d’entre eux proposent un accès pour le public. Ces retards sont encore plus criants si l’on prend en compte d’autres indicateurs tels que la consultation en ligne du catalogue de la bibliothèque avec possibilité de réserver directement des documents. Seuls 13 établissements de moins de 10 000 habitants sur les 44 informatisés sont en mesure de le faire : trois bibliothèques de niveau 1, quatre bibliothèques de niveau 2, cinq bibliothèques relais et un point-lecture. En outre, parmi ces bibliothèques, dix sont intégrées au catalogue collectif de la médiathèque intercommunale de Tulle et Cœur de Corrèze.

Autant dire que mis à part ce cas de figure, les possibilités offertes aux usagers des petites structures sont quasiment inexistantes. Parmi les 200 000 habitants du département disposant sur le territoire de leur commune ou de leur intercommunalité d’un relais de lecture publique, plus de la moitié est encore obligée de se déplacer physiquement dans ces locaux pour consulter le catalogue ou emprunter des documents. À une seule exception près, aucune des 97 communes de moins de 1 000 habitants disposant d’un dépôt tous publics n’est en mesure d’offrir ce service à ses usagers.

S’adapter pour aller de l’avant : des possibilités nouvelles

On aurait pourtant tort de considérer cette situation comme étant irréversible ou, pire, comme venant apporter la preuve définitive du caractère inadapté des petites structures au contexte actuel. Bien au contraire, le développement des nouveaux outils d’information et de communication, loin de condamner irrémédiablement les petites bibliothèques, leur ouvre toute une série de possibilités nouvelles. Ces évolutions permettent bien mieux que par le passé de pouvoir répondre à une demande croissante de services culturels de proximité en milieu rural sans qu’il soit nécessaire de disposer d’une infrastructure lourde et coûteuse pour les satisfaire, à condition, toutefois, de s’en donner la possibilité.

Compte tenu des faibles moyens que les petites communes rurales consacrent à la lecture publique, les bibliothèques départementales de prêt ont joué et peuvent continuer à jouer un rôle déterminant pour aider les structures de leur réseau à repenser leurs missions afin qu’elles puissent continuer de proposer des services personnalisés et de qualité à leurs usagers.

En tout premier lieu, cela passe bien évidemment par des aides financières directes accordées par les conseils généraux aux communes pour l’acquisition de matériel informatique et de logiciels professionnels. Ces aides peuvent être fixées à un niveau suffisamment élevé pour inciter même de toutes petites structures à franchir le pas sans que cela soit trop onéreux pour ces collectivités. C’est ainsi qu’en Corrèze, dans le cadre du nouveau Plan de développement de la lecture, le conseil général subventionne jusqu’à 80 % ce type d’investissement réalisé par des points-lecture, et jusqu’à 70 % par des bibliothèques relais, ce qui a permis dans l’espace de moins de deux ans de quasiment achever l’informatisation de toutes les structures un tant soit peu actives du réseau.

Dans la même optique, au moins une bonne vingtaine de bibliothèques départementales ont expérimenté au cours de ces dernières années différentes formules visant à mettre à la disposition des petites bibliothèques des abonnements à des ressources électroniques dans ou hors les murs. Tel est le cas notamment de deux départements à dominante rurale comme le Cantal et la Dordogne, qui ont fait dans ce domaine figure de précurseurs. En Corrèze, grâce au soutien financier de la bibliothèque départementale, tous les inscrits du réseau des bibliothèques de la médiathèque Éric Rohmer ont la possibilité d’avoir accès à une ressource d’autoformation sur n’importe quel poste informatique disposant d’un accès à internet. À partir de 2012, cette possibilité sera offerte aussi à toutes les autres bibliothèques de niveau 1 et 2 du réseau départemental. Ajoutons à cela l’aide déterminante que plusieurs bibliothèques départementales ont apporté à la mise en réseau de ces petites structures en se faisant les promoteurs de catalogues collectifs départementaux parmi lesquels il est possible de mentionner JuMel  8 dans le Jura, RéVOdoc  9 dans le Val-d’Oise ou Calice68  10 dans le Haut-Rhin.

Ces expériences et d’autres du même type qu’il serait possible de multiplier ont, toutefois, montré comment ces formes d’aides ne pouvaient avoir qu’une portée limitée sans un véritable dispositif d’accompagnement sur le terrain. Cela concerne tout particulièrement la consultation des ressources électroniques dans les murs des petites bibliothèques, qui s’est révélée presque toujours fort décevante compte tenu de l’absence de formation du personnel en place mais aussi du faible nombre d’heures d’ouverture de ces structures. Ce constat s’applique aussi aux catalogues collectifs, qui n’ont pas de véritable raison d’être s’ils ne permettent pas aux usagers des bibliothèques les plus petites de faire venir sur place dans des délais raisonnables les documents réservés en ligne.

Faire évoluer les modalités d’intervention des bibliothèques départementales

En fait, pour que le développement de ces services de proximité soit véritablement efficace et utile, il faut qu’il soit pensé dans sa globalité. Leur mise en place, en tout cas, gagnerait à être complétée par une refonte radicale des modalités de desserte par les bibliothèques départementales, qui prendrait en compte non plus exclusivement le taux de rotation de ses fonds mais plutôt le taux de satisfaction des demandes clairement exprimées par les usagers de son réseau. Vue sous cet angle, la question n’est pas tellement de savoir s’il faut ou non continuer à desservir les petits dépôts-mairie coûte que coûte. Elle est plutôt de réfléchir à la façon de redéployer les moyens logistiques dont disposent les bibliothèques départementales pour aider le plus efficacement possible un maximum de bibliothèques à prendre en compte les attentes fines de leurs usagers.

En Corrèze, la réorganisation de la desserte menée dans le cadre du nouveau plan s’est certes traduite par une réduction conséquente du nombre de dépôts scolaires, mais elle a aussi permis la mise en place d’un système de navettes mensuelles pour amener dans la totalité des 136 dépôts tous publics du réseau départemental de lecture publique les ouvrages réservés sur le catalogue en ligne de la bibliothèque départementale. Depuis l’automne, ce dispositif a été complété par des navettes bimensuelles dont bénéficient toutes les bibliothèques relais et celles de niveau 1 et 2. Ce dispositif, qui devrait être renforcé bientôt par la mise en place d’un catalogue collectif départemental, repose sur un choix stratégique fort visant à maintenir la présence de la bibliothèque départementale même dans les plus petites communes, tout en s’efforçant d’améliorer la qualité du service fourni, à effectifs constants et avec un moindre coût de fonctionnement.

L’impact réel de ce dispositif doit encore être évalué. Il est impossible de dire à l’heure actuelle si le choix d’assurer le service des navettes à la totalité des dépôts tous publics se justifie ou pas. Ce qui est certain, en revanche, c’est que le nombre de réservations a explosé et que le taux de celles « satisfaites et empruntées » au bout de huit semaines atteint les 95 %. Ce qui est certain aussi, c’est que le système de portage par navette des documents de la bibliothèque départementale et du réseau réservés en ligne peut se combiner avec des systèmes de portage à domicile qui seraient pris en charge par les bénévoles et le personnel salarié du relais concerné.

Au sein des petites intercommunalités en milieu rural, enfin, ce dispositif peut être conçu comme une alternative valable au modèle, très en vogue il y a quelques années, des « bibliothèques tête de réseau », qui s’est révélé difficile à mettre en œuvre, globalement inefficace et relativement coûteux pour un service rendu médiocre. Le programme des médiathèques intercommunales de Vézère-Auvézère et du Pays d’Argentat, dont l’ouverture est prévue courant 2013, ne se fixe plus comme objectif celui de continuer à desservir à la place de la bibliothèque départementale les dépôts-mairie et les points-lecture présents sur son territoire. Au contraire, il est prévu au sein de chaque mairie de ces communautés de communes l’aménagement de « points de livraison par navette ». Toutes les semaines, un véhicule léger viendra récupérer les documents empruntés sur le site de la médiathèque intercommunale par les habitants de la commune et amènera ceux réservés en ligne. Des bornes de consultation internet situées dans l’enceinte de la mairie seront également installées, ce qui permettra aux personnes dépourvues d’un accès internet à leur domicile d’utiliser les services informatiques en ligne de la médiathèque gratuitement et sans avoir à se déplacer en dehors de leur commune de résidence.

Les avantages d’un tel système par rapport à celui du maintien de dépôts de documents renouvelés par bibliobus deux ou trois fois par an sont évidents : d’une part, cela permet à tous les usagers de l’intercommunalité, même ceux situés sur des communes périphériques par rapport à l’endroit où est située la médiathèque, d’avoir accès aux collections de cet équipement sur un pied d’égalité ; d’autre part, ce dispositif permet à ces petites bibliothèques intercommunales de continuer à remplir pleinement et à un coût de fonctionnement limité (de 0,2 à 0,3 équivalent temps plein selon la taille de l’intercommunalité) leur rôle irremplaçable de fournisseurs de services de proximité.

L’avenir d’une illusion ?

L’intérêt principal de ces exemples, et d’autres que l’on pourrait multiplier à dessein, c’est de montrer comment l’absence chronique de moyens humains et financiers dont souffrent les petites bibliothèques en milieu rural peut être en partie compensée par la mise en réseau de ces équipements et par le développement de formes inédites de mutualisation entre services publics. La conclusion principale qui se dégage de l’exemple de la Corrèze, c’est que la bibliothèque minimale n’est pas toujours synonyme de bibliothèque au rabais.

Toutefois, ce diagnostic n’est acceptable qu’à condition de garder à l’esprit le fait que de petites bibliothèques, même performantes, ne pourront jamais fournir des services qualitativement et quantitativement comparables à ceux des grands établissements de lecture publique. Au moment où la notion de bibliothèque « troisième lieu » a tendance à devenir la nouvelle référence parmi les professionnels, on voit mal comment les petites bibliothèques pourraient relever le défi, ne fût-ce que pour de simples questions d’espaces ou d’amplitude d’horaires d’ouverture. N’oublions pas, enfin, que dans la majorité des cas ces structures ne peuvent fonctionner correctement sans l’apport irremplaçable des services départementaux de lecture publique. •

Février 2012